La prison, lieu de miséricorde par excellence

«Je ne regarde pas l’acte commis mais la personne», annonce d’emblée Jeff Roux, l’aumônier catholique des prisons du diocèse de Sion. Il fait part à Cath.ch de son expérience de la miséricorde vécue parmi les prisonniers et les jeunes adultes du Centre éducatif fermé de Pramont (CEP)

Jeff Roux est animateur pastoral pour le secteur des Deux-Rives. Il a repris la charge d’aumônier des prisons de son prédécesseur. «Cette vocation est un cadeau», dit celui qui se partage entre les prisons de Martigny, Crêtelongue, celle des Iles, le centre LMC, et le CEP.

 

Jeff Roux, vous dites que la prison est le lieu de la miséricorde par excellence…

On y trouve des gens qui ont parfois commis le pire, c’est là qu’un chemin peut se créer. Il est très important d’y d’être présent. La prison est aussi un lieu prophétique, puisqu’on y rencontre toutes les cultures et toutes les religions. Les prisonniers doivent y trouver un chemin de «vivre ensemble». Je dois, moi, trouver des chemins qui disent Dieu. Si je pouvais enregistrer ce qui se passe dans nos rencontres et faire écouter à mes paroissiens ce qui se vit en une demi-heure d’entretien, cela pourrait apporter une telle lumière! C’est de l’ordre de l’Esprit! On va jusqu’au bout, on parle sans masque. C’est très fort.

Lorsque ces personnes se confient, comment parvenez-vous à faire abstraction de leurs actes?

J’y arrive parce que je sais que, moi aussi, je suis capable du pire. Tant que l’on n’a pas senti en nous cette capacité de haine ou de violence, et donc qu’on est un pécheur pardonné, je ne pense pas qu’on puisse se mettre librement à l’écoute de l’autre. Cela fait écho en nous-même et on entre dans le jugement.

Quelle est votre démarche?

Je ne regarde pas l’acte mais la personne. Si elle ne parle pas de ce qu’elle a fait, je n’aborde pas le sujet. Je repars de là où elle en est dans leur vie, sans l’enfermer dans ses actes. A partir de là, un chemin est possible. On sait que certains ne sortiront pas de prison, tant les actes qu’ils ont commis sont graves et tant ils sont dangereux pour la société. Il ne s’agit pas de dire  »ils sont tous gentils, il faut les libérer». Le but est de trouver un chemin qui leur redonne leur dignité. Cela peut être un chemin carcéral, de semi-liberté mais cela relève de la justice, ce dont je ne m’occupe pas.

Parvient-on à trouver Dieu en prison?

Lorsque je vais en prison, je me dis qu’il y a une présence: Jésus s’identifie au prisonnier. Je vais en prison comme lors de la visitation de Marie à Elisabeth. Je ne me situe pas au-dessus de la personne, je la visite. Il n’y a pas toujours une rencontre, on ne parle pas toujours de cœur à cœur. Lorsque la personne s’ouvre et parvient à dire ses sentiments, ses blessures, ses hontes et même les actes qu’elle a commis, elle doit être accueillie. Voilà la miséricorde qui me fait dire: «Malgré tout ce que tu as fait, tu es aimé. Cet amour va permettre de t’élever et d’avoir confiance en toi. A partir du moment où tu auras retrouvé cette confiance, tu auras retrouvé ton visage d’homme, tu pourras vivre à nouveau «. A travers ces personnes, je vois agir la miséricorde de Dieu: des hommes complètement ratatinés, défigurés reprennent vie peu à peu. Ils trouvent la confiance et une étincelle de vie.

Je dois trouver des chemins qui disent Dieu

De quoi parlent les prisonniers?

On va directement à l’essentiel et à l’intime. Chaque rencontre est unique. Je m’adapte à chaque situation personnelle. En prison, il n’y a pas de masque. En paroisse, et cela me désespère parfois, on tourne autour du pot, on fait des gags, on ne parle pas de ce qui nous habite réellement. Au parloir, c’est direct. C’est très fort. Je peux passer les 20 minutes que dure un entretien sans prononcer un mot. Le régime de la prison préventive est très dur. Les détenus sont enfermés 23 heures par jour et n’ont pas de contact avec l’extérieur. Ils peuvent attendre jusqu’à deux ans sous ce régime avant d’être jugés.

D’où l’importance d’un regard bienveillant…

Oui mais cela n’exclut pas un cheminement de justice à faire ensuite. Par «justice», j’entends «sonner juste», comme lorsqu’on accorde un piano pour que les notes «sonnent juste» et qu’elles soient belles. Mon rôle n’est pas de dire: «Dieu t’aime et puis c’est tout bon». Il s’agit d’envisager avec eux les étapes à accomplir et le chemin à prendre ensemble pour que justice soit faite en eux et autour d’eux. La miséricorde, ce regard d’amour, va permettre de faire le chemin de justice avec, au bout de ce cheminement en prison, la réinsertion dans la société.

Les prisonniers demandent-ils le pardon?

Cela arrive. Les catholiques demandent un prêtre pour une confession… Dans le fond, ils se confessent, et tout le temps! Ils confessent leur vie. Ce n’est pas une confession sacramentelle mais c’est de l’ordre du pardon. Mon rôle d’aumônier est de leur exprimer la miséricorde de Dieu: leurs dire que Dieu est présent dans ce qu’ils vivent. Leur dire aussi qu’ils sont déjà pardonnés. La grâce de la confession passe aussi par là. Le plus important pour eux est d’arriver à recréer le lien avec Dieu dans leur cœur.

 

Vous leur apportez Dieu?

