L’extrême prudence du pape François pendant le conflit en Ukraine, pourrait expliquer, entre autres, ce rapprochement exceptionnel, lors duquel les deux chefs religieux devraient évoquer des sujets sur lesquels ils souhaitent collaborer, comme la défense des chrétiens d’Orient.
Jamais, depuis le grand schisme d’Orient en 1054 ou encore la levée des anathèmes en 1965, un pape et un patriarche de Moscou ne s’étaient rencontrés. L’hypothèse d’une rencontre dans un pays tiers, et donc neutre, avait été évoquée de longue date. Si la ville de Vienne (Autriche) a souvent été avancée, c’est finalement Cuba qui a été retenue, hors continent européen. Ironie du sort, c’est au profit d’une visite du patriarche de Moscou sur l’île castriste de Cuba que le patriarche de toutes les Russies et le pape François vont se rencontrer. Après que François a aidé au rapprochement diplomatique entre Cuba et les Etats-Unis, c’est La Havane qui permet le rapprochement entre Rome et Moscou, «la troisième Rome».
«Déjouant les pronostics des journalistes, cette rencontre historique a lieu à Cuba», confie à l’agence I.Média le cardinal Paul Poupard, ancien président du Conseil pontifical de la culture, qui garde de nombreux contacts avec le Patriarcat de Moscou. A ses yeux, le pape François et le patriarche Cyrille s’accordent aujourd’hui sur «la responsabilité de leurs Eglises à transmettre la foi» et ce rapprochement a lieu en dépit de questions plus politiques en suspens. «Le fait que cette rencontre se produise à l’occasion de visites pastorales de l’un et de l’autre, explique le cardinal Poupard, la place sur son véritable terrain, à savoir la pastorale».
«Une rencontre tant de fois espérée et tant de fois reportée»
«Ils se retrouvent sur ce qui les réunit», glisse encore le cardinal Paul Poupard. De fait, annonçant depuis Moscou cette rencontre, le ›numéro deux’ de l’Eglise orthodoxe russe, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, a indiqué que «dans la situation tragique actuelle, il est nécessaire de mettre de côté les désaccords internes et d’unir les efforts pour sauver le christianisme dans les régions où il est soumis à la plus grave des persécutions». La situation des chrétiens au Moyen-Orient et en Afrique devrait être centrale lors des discussions entre Cyrille et le pape François, qui évoque souvent «l’œcuménisme du sang».
Alors que la possibilité d’une rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille était déjà évoquée en 2014, les événements en Ukraine, où l’Eglise gréco-catholique (rattachée à Rome) a été active lors des soulèvements et s’oppose à l’influence russe, ont à nouveau envenimé les relations entre Rome et Moscou. Invité à participer au Synode des évêques sur la famille d’octobre 2014 en tant que «délégué fraternel», le métropolite Hilarion de Volokolamsk, dans un vigoureux discours, avait alors dénoncé l’attitude de l’Eglise gréco-catholique en Ukraine.
Il s’agit d’une rencontre «tant de fois espérée et tant de fois reportée», explique à l’agence I.Média Bernard Lecomte, journaliste et écrivain, spécialiste de l’Eglise catholique et des pays de l’Est. »Jean-Paul II, le pape polonais, en rêvait. Mais justement, parce que polonais, il était suspecté aux yeux du Patriarcat de Moscou, de vouloir étendre son influence sur l’Ukraine, pomme de discorde entre Rome et Moscou depuis 1596», explique Bernard Lecomte pour qui «la modération du pape François dans le conflit ukrainien a payé». Le pape François, en effet, a toujours souhaité rester prudent dans ses déclarations sur le conflit ukrainien, évoquant seulement, en février 2015, le «scandale» d’une guerre «fratricide» entre chrétiens. Certains gréco-catholiques ukrainiens s’étaient alors sentis abandonnés par Rome. Côté ukrainien, l’annonce de cette rencontre historique fait déjà grincer des dents.
Les relations entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe russe buttent notamment sur la question de la primauté du pape, et sur les accusations de prosélytisme lancées à Rome par Moscou. L’Eglise orthodoxe russe s’accroche ainsi sur la question de l’uniatisme, l’activité des Eglises gréco-catholiques dans l’ex Union soviétique. Les relations furent particulièrement compliquées entre Jean-Paul II et l’ancien patriarche de Moscou, Alexis II.
Un autre point de tensions demeure la question de la primauté des patriarcats orthodoxes, en interne. Le Saint-Siège entretient en effet de bonnes relations avec le Patriarcat œcuménique de Constantinople qui conserve, au sein de l’orthodoxie, une primauté d’honneur, que conteste le patriarcat moscovite. La rencontre historique de Cuba survient dans un contexte d’amélioration des relations entre Moscou et Constantinople, après l’annonce de la tenue en juin prochain en Crète du concile panorthodoxe, qui doit enfin rassembler toutes les Eglises orthodoxes. Le dernier a eu lieu à Nicée en 787, avant le schisme avec l’Eglise catholique romaine.
Sous le pontificat de Benoît XVI, les relations entre Rome et l’Eglise orthodoxe de Moscou ont connu un dégel. L’arrivée du patriarche Cyrille, à la mort du patriarche Alexis II en décembre 2008, facilita les choses. Ancien responsable du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, il avait ainsi rencontré Benoît XVI au Vatican à plusieurs reprises, et collaboré pendant des années avec le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. (cath.ch-apic/imedia/bl/ami/bh)
Bernard Hallet
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