Depuis quelques semaines, des bruits divers circulent à propos d’une éventuelle reconnaissance canonique de la Fraternité par Rome. Dans un long entretien au site internet DICI, paru le 22 mars 2016, Mgr Bernard Fellay donne son analyse de l’attitude actuelle du Vatican à l’égard de la FSSPX.
Selon Mgr Fellay, depuis l’an 2000, les rapports avec Rome n’ont jamais été rompus, même s’ils ont connu une fréquence et une intensité variables. En 2009, après la levée, par le pape Benoît XVI, des excommunications frappant les évêques lefebvristes, il y a eu une période plus intense de deux ans de discussions doctrinales. Ensuite, une proposition de double solution, avec une déclaration doctrinale et un statut canonique, a été faite. Mais cette démarche n’a pas abouti.
Depuis des discussions ont repris sous une forme plus souple, donc «pas tout à fait officielle, mais plus qu’officieuse puisque ce sont des évêques qui ont été envoyés par Rome. J’estime que cela en vaut la peine», relève le prélat traditionaliste. En juillet 2015 enfin une nouvelle invitation à réfléchir pour voir comment arriver à une régularisation canonique a été lancée. «Est-ce que l’on avance vraiment? Je pense que oui, mais c’est très certainement lent».
Mgr Fellay affirme ensuite vouloir absolument éviter toute compromission. «Evidemment cela nous rend rigides, […] ce qui rend la chose plus difficile, mais il n’y a pas pour nous de solution facile.» Pour le Supérieur de la FSSPX, la question de fond est désormais la suivante «quelle amplitude, quelle liberté, nous seraient données […], dans le cas d’une régularisation ? […] à savoir précisément que nous soyons acceptés tels que nous sommes.»
Mgr Fellay saisit l’occasion pour défendre les visites de plusieurs délégués de Rome dans divers établissements de la FSSPX. «Evidemment, par un certain nombre de personnes chez nous, elles ont été perçues avec passablement de méfiance: ›que viennent faire ces évêques chez nous ?’ Eh bien ! ce n’était pas ma perspective. L’invitation est venue de Rome, peut-être suite à une idée que je leur avais donnée, et qui était celle-ci : ›vous ne nous connaissez pas; nous discutons ici dans un bureau à Rome, venez nous voir sur place; vous ne nous connaîtrez vraiment que si vous nous voyez’.»
Pour le supérieur de la FSSPX, la bienveillance des papes Benoît XVI et François a quelque chose de paradoxal. «Le paradoxe d’une volonté d’avancer vers on peut presque dire ›Vatican III’, dans le pire sens qu’on puisse donner à cette expression, et d’autre part la volonté de dire à la Fraternité : ›vous êtes les bienvenus’. C’est vraiment un paradoxe, presque une volonté d’associer les contraires.»
Chez Benoît XVI, Mgr Fellay relève «son côté conservateur, son amour pour l’ancienne liturgie, son respect pour la discipline antérieure dans l’Eglise».
«Chez le pape François, on ne voit pas cet attachement ni à la liturgie, ni à la discipline ancienne, on pourrait même dire: bien au contraire.[…] Une des explications est la perspective du pape François sur tout ce qui est marginalisé, ce qu’il appelle les ‘périphéries existentielles’. Je ne serais pas étonné qu’il nous considère comme une de ces périphéries auxquelles il donne manifestement sa préférence.»
Mgr Fellay voit aussi chez le pape François une accusation assez constante contre l’Eglise établie, […] qui est un reproche fait à l’Eglise d’être auto-satisfaite, une Eglise qui ne cherche plus la brebis égarée.[…] On voit très bien que lorsqu’il dit ›pauvreté’, il inclut aussi la pauvreté spirituelle, des âmes qui sont dans le péché, qu’il faudrait en sortir, qu’il faudrait reconduire vers le Bon Dieu». «Et dans cette perspective-là, il voit dans la Fraternité une société très active, – surtout quand on la compare à la situation de l’establishment.» Selon le prélat, le pape François aurait lu deux fois la biographie de Mgr Lefebvre écrite par Mgr Tissier de Mallerais. «Je pense que cela lui a plu».
«La Divine Providence se débrouille pour mettre de bonnes pensées chez un pape qui, sur beaucoup de points, nous effraye énormément. […] Cette manière est très surprenante, car il est très clair que le pape François veut nous laisser vivre et survivre.»
Mgr Fellay revient longuement aussi sur l’acceptation du Concile Vatican II. Selon lui les questions classiques sur lesquelles on achoppe, qu’il s’agisse de la liberté religieuse, de la collégialité, de l’œcuménisme, de la nouvelle messe, ou même des nouveaux rites des sacrements, sont des questions ouvertes. «Jusqu’ici on a toujours insisté pour dire: vous devez accepter le Concile.» Or «les documents du Concile sont totalement inégaux, et leur acceptation se fait selon un critère gradué, selon un barème d’obligation. […] Ceux qui, d’une manière totalement erronée, prétendent que ce concile est infaillible, ceux-là obligent à une soumission totale à tout le Concile. Alors si ‘accepter le Concile’ veut dire cela, nous disons que nous n’acceptons pas le Concile. Parce que, précisément, nous nions sa valeur infaillible.»
Mgr Fellay plaide aussi pour la levée de la méfiance mutuelle. «Cette méfiance, il est certain que nous l’avons. Et je pense que l’on peut aussi dire qu’il est certain que Rome l’a par rapport à nous. […] Il faut arriver à une confiance minimale, à un climat de sérénité, pour éliminer ces accusations a priori. […] Cela demande aussi des actes où se manifeste une bonne volonté qui ne soit pas celle de nous détruire. Or c’est toujours un peu cette idée-là qui est chez nous, […] répandue d’une manière assez courante: ›s’ils nous veulent, c’est pour nous étouffer, et éventuellement nous détruire, nous absorber totalement, nous désintégrer’. Ce n’est pas une intégration, c’est une désintégration! Evidemment, tant que cette idée règne, on ne peut s’attendre à rien.», conclut le prélat traditionaliste. (cath.ch-apic/dici/mp)
Maurice Page
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