Précédé d’un immense retentissement et d’une reconnaissance internationale, le film Spotlight arrive le 24 février 2016 sur les écrans de Suisse romande. Il raconte la vie des journalistes du quotidien américain Boston Globe qui ont révélé en 2002, après une année entière d’enquête, les cas de pédophilie commis par des prêtres au sein du diocèse de Boston, sur la côte est des Etats-Unis.
Le scandale qui avait suivi la divulgation des affaires avait provoqué la démission du cardinal Bernard Law, l’archevêque du diocèse, reconnu coupable d’avoir couvert les prêtres impliqués. Durant des décennies, l’Eglise catholique locale a étouffé les abus des prêtres pédophiles. Pendant deux heures, le film revient sur cette affaire choc qui a touché un millier de victimes et bouleversé l’Amérique et l’Eglise catholique. L’affaire de Boston est volontiers considérée comme le déclencheur de toute une série de dénonciations successives d’abus sexuels, aux Etats-Unis et en Europe.
Le film est sorti aux Etats-Unis en septembre dernier, au moment où le pape François rendait visite à l’Amérique du Nord. Sollicité par les médias, le clergé américain s’est largement exprimé sur son passé peu glorieux. Le Bureau de protection de l’enfance de la Conférence des évêques des Etats-Unis a diffusé un mémo dans tous les diocèses pour répondre aux questions soulevées par Spotlight. De fait, la situation s’est améliorée depuis une quinzaine d’années. Les évêques américains dépensent plusieurs dizaines de millions de dollars par an en matière de protection de l’enfance.
L’archevêque de Washington D.C., Donald Wuerl, a renvoyé vers les autres institutions: «Mon souhait est que d’autres entités, comme le système scolaire public, puissent tenter de faire ce que l’Eglise a fait et puissent offrir le même niveau de protection aux enfants que nous».
Le film a également permis de faire le point sur les affaires de pédophilie en cours. Terry Donilon, porte-parole de l’archidiocèse de Boston, affirme au Boston Globe: «Il y a zéro abus sexuel aujourd’hui. Aucun…».
Elément compassionnel important, lors de son voyage américain, le pape a rencontré des familles de victimes à Philadelphie. Le climat semble donc plus serein, mais les associations de victimes souhaitent que l’Eglise catholique aille au bout de son opération de clarification.
Dix ans après la révélation des faits, le cardinal Sean Patrick O’Malley, archevêque de Boston, a assuré en janvier 2012 que «l’Eglise n’oublierait jamais la crise des abus sexuels». «Il est indiscutable que les survivants des abus sexuels perpétrés par le clergé ont grandement soufferts. Comme archevêché, comme Eglise, nous ne pourrons jamais cesser de dire clairement la profondeur de notre chagrin et de demander pardon à ceux qui ont été si cruellement blessés», écrivait le cardinal américain.
«Les médias ont aidé à rendre notre Eglise plus sûre pour les enfants en soulevant le problème des abus sexuels et en nous forçant à le gérer. Nous tous qui considérons la protection des enfants comme de la plus haute importance sommes redevables du soutien des médias sur cette question», notait l’archevêque.
Le cardinal O’Malley, en poste depuis juillet 2003 après le départ du cardinal Law, indiquait que l’archevêché avait rencontré plus de 1’000 survivants et leurs familles «Comme dirigeants de l’Eglise nous devons accepter notre responsabilité pour ces fautes et clairement reconnaitre que la hiérarchie de l’Eglise aurait pu et aurait dû répondre plus vite et avec plus de force.»
«Ce film, tous les évêques et les cardinaux, surtout les responsables des âmes, devraient le voir, parce qu’ils doivent comprendre que c’est la dénonciation qui sauvera l’Eglise, et pas l’omerta», a affirmé à La Repubblica Mgr Charles Scicluna, président du collège spécial visant à traiter, au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), les recours de prêtres accusés de délit graves. Il montre «combien l’instinct, qui était malheureusement présent dans l’Eglise, de protéger la bonne réputation, était une grave erreur. Il n’y a pas de miséricorde sans justice», a expliqué le prélat.
L’abbé Pierre Amar, prêtre du diocèse de Versailles et rédacteur du Padreblog, a été voir le film. Il précise sur radionotredame.net: «Je vais au cinéma en clergyman. Ce soir-là, j’ai mis une écharpe, je n’étais pas à l’aise. Pendant le film, j’ai eu la nausée parce que c’est ma famille, l’Eglise. J’ai pleuré à la fin, mais tout ça, ce n’est rien par rapport à ce que les victimes doivent vivre, mais ces faits sont abominables, c’est une honte pour l’Eglise». Il poursuit: «Je crois que les prêtres et les séminaristes devraient voir le film, mais je dissuaderais les chrétiens d’y aller. Car on est malade après ce film. C’est à hurler, de colère, de rage. C’est un film très dur.»
Le dominicain Philippe Lefebvre a réagit vivement sur Facebook à cette volonté d’écarter les laïcs: «Le film ne devrait pas être vu par les laïcs, mais seulement par le milieu clérical. Il raconte comment seuls des non prêtres ont eu le courage de voir la réalité en face et d’agir alors que les clercs ne voulaient rien voir et rien savoir, et pourtant seuls les prêtres peuvent aller voir le film, les laïcs ne supporteraient pas.» Pour le professeur de l’Université de Fribourg il est étrange de «dire de faire exactement l’inverse de ce que préconise le film et donc de continuer à s’enfermer dans ce système clérical en vase clos… […] On a l’impression que certains clercs n’apprennent rien, n’entendent rien, ne comprennent rien.» (cath.ch-apic/bl/mp)
Lors de la cérémonie des Oscars, le 28 février prochain, le film Spotlight sera en lice pour remporter le prix du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur dans un second rôle pour Mark Ruffalo et de la meilleure actrice dans un second rôle pour Rachel McAdams.
Maurice Page
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