Non, je leur révèle sa présence qui est déjà dans le cœur de chacun. Je vais creuser la source avec eux pour le découvrir. C’est un chemin qui est possible. Un des rôles de l’aumônerie est de montrer cette proximité de Dieu dans leur vie, ma présence n’est pas sacramentelle mais elle révèle la présence de Dieu à leur côté, même s’il est est parfois nécessaire de le leur révéler.

Au-delà de la miséricorde, comment abordez-vous la question du parcours judiciaire?

La plupart me parlent spontanément de l’évolution de leur dossier et de la procédure dont ils se plaignent de la lenteur excessive. J’essaye de leur parler de la justice de Dieu. Je leur suggère de se focaliser sur les solutions à trouver pour avancer sur le plan personnel plutôt que de ressasser des faits sur lesquels ils n’ont pas prise.

Jouez-vous un rôle auprès de l’administration pénitentiaire?

En tant qu’aumônier, mon rôle consiste à veiller à ce que les prisons soient justes. Et de signaler les cas d’injustice aux directeurs. Je dois les alerter quand l’évolution d’un dossier ne permettra pas à la personne d’évoluer et de se réinsérer. Je dois questionner l’institution. Certes, ils ont commis des actes criminels et ils devront exécuter leur peine mais cela ne veut pas dire qu’il faut les casser plus qu’ils ne le sont déjà.

Je vois agir la miséricorde de Dieu: des hommes complètement défigurés reprennent vie peu à peu

Vous êtes aussi aumônier pour les jeunes du Centre éducatif fermé de Pramont. En quoi consiste votre rôle?

Je vais à leur rencontre quand je passe dans les quartiers. Ils m’invitent dans leur chambre, je peux dialoguer avec eux, nous buvons le café. Le but, c’est de créer du lien avec eux. A Pramont, les jeunes sont très bien encadrés par des éducateurs et des maîtres socio-professionnels. Ils peuvent s’exprimer dans des cercles de parole. Ils ont beaucoup de matériel pour se former et ainsi viser une bonne réinsertion. Il n’empêche qu’ils sont enfermés et je leur offre une possibilité de dialogue qu’ils n’ont pas avec l’encadrement. Ce que nous échangeons reste confidentiel. Ils confient donc parfois très intimement leur passé, leurs actes, leur état d’esprit.

Ils racontent ce qu’ils vivent dans le centre avec les autres jeunes et l’encadrement?

Ils sont 24 heures sur 24 avec les six mêmes jeunes qui ont chacun leur passé lourd et sont en même temps des cas uniques et très difficiles. Ils sont sous étroite et stricte surveillance. Un rapport est fait à la moindre incartade. C’est un régime très astreignant. Ils en éprouvent parfois de la colère et de la révolte. J’essaye de faire sortir cette colère avant qu’elle n’explose, par exemple dans une bagarre.

 

Vous jouez un rôle préventif?

Oui, j’essaye surtout d’aller dans le sens de leur intérêt. Ils ont le droit d’être en colère, tristes, de se sentir joyeux. Ce sont des émotions, nous ne sommes pas responsables de nos émotions mais de ce que nous en faisons. Je leur dis que Dieu est lent à la colère. Qu’il faut essayer de faire quelque chose de cette colère. L’exprimer sans violence mais en parlant et en trouvant une solution. Cela ne marche pas à tous les coups…

Comment ces visites influencent-elles votre vocation?

Je me sens à ma place dans cette vocation. C’est un cadeau. L’aumônier qui prend soin de ces personnes et leurs dit qu’elles sont aimées de Dieu, révèle dans le même temps la miséricorde pour tous les baptisés du diocèse. Si ces jeunes sont aimés en prison, cela veut dire que nous qui sommes dehors, sommes aussi aimés.

 

Prochain article: Une messe derrière les barreaux. «Merci beaucoup. Le Seigneur est content d’avoir été célébré ici», lance le chanoine Gilles Roduit en guise d’envoi aux jeunes du Centre éducatif fermé de Pramont (CEP). Ils s’étaient inscrits pour participer à la célébration du mercredi des Cendres.


Pramont: un centre éducatif fermé, pas une prison

Situé à Granges (VS), le Centre éducatif fermé de Pramont (CEP), un établissement pénitentiaire, a été mis en service en 1978. A l’origine une maison d’éducation au travail, l’établissement a été réaménagé en centre de mesures pour mineurs et jeunes adultes. Il accueille, sur décision du juge, des jeunes de 15 à 22 ans placés en vertu du droit pénal pour les mineurs. Les jeunes adultes, jusqu’à 30 ans révolus, y sont envoyés après un jugement prononcé sur la base du code pénal pour les adultes. Ils exécutent une mesure et non une peine.

Plusieurs ateliers permettent à ces jeunes de se former, entre autres aux métiers du bois, de la peinture, de la mécanique, etc.

Ces jeunes qui ont parfois commis des actes très graves, allant jusqu’au meurtre, sont étroitement encadrés et mis à l’épreuve. Ils doivent prouver leur volonté de se former et de se réinsérer. Chacun des 24 jeunes développe des compétences professionnelles et sociales «sur mesure» en fonction de ses capacités. Ils sont libérés sur décision du juge après un avis favorable de l’encadrement qui les estime aptes à se réinsérer dans la société. En entrant à Pramont, ces jeunes ne connaissent donc pas la date de leur sortie. L’objectif principal étant notamment d’éviter la récidive.

D’autres jeunes sont envoyés d’institutions ouvertes dans le cadre d’une mesure disciplinaire. Ils restent à Pramont pour un «recadrage», lors de séjours de courte durée.

Des cellules sont également disponibles pour des mineurs envoyés dans le centre en détention provisoire. Un «court séjour» n’excédant pas cinq jours, pour les besoins de l’enquête. Ils restent en cellule 23 heures par jour, sans aucun lien avec l’extérieur. (cath.ch-apic/bh)

 

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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