Le prêtre genevois s’est penché sur la question du silence dans la liturgie catholique pour sa thèse de doctorat présentée conjointement à Fribourg et à Louvain-la-Neuve. Il vient de livrer l’essentiel de sa recherche et de sa réflexion dans un livre intitulé «Habiter le silence dans la liturgie» publié aux éditions Salvator. «Avant de me lancer dans cette recherche, je voyais déjà bien l’importance d’avoir des espaces de silence, de respiration dans la liturgie. Cela m’a paru d’autant plus intéressant que cette réflexion n’avait jamais été menée au niveau d’une thèse universitaire», a-t-il expliqué dans une interview à cath.ch.
Cath.ch: Comment pourrait-on définir le silence ?
Pascal Desthieux: Le silence n’est pas seulement une absence de bruit. D’ailleurs, le silence absolu n’existe pas dans la nature. Même si j’entre dans une pièce insonorisée, je vais entendre les battements de mon coeur, le bruit de ma respiration. Donc, le silence est plus une question de perception. On peut, certes, mesurer les décibels, mais on ne mesure pas à proprement parler le silence. Il est lié à l’idée de calme, de paix. On peut aussi distinguer entre le silence extérieur et intérieur. Je peux être dans un lieu silencieux, mais les pensées bouillonnent en moi ou à l’inverse être dans un environnement bruyant et parvenir à m’en extraire pour faire le silence en moi.
Le silence est aussi affaire de communication, de relation. Je fais silence pour écouter l’autre. Il est dans ce sens indispensable à l’échange. Sans silence, il n’y a pas de conversation.
Le silence peut contenir beaucoup d’émotions très différentes.
Il y a autant de silences que d’émotions possibles, triste, joyeux, paisible, angoissé. Freud rapporte l’histoire d’un enfant de trois qui avait peur du noir et qui demande à sa tante de lui parler. «A quoi cela te servira-t-il puisque tu ne me vois pas?» «Ca ne fait rien répondit l’enfant, du moment que tu parles, il fait clair " On connaît aussi le silence terrifiant qui suit un accident ou un attentat.
Le silence nous met face à nous-mêmes, ce qui peut être effrayant. On peut avoir le désir de le fuir en laissant par exemple la radio ou la télé enclenchée. Mais si l’on surmonte cette peur, le silence nous fait du bien. Nous avons besoin de cette alternance. Il faut savoir stopper le vacarme permanent ou le gazouillis des réseaux sociaux. Se déconnecter devient une réelle difficulté.
Le silence qui précède la parole lui donne plus de poids. Celui qui suit la parole lui permet de se prolonger. ‘Le silence est une patrie où il fait bon se tenir’, disait la pédagogue de la religion Hélène Lubienska de Lenval. Il ne va pas de soi. Il demande un certain effort. Mais si on le trouve, il devient un lieu où l’on est bien, où l’on aime se retrouver.
Le silence est aussi le lieu de la rencontre avec Dieu
C’est dans le silence que l’on trouve Dieu, que l’on prend conscience de sa présence. Dans le récit de la création, la parole, le logos surgit du silence. Dieu parle aux prophètes et à son peuple, mais il s’exprime aussi par ses silences comme dans l’histoire de Job. Le silence de Dieu peut être un message de désapprobation, de désaccord. Le silence est aussi celui de la liberté laissée à l’homme de répondre ou pas à l’appel. Le récit de l’enfant prodigue est typique, le père ne parle pas, il laisse partir son fils cadet.
Parfois le silence est aussi celui de l’homme
Le silence de l’homme peut, lui aussi, avoir diverses significations. On a le silence du lâche devant Dieu, c’est le cas d’Adam et d’Ève après le péché. On trouve aussi le silence de compassion des amis de Job qui se tiennent à côté de lui sans rien dire pendant sept jours et sept nuits. On a le silence de l’attente paisible de Marie.
Le concile Vatican II, en parlant de la liturgie, a retenu la notion de silence sacré. Comment comprendre ce terme ?
