Dans son livre Comment penser la Résurrection. Essai philosophique, paru en 2014 (Cerf), François Gachoud partage sa réflexion sur l’événement fondateur du christianisme. La Soupe de carême d’avant Pâques avait un goût printanier. Invité de cath.ch, le philosophe a partagé début mars un repas frugal, à Lausanne. Les propos de table se sont rapidement portés sur l’événement qui fonde le christianisme: la résurrection de Jésus.
Après le temps de préparation du carême et la Passion du Christ, arrive la lumière de Pâques. Pourquoi avoir écrit ce livre sur la Résurrection?
J’ai souhaité approcher ce mystère fondateur du christianisme. Car la religion chrétienne n’est pas seulement fondée sur le message de Jésus. Durant son ministère, il annonce déjà qu’un jour il ressuscitera. Le Christ est venu pour accomplir, dans sa personne, l’événement suprême qui va mener l’homme à Dieu dans l’éternité, en traversant la mort. Saint Paul, notamment, va toujours se référer à cet événement fondateur.
Pourquoi les disciples de Jésus n’y ont-ils pas cru, au début?
Au tombeau, ils sont découragés. Pourtant Jésus leur avait dit qu’il ressusciterait. Mais ils n’entrevoient pas ce que Jésus leur avait dit. Il faudra la Pentecôte, pour que les disciples passent de l’incrédulité à la foi. C’est à cause de la Résurrection que la foi chrétienne va se séparer du judaïsme.
Dans votre livre, vous vous référez beaucoup au philosophe français Michel Henry (1922-2002). Qu’a-t-il apporté à votre réflexion?
En distinguant le corps de la chair, il se trouve dans une autre forme de pensée que celle des philosophes grecs, qui établit deux principes séparables, le corps et l’âme. Quand le corps meurt, l’âme peut survivre.
La conception biblique est différente. Les Hébreux emploient le mot de chair. Cette chair, créée par Dieu, est le fruit de l’auteur de la vie. La chair est désignée par deux termes, nefesh qui respire par le souffle de vie, et ruah, l’énergie qui rend vivant le corps physique.
Quel lien avec la résurrection de Jésus?
Pourquoi les disciples ou Marie-Madeleine ne l’ont-ils pas reconnu après la Résurrection, alors qu’ils le connaissaient bien? Quand Jésus ressuscite, l’accent n’est pas mis sur l’extériorité de son corps, mais sur l’intériorité. De fait, l’apparence du corps du Ressuscité n’est pas reconnaissable.
Le christianisme dit que la chair toujours vivante est remplie du souffle de vie qui transforme l’apparence physique: c’est le corps glorieux du Christ. Paul, dans la première lettre aux Corinthiens, évoque le corps spirituel. Jésus est passé de son corps physique à son corps spirituel, rempli du souffle venant du Créateur de la vie.
Mais pourquoi ce besoin de toucher le corps physique de Jésus, comme Thomas, après la Résurrection?
Car quelque chose a dépassé l’humain. Personne ne revient de la mort, jamais. Il y a donc un extraordinaire étonnement devant ce qui paraît impossible. Jésus, par son corps extérieur apparent, appartient encore à ce monde, mais dans sa chair, il est habité par le souffle de la vie et il n’est plus ici.
Dans les Evangiles, il y a trois résurrections opérées par Jésus: la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm et Lazare. Mais ces trois vont mourir une seconde fois. Derrière le mystère de la Résurrection du Christ, nous percevons l’impact de cet événement, qui nous relie à l’Incarnation et qui nous ouvre à l’espérance que par lui, nous ressusciterons aussi. Nous sommes tous appelés à la transformation de notre corps mortel. Nous sommes des êtres faits pour la vie et non pour la mort.
La Résurrection est donc un événement «transformateur»?
Le propre de la religion chrétienne, c’est de ne pas avoir besoin d’un lieu ou d’une terre car le souffle de la Résurrection s’adresse aux hommes du passé et du futur.
C’est ce qui explique la controverse, après la Pentecôte, entre Pierre et Paul. Pierre estime que la nouvelle religion s’adresse aux juifs. Pour Paul, Jésus diffuse le souffle de vie pour tous les êtres humains. Les Apôtres se sont donc disputés autour de cette question, car la Bonne Nouvelle s’adresse à tous.
Comment peut-on articuler la Résurrection, qui nous sort des limites de l’espace et du temps, avec la science moderne?
La science a fait tant de progrès pour essayer de comprendre d’où vient l’univers. Nous sommes donc habitués à ne pas pouvoir fonctionner autrement qu’avec des preuves scientifiques. Or le phénomène résurrectionnel fait de nous des êtres vivants dont la science n’arrive pas à expliquer le pourquoi.
Le mystère de la création échappe à la science. La science ne peut pas expliquer d’où vient l’univers et nous dedans. Pour les juifs, il n’y a pas de preuve que Dieu existe, mais ils expriment qu’un être a voulu l’homme et l’univers à partir de sa propre volonté. Et cette volonté nous rend producteurs de vie. Le privilège de l’homme, c’est son intelligence, donc la capacité à pouvoir lire le dedans de l’être. Et le dedans, c’est la vie, qui se manifeste dans un sujet. Comme parents, nous transmettons la vie, mais nous ne créons pas l’enfant, nous transmettons la vie que nous avons reçue.
La résurrection de Jésus est donc un acte incroyable?
Oui, les Eglises n’en ont pas assez mis au centre la Résurrection comme primordiale. Le philosophe Nietzsche, fils de pasteur, ne voit qu’un monde de souffrances, de péché: une vision culpabilisante et négative. Où est le souffle de la Résurrection, le souffle de vie, d’espérance et de miséricorde, comme le souligne le pape François? J’admire les Eglises orthodoxes qui ont mis la Résurrection au centre de leur message. Jésus est ressuscité et c’est ce qui change notre vie. Cela nous conduit à nous convertir à un mieux vivre ensemble parce que la vie du Ressuscité est notre modèle. Nous sommes donc appelés à nous transformer et à transformer les autres.
Mais cela va à l’encontre des débats éthiques de notre époque?
Avec l’avènement du suicide assisté, nous voulons présider nous-mêmes à la mort. Or le but de la vie est de croire qu’il y a quelque chose qui nous survit. Dans la parabole du Père prodigue, on oublie que le Père attend impatiemment son fils. Par analogie, on peut considérer que le fils attendu est ressuscité. La Résurrection comme souffle de vie, c’est le souffle de l’amour de Dieu comme un don. Au jour du Jugement, Dieu va nous accueillir en disant: «Je suis content de te voir!». Nous ne cherchons pas Dieu, c’est lui qui nous cherche…
François Gachoud, Comment penser la Résurrection. Essai philosophique. Le Cerf, Paris, 2014.
(cath.ch-apic/bl)
Bernard Litzler
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