Dans un livre publié en 2007, intitulé «Itinétaire d’un croyant» Patrice Favre, alors journaliste à La Liberté avait retracé largement le parcours personnel intellectuel et spirituel de Georges Marie Cottier. Communisme, marxisme, nazisme, mais également dialogue interreligieux, théologie de la libération, syncrétisme… aucun courant de pensée, aucune idéologie qui a marqué les dernières décennies n’a échappé à l’analyse affûtée du dominicain.
«Ce livre m’a permis de découvrir toutes les activités que j’ai accomplies durant ma vie. Vous savez, je vis beaucoup dans le présent», lançait aux journalistes romands le dominicain genevois alors âgé de 85 ans. Les causes, engagements et sujets d’études abordés en profondeur par le Père Cottier durant sa vie couvrent un spectre très large. Aucune tempête qui a secoué le monde politique durant le siècle dernier et au début du 21e siècle, aucun courant qui a traversé l’Eglise en profondeur, aucune initiative importante, intra-ecclésiale ou interreligieuse, menée par le Saint-Siège n’a échappé à l’analyse approfondie du professeur de philosophie devenu théologien du pape à 67 ans, un âge où tous ses contemporains goûtaient déjà aux joies de la retraite. Ses années passées au Vatican ont été marquées notamment par les efforts de rapprochement avec les juifs et les questions du repentir de l’Eglise, face à l’Inquisition ou encore les condamnations de certains théologiens de la libération.
Dans sa vie ‘antérieure’, on découvre une personnalité religieuse très proche de l’abbé puis du cardinal Charles Journet, avec qui il partage un rejet sans équivoque de l’idéologie nazie, au temps où beaucoup de représentants de l’Eglise étaient tentés d’y voir une barrière contre le communisme. Une idéologie qu’il a étudiée dans sa thèse de doctorat sur l’athéisme de Karl Marx. De nombreuses autres rencontres, avec notamment le Père Jacques Loew et les prêtres ouvriers, le Frère de Taizé Max Thurian, les Pères du Concile Vatican II lui permettront d’affiner sa vision du monde.
Lorsqu’il abordait une question théologie, politique, philosophique ou idéologique, Georges Cottier ne s’appuyait pas uniquement sur des connaissances acquises dans des livres ni même à travers ses très nombreuses relations. C’est d’abord sur le terrain qu’il a approfondi ces valeurs avant de porter un jugement.
Commentant l’effondrement du rideau de fer qui a débouché dans les pays de l’Est sur une situation désastreuse, il pointait le doigt sur les méfaits déjà présents dans le communisme. «Le matérialisme du communisme ne leur a pas rendu service. Les habitants ont découvert dans les pays occidentaux ce matérialisme qu’ils recherchaient».
Interrogé sur l’accusation d’influence marxiste exprimée par le Saint-Siège à l’égard de la théologie de la libération, le Père Cottier tenait à préciser que ce mouvement a constitué une immense prise de conscience de la misère dans de nombreuses régions d’Amérique latine. Il est cependant vrai que certains théologiens ont adopté le marxisme comme outil d’analyse et d’engagement, ce que le Saint-Siège ne pouvait accepter.
Sous le pontificat de Jean-Paul II, le cardinal genevois notamment été associé aux demandes de pardon pour les fautes que l’Eglise a perpétrées contre les juifs au cours de l’histoire. «Beaucoup n’ont pas compris et étaient effrayés», se souvenait-il.
L’ancien professeur de philosophie était resté très sensible aux courants de croyance qui traversent la société. Il relevait une période marquée par le syncrétisme. «Une valeur qui arrange tout le monde». Un thème qui a également marqué le pontificat de Jean Paul II, auteur de l’encyclique «La splendeur de la vérité», et que le Père Cottier a servi durant plus d’une dizaine d’années. Le théologien suisse s’inquiétait de la peur des jeunes aujourd’hui : «peur du mariage ou de la vie religieuse, peur d’être adulte et peur d’avoir des enfants». «Une bonne part de la jeunesse développe des tendances régressives». Pour lui, «cette fragilité psychologique était aussi l’effet d’un monde qui a voulu se libérer du péché». «La vérité a ses exigences, estimait-il elle ne se contente pas de la sécurité matérielle». «Sur les grandes questions de la vie, face à Dieu, à autrui, au bien et au mal, il faut choisir, et donc risquer». «Si on refuse de prendre ses responsabilités, la vie se réduit à des choix médiocres, des choix de supermarché : que mettre dans mon caddie, voilà à quoi se réduit la liberté de beaucoup, aujourd’hui.»
En 2013, à la veille du conclave qui élira le pape François, le cardinal Cottier relevait encore que ce serait une erreur de vouloir envisager une Eglise «plus ouverte», si cela signifie un «ajustement à la volonté du monde». Cela exigerait de «faire le choix du compromis et de la médiocrité». Il relèvait également que l’expression «ouverture» peut recouvrir un grand nombre de concepts et de désirs, pas tous compatibles. Théologiquement, on peut dire que l’Eglise est déjà totalement «ouverte» à sa vocation fondamentale qu’est l’annonce du Christ, soulignait-il. L’Eglise est ensuite ’catholique’, dans le sens où elle est ouverte au village global qu’est le monde. «L’Eglise est par conséquent caractérisée par l’universalité qu’implique sa mission». Pour le cardinal Cottier, l’institution ecclésiale «est et doit être missionnaire. Les chrétiens ne doivent pas avoir peur du monde». Selon lui, annoncer l’Evangile, c’est «inciter à aimer la rencontre avec le Christ, un acte libre». (cath.ch-apic/arch/mp)
Maurice Page
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