Le silence n’est pas une fin en soi. Il nous ouvre à autre chose, à l’écoute de l’autre, à la réflexion sur soi, à la rencontre de Dieu dans la prière. Dans le silence, il se passe quelque chose de sacré, mais en lui-même il n’est pas sacré. Sinon, on retombe dans une conception préchrétienne d’effroi et de crainte devant l’inexplicable que l’on n’ose approcher. Le silence liturgique n’est pas cela. L’incarnation du Christ a fait voler en éclats cette séparation entre le sacré et le profane.
Vous parlez aussi de climat de silence
Le silence dans la liturgie est, en fait, constitué de brefs moments de silence qui ponctuent la célébration. Il y a ceux qui sont prescrits par le missel, lors du rite pénitentiel, à la prière d’ouverture, après les lectures et l’homélie et après la communion. On peut en imaginer d’autres. Cela veut dire simplement célébrer la liturgie de manière paisible, sans précipitation. Il faut éviter de tout remplir. Y compris par exemple pour des messes d’enfants où le silence est très nécessaire. Le silence est indispensable pour entrer dans la célébration.
Bien souvent dans nos célébrations, la musique remplace le silence.
La musique aussi nous conduit aussi vers l’intériorité, mais elle n’est pas du même ordre que le silence. Mon attention est facilement retenue par la musique, même si elle est méditative. Après l’homélie par exemple, le silence m’invite plus fortement à reprendre et à méditer la parole de Dieu ou le commentaire du prêtre. J’ai demandé aux organistes de la paroisse de ne pas jouer à ce moment-là. En compensation, je leur propose de jouer pendant le geste de paix .
Comme dans la vie, le silence lors de la messe a diverses significations et fonctions.
La présentation du missel a déterminé trois types de silence liturgique: le recueillement, la médiation et le silence de louange et de prière. Mais en y regardant d’un peu plus près on voit que cela n’est pas si simple et que finalement les choses sont assez mêlées. Je pense plus juste et plus simple de considérer que la nature du silence change selon qu’il se trouve avant, pendant ou après un rite. Avant, on aura plutôt le recueillement qui prépare, donne envie, avant le début de la messe, avant une lecture. Après c’est plûtot la médiation sur ce que l’on vient de faire.
Et pendant ?
Pendant le rite, il s’agit de prière, de louange, mais aussi et c’est important, de pleine participation à l’action liturgique. Participer n’est pas forcément faire ou dire quelque chose, mais aussi écouter et prier. Répondre, chanter, se lever, s’asseoir, se déplacer sont des moyens de participer, mais ils ne sont pas les seuls. Je le vois par exemple aux messes de première communion. A force de vouloir donner à chaque enfant quelque chose à dire ou à faire, cela devient interminable et finalement indigeste.
On fait silence aussi avec son corps.
Le silence est bien quelque chose de physique puisqu’il s’agit d’une abstinence de paroles. La manière de se comporter, de se tenir, est importante. Si l’on considère que la parole est le propre de l’homme, le silence acquiert aussi une dimension de jeûne et d’abstinence. Souvent on ferme aussi les yeux pendant le silence. Il y a une manière de se tenir, de s’asseoir, de marcher, de faire des gestes qui participe à ce climat de silence dont je parlais tout à l’heure.
En conclusion, vous dites que le silence dans la liturgie est comme le sel dans le pain.
On ne vient pas à la messe pour faire silence, mais le silence met en valeur le rite, lui donne davantage de saveur. Un plat ou un pain sans sel est fade, avec trop de sel, il est mauvais. De même dans la liturgie, il faut doser le silence afin qu’il soit un exhausteur de rite, de parole. Le silence met en valeur, ce qui va venir, ce qui a été dit ou ce qui se fait. Une liturgie sans silence est comme un pain sans sel.
Dans ma pratique quotidienne de la messe, je veille au silence et je remarque que les gens l’apprécient, même s’il est bref. Cela permet de célébrer paisiblement. A mes yeux, le silence fait partie intégrante de l’ars celebrandi et j’espère y avoir un peu contribué par mon travail de thèse. (cath.ch-apic/mp)
Pascal Desthieux: «Habiter le silence dans la liturgie», Paris, 2016, 190 p. Editions Salvator
Maurice Page
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