La laïcité française est «incomplète», estime le pape François   

«Votre laïcité est incomplète», elle dépend trop de la philosophie des Lumières. C’est ce qu’a lancé le pape François à une trentaine de Français engagés en politique, reçus en audience privée au Vatican, le 1er mars 2016. Au cours d’une conversation d’une heure et demie avec cette délégation venue sous la bannière des «Poissons roses», mouvement politique d’inspiration chrétienne affilié au Parti socialiste (PS), le pape a aussi mis en garde contre les idéologies, «poison» de la politique. Une conversation rapportée par la suite dans l’hebdomadaire La Vie, par le journaliste Jean-Pierre Denis, qui assistait à la rencontre.

Dans un salon privé de la Maison Sainte-Marthe, le pape François s’est montré très attentif, détendu, et volontiers taquin, raconte le directeur de la rédaction de La Vie Jean-Pierre Denis. Interpellé sur le message qu’il souhaiterait donner à la France, le pape a répondu : «On dit dans le monde hispanique que la France est la fille aînée de l’Eglise, mais pas forcément la plus fidèle». Une petite phrase déjà glissée à de jeunes catholiques français venus le rencontrer lors d’une audience privée, au Vatican, en juin dernier.

La recherche de la transcendance est un droit

Le concept de laïcité introduit dans la démocratie française est sain, a jugé le pape. «De nos jours, un Etat se doit d’être laïc». Toutefois, a-t-il ajouté, «votre laïcité est incomplète. La France doit devenir un pays plus laïc. Il faut une laïcité saine». Et le pape de définir ce concept: «une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. D’ailleurs, même un athée peut avoir une intériorité (…) La recherche de la transcendance n’est pas seulement un fait, mais un droit».

Le pape s’est alors fait plus incisif dans sa critique: en France, «la laïcité résulte parfois trop de la philosophie des Lumières, pour laquelle les religions étaient une sous-culture. La France n’a pas encore réussi à dépasser cet héritage». Et le pape de mettre en garde contre le risque de «colonisations idéologiques». «Les idéologies, a-t-il averti, sont le poison de la politique. On a le droit d’être de gauche ou de droite. Mais l’idéologie, elle, ôte la liberté».

«Invasion arabe»

«Le seul continent qui puisse apporter une certaine unité au monde, c’est l’Europe», a lancé le pape, volontiers encourageant. «En oubliant son histoire, l’Europe s’affaiblit, a-t-il cependant mis en garde. C’est alors qu’elle risque de devenir un lieu vide». «On peut parler aujourd’hui d’invasion arabe», a poursuivi le pape d’un ton neutre, surprenant un temps ses auditeurs. Mais l’évêque de Rome s’est empressé d’ajouter: «Combien d’invasions l’Europe a connues tout au long de son histoire! Elle a toujours su se dépasser elle-même, aller de l’avant pour se trouver ensuite comme agrandie par l’échange entre les cultures».

Dénonçant une fois encore «le narcissisme consumériste», le chef de l’Eglise catholique a diagnostiqué dans la société actuelle «une dépendance plus forte» que celle des drogues, induite par «l’idole de l’argent». Et le pontife de rendre hommage à la Française Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), qu’il a rencontrée deux fois, en décembre 2014 et en janvier dernier: «Une femme intelligente. Elle pressent que l’argent doit être au service de l’humanité et non l’inverse».

Rencontre prochaine avec Al-Azhar

Face à l’intellectuelle musulmane Karima Berger, qui faisait partie du groupe, le chef de l’Eglise catholique a aussi évoqué sa visite en Centrafrique en novembre dernier: «Il y avait de l’harmonie (…). La présidente de transition, catholique pratiquante, était aimée et respectée par les musulmans». Chaque religion a ses extrémistes, a-t-il ajouté, et ce sont «les dégénérations idéologiques de la religion» qui sont à l’origine de la guerre. Le pape a alors confié qu’il préparait une importante rencontre avec l’université sunnite d’Al-Azhar, au Caire, qui avait rompu ses relations avec le Vatican début 2011, jugeant certains propos de Benoît XVI inacceptables.

Rose, 8 ans, a rencontré le pape

32 personnalités catholiques de gauche et une fillette de 8 ans, Rose, venue avec sa mère du sud de la France, ont ainsi participé à cette rencontre inédite avec le pape François. Parmi eux, figuraient Philippe de Roux, fondateur des Poissons roses, Bruno-Nestor Azérot (gauche démocrate et républicaine), député de la Martinique, Dominique Potier, député de la Meurthe-et-Moselle (PS), ainsi que Monique Rabin, députée de Loire-Atlantique (PS), Pierre-Yves Gomez, économiste fondateur des «parcours Zachée», et les fondateurs du Laboratoire d’idées «Esprit Civique». Mais aussi des étudiants, chercheurs, consultants, entrepreneurs, journalistes, pour la plupart engagés en politique. (cath.ch-apic/imedia/bl/ak/rz)

Raphaël Zbinden

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