Une initiative «inutile, irrespectueuse et injuste». C’est ainsi que la CES qualifie le texte qui exige «l’application» du principe de renvoi des étrangers criminels, accepté par le peuple suisse en 2010. Les prélats estiment que l’initiative est contraire à la dignité humaine, telle que la considère la foi chrétienne.
Cyrille Fauchère dit comprendre, en tant que catholique, l’argument sur la dignité humaine mise en avant par les évêques. En tant que politicien, il considère cependant que la société n’a pas d’autre choix. «Je ne peux pas accepter qu’une personne profite de la largesse du système pour commettre des délits et s’en tirer à bon compte», lance l’UDC valaisan.
«L’initiative se met du côté de la victime plus que du côté du bourreau», affirme Cyrille Fauchère. Il estime également qu’elle serait dissuasive et permettrait de réduire le nombre de délits. Il dément en outre que des étrangers puissent être renvoyés pour des «bagatelles», comme le souligne le communiqué des évêques. Selon lui, les mesures de renvoi ne concerneraient que les crimes graves et la récidive.
Une volonté du peuple «diluée»
Il rejette la critique selon laquelle l’initiative serait «inutile». La CES soutient en particulier dans son communiqué que des délinquants sans passeport suisse sont déjà expulsés, et que l’initiative constitue un «durcissement drastique» de la politique de renvoi des étrangers criminels. Pour Cyrille Fauchère, l’initiative de mise en œuvre ne fait que forcer l’application d’un texte déjà voté par le peuple. Il affirme que la volonté populaire en ce sens aurait été «diluée» et vidée de sa substance, au nom de grands principes de droit et d’égalité revendiqués par le Parlement fédéral.
Le Valaisan ne souscrit pas non plus à la critique de la CES d’une initiative injuste. Les évêques déplorent en effet que la procédure de renvoi prévue traite les étrangers selon d’autres critères que les Suisses. Cyrille Fauchère répond que, premièrement, il n’y a pas d’autre choix, puisque les Suisses ne peuvent être renvoyés. Il existe donc sur ce plan une discrimination «d’office». Il martèle, en second lieu, que la société «a le devoir de punir ces criminels», et que la sécurité des citoyens doit prévaloir sur le principe d’égalité.
Ce n’est pas très agréable de défendre une position différente de celle de ‘mes’ évêques
Le politicien nuance aussi l’argument de «miséricorde» dont devraient pouvoir bénéficier, selon les évêques suisses, les criminels. «Le principe de miséricorde s’applique dans le fait de purger sa peine pour un premier délit ou pour des délits mineurs. Si la miséricorde divine est infinie, il ne peut pas en être de même aux yeux de la société, en particulier pour les crimes violents. Quant aux récidivistes, ils ne veulent pas respecter les limites objectives que fixe notre société et c’est la raison pour laquelle s’ils ne veulent pas comprendre chez nous, alors il faut qu’ils retournent chez eux».
Le Valaisan juge, de manière générale, que les évêques suisses ne devraient pas émettre de mots d’ordre lors de votations populaires. Il regrette en outre les «choix lexicaux» dans les appels au vote de la CES, déplorant que l’initiative sur l’égalité fiscale pour les couples mariés n’ait été promue «que du bout des lèvres», alors que celle dite «de mise en œuvre» ait subi une attaque en règle. «Les évêques doivent en appeler à la responsabilité de chaque chrétien à se pencher en conscience sur les questions qui lui sont posées. C’est la raison pour laquelle, les évêques comme tout le clergé d’ailleurs doivent contribuer à former les consciences des gens afin que ceux-ci, politiciens ou non, puissent défendre les valeurs qui permettent à la fois à l’Evangile de rayonner dans notre quotidien mais aussi à la société de vivre en paix», lance-t-il.
«Ce n’est pas très agréable de défendre une position différente de celle de ‘mes’ évêques, mais que ce soit en Eglise ou ailleurs, le débat est une bonne chose, sous réseve que chaque camp ait droit à la parole», conclut Cyrille Fauchère.
Encadré
Les procureurs de Suisse se mobilisent contre l’initiative
La Conférence des procureurs de Suisse (CPS) a récemment recommandé le rejet de l’initiative de mise en œuvre. Les magistrats avertissent qu’une acceptation de cette initiative «en contradiction avec les principes fondamentaux de notre Etat de droit» conduirait à des «résultats choquants». Elle entraînerait en outre une augmentation importante des dépenses pour cause d’inflation probable des frais d’avocat supportés par l’Etat.
Le procureur général fribourgeois Fabien Gasser, qui a cosigné le texte, explique dans le quotidien romand La Liberté du 27 janvier que si l’initiative était acceptée, «nous nous retrouverions dans une situation qui ne nous permettrait absolument plus de tenir compte des différents cas de figure, ce qui serait regrettable». Il indique que, de toute manière, un certain nombre d’expulsions resteront impossibles ou difficiles à effectuer pour des questions de droit international.
Trois cas inspirés de faits réels
S’inspirant de fait réels, Fabien Gasser a imaginé quelques situations auxquelles il pourrait être confronté:
Maria, divorcée et mère de deux enfants mineurs est une Espagnole de 50 ans, installée en Suisse depuis 30 ans. Depuis son divorce, elle a recours à l’aide sociale, son ex-mari ne lui versant qu’une modeste contribution pour les enfants dont elle a la garde. Elle effectue quelques heures de ménage par semaine, pour un montant mensuel de 300 francs, sans l’indiquer aux services sociaux qui le découvrent par une dénonciation anonyme (…) Maria est condamnée pour abus de l’aide sociale. Si l’initiative est acceptée, elle sera expulsée. Si l’initiative est rejetée, le juge aura une marge d’appréciation qui lui permettra de tenir compte de la situation des enfants, du repentir de la condamnée, de l’effet dissuasif de sa condamnation.
Johnson, ressortissant nigérian, arrive en Suisse le 1er mars 2016. Il vend immédiatement de la cocaïne et expédie son bénéfice au pays. Dans une bagarre, il fracture le nez d’un rival. Il est condamné pour délit à la loi sur les stupéfiants, blanchiment d’argent et lésions corporelles simples. Si l’initiative est acceptée, il ne sera pas expulsé car son casier judiciaire suisse était jusqu’ici vierge. Si l’initiative est rejetée, la loi d’application adoptée par le parlement permet de l’expulser (expulsion non obligatoire). Il le sera très probablement.
Adriana, Kosovare de 22 ans, a été condamnée en 2013 pour appropriation illégitime. En retirant de l’argent à un bancomat, elle a trouvé et empoché un montant de 400 francs retiré par un inconnu qui l’avait oublié. En 2015, elle a fréquenté Driton, dont elle s’est séparée il y a trois mois. La nouvelle copine de ce dernier fait un soir une remarque déplaisante à Adriana. Celle-ci lui assène un violent coup de pied à la jambe, provoquant un gros hématome. Vexée, la nouvelle amie porte plainte pour lésions corporelles simples et refuse catégoriquement toute conciliation. Adriana est condamnée à une peine symbolique. Si l’initiative est acceptée, elle sera expulsée. Si l’initiative est rejetée, elle ne sera pas expulsée par le juge, mais pourra l’être par les autorités administratives s’il y a d’autres circonstances. (cath.ch/lib/rz)
Raphaël Zbinden
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