Face à ces menaces concrètes, certains milieux politiques veulent pourtant drastiquement réduire l’aide publique au développement.
L’aide au développement fait en effet de plus en plus l’objet de batailles idéologiques dans le landerneau politique suisse. Lors de sa session d’été, le Parlement fédéral va traiter de l’orientation que la Suisse veut donner à sa coopération au développement.
Récemment, la Commission des finances du Conseil national, débattant de ce thème, a conclu que l’aide au développement devait être fortement réduite et passer de 0,5 % du produit national brut à 0,3 %.
Pour Hugo Fasel, interrogé par le service de presse de Caritas Suisse le 17 mars 2016, cette proposition serait «un coup de massue» et réduirait l’aide au développement de plus d’un tiers. Il espère que les réductions proposées par la Commission des finances seront catégoriquement refusées par le Conseil national.
Le directeur de Caritas Suisse relève que le Parlement fédéral devra se pencher sur les questions centrales que sont la pauvreté, les réfugiés, le climat, les famines. «Il s’agit de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 que la Suisse a signé et qui répertorie les 17 objectifs de développement. Les écarts de train de vie entre les pays pauvres et les pays riches sont très importants. La Suisse, avec ses 8,2 millions d’habitants, dispose d’un produit national brut de 650 milliards de francs. C’est autant que le revenu des 35 pays les plus pauvres de la planète, qui comptent 800 millions d’habitants».
La coopération au développement apporte une importante contribution à la lutte contre la pauvreté extrême dans le monde, estime-t-il. «La Suisse, pour faire honneur à sa tradition humanitaire, devrait donc octroyer plus de fonds à la coopération au développement, et non pas moins».
Hugo Fasel regrette que la coopération au développement ne dispose pas d’un lobby fort qui pourrait défendre avec véhémence les intérêts des plus pauvres contrairement au «lobby des impôts», «qui réussit à priver le budget de la Confédération d’un milliard de francs dans le cadre de la réforme de l’imposition des entreprises. Et pour compenser ces pertes, il faudrait réduire l’aide au développement. C’est purement et simplement une politique de force, et non pas une politique pour les plus défavorisés».
En même temps, poursuit-il, «on sait que la Suisse, en tant que pays d’exportation, est toujours la première à profiter des marchés en croissance des pays en voie de développement. Les flux financiers du Sud vers le Nord sont considérablement plus importants que notre coopération au développement».
Il déplore également que le budget de la coopération au développement soit de plus en plus souvent employé à des tâches autres: «La Suisse couvre une partie de ses obligations financières en matière de politique climatique avec des fonds de la coopération au développement. Et une partie des fonds de la politique de l’asile sont également pris à la coopération au développement. La tâche centrale de la coopération au développement, qui est de soutenir les pays du Sud, est ainsi peu à peu dépouillée de ses moyens».
Face aux critiques de certains milieux adressées à la coopération au développement, le directeur de Caritas Suisse estime que les fonds engagés dans ce secteur sont «très judicieusement employés (…) La coopération au développement est scrutée de toutes part et elle ne peut pas se permettre de faire de faux pas, alors même qu’elle est active justement là où personne d’autre ne veut investir parce que les risques entrepreneuriaux sont trop grands. C’est justement cette présence de la coopération au développement dans des pays marqués par les inégalités sociales et la faiblesse de leurs gouvernements qui lui confère une telle importance pour les plus défavorisés de la planète».
L’OCDE a souvent épinglé la Suisse pour ses manquements en matière de politique de développement: il s’agit d’améliorer la cohérence de la politique suisse vis-à-vis des pays du Sud.
«Ces incohérences, souligne-t-il, se trouvent par exemple dans le fait que d’un côté, nous offrons une aide au développement et de l’autre, nous acceptons l’argent des dictateurs. Ou encore, les grandes entreprises de matières premières rapatrient en Suisse les bénéfices qu’elles font sur place — grâce au travail des autochtones qui sont parfois employés dans des conditions misérables — au lieu de les réinvestir dans les pays où ils sont réalisés, et de payer des impôts sur place. Les rappels à l’ordre de l’OCDE n’intéressent pas les critiques de l’aide au développement…»
Hugo Fasel se veut rassurant: «les sondages montrent que la population suisse est bien plus attachée à la coopération au développement que le Parlement». Néanmoins, conclut-il, l’organe de la Confédération qui s’occupe de coopération au développement, la DDC, devrait investir plus d’argent dans un travail de relations publiques. On ne sait pas assez à quel point les pays du Sud sont déjà touchés par le changement climatique alors qu’ils n’y sont pour rien ou presque. Nous devons être conscients aussi que la santé est devenue un bien global. Les maladies n’ont pas de frontières. La coopération au développement vient en aide à tout le monde, à nous aussi !» (cath.ch-apic/com/be)
Jacques Berset
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