Les attentats qui ont ensanglanté la France au long de l’année 2015 sont restés en filigrane, tout au long de la rencontre des communiquants catholiques, qui s’est déroulée du 20 au 22 janvier 2016. La question latente des débats concernait la meilleure façon de faire face à cette réalité inconcevable de la terreur.
Du temps où elle vivait en Algérie coloniale, Karima Berger regrette un islam «où l’on ne craignait pas d’accueillir l’autre, d’honorer Marie ou Jésus». C’était avant que le «virus de l’appartenance» ne se répande chez les musulmans. L’écrivaine déplore qu’à travers le drame de la guerre d’Algérie notamment, et la mondialisation, l’islam se soit peu à peu «resserré sur lui-même». Avec la modernité, et la perte des valeurs en Occident, a progressé la peur. Et l’Orient, qui symbolise «la quête de l’autre», s’est retrouvé défiguré. Un tel islam n’est ainsi rien d’autre, pour l’écrivaine, que «le symptôme de la maladie du monde».
«Seul (le pape) François me fait rêver!»
Elle dénonce, sans les nommer, les monarchies du Golfe qui ont développé cet «impérialisme culturel» pour des raisons hégémoniques, sans oublier de fustiger une France «qui a été paresseuse», en particulier par ses compromis. Ne mettant que peu d’espoir dans les puissants de ce monde elle admet néanmoins que «seul (le pape) François me fait rêver!»
Karima Berger est cependant persuadée que «l’islam va se sauver en s’ouvrant». Pour l’écrivaine, «l’autre est notre chance» et la capacité de travailler ensemble «à notre maison commune», est la seule véritable ressource collective pour «relever mon islam».
A l’appui de ses thèses, le romancier catholique lauréat du prix Goncourt Alexis Jenni a averti que «rejeter la part de l’autre, c’est mortel et toxique». Il rappelle que l’islam fait partie intégrante de la culture française. Il fustige ainsi la réaction de beaucoup de mettre la faute, face au terrorisme, sur la religion en tant que telle. Il explique qu’on ne doit pas faire l’amalgame entre la religion et la violence, soulignant que cette première est «nécessaire pour atteindre le fond spirituel de l’homme».
«La culture est une religion à laquelle on ne croit plus»
Les rapports, parfois conflictuels, entre société et religion ont également été décryptés, lors de la rencontre d’Annecy, à l’aune du débat très aigu en France sur la laïcité. A cet égard, la philosophe catholique Chantal Delsol relève que lorsqu’une société veut se débarrasser de la religion- car il n’est pas possible de détruire une religion-, elle la transforme en culture. «La culture est une religion à laquelle on ne croit plus», note-t-elle. Les églises transformées en musées, la relégation des figures religieuses à des mythes ou encore la ridiculisation de la religion sont autant de corollaires de ce processus. Rappelant que les croyances religieuses structurent toujours les sociétés, «même de façon souterraine», Chantal Delsol avertit que les pays occidentaux sont soumis à ce type de dissolution qui s’apparente à «une dénaturation par affaissement du statut de la vérité». La philosophe note ainsi que si le groupe djihadiste «Etat islamique» peut être considéré comme une religion sans culture, l’Occident peut être vu comme une culture sans religion.
«Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots»
Mgr Claude Dagens, évêque émérite d’Angoulême, s’est lui aussi penché sur la crise actuelle de la «laïcité à la française». Face à ce phénomène, qui oscille entre crispation et idéologisation des principes républicains, le prélat appelle à «manifester la différence chrétienne». Cela passe pour lui principalement par l’éducation, dans laquelle il faut «enseigner les faits religieux comme constitutifs de notre histoire». Les croyants sont également amenés, à l’instar de ce qu’ils ont fait lors de l’émergence du phénomène chrétien dans l’antiquité, à «puiser aux sources vives de la révélation chrétienne».
La dernière conférence du 21 janvier a rassemblé des orateurs juif, orthodoxe russe, musulman et protestant pour discuter de la place des religions dans la société française. Les intervenants ont en général reconnu la nécessité du dialogue et de définir des points communs entre les traditions religieuses. Il s’agit de trouver des fondamentaux tout en désirant la différence et «l’inconfort bénéfique d’être dérangé par les croyances de l’autre», a souligné l’aumônière protestante Marion Muller-Colard.
L’intellectuel musulman Mohammed Chirani a eu des mots très durs concernant l’islam radical et Daech (l’acronyme arabe de l’Etat islamique). Il a estimé que la force de ce groupe venait principalement de son aptitude à donner du sens à la vie de jeunes victimes d’une «faille identitaire». Les djihadistes parviennent à faire surgir un caractère sacré de leur violence, de leur haine, de leur situation de rupture», a asséné l’intellectuel musulman.
Pour lui, c’est principalement sur internet, où sa propagande est massive, qu’il faut contrer Daech. Il s’agit également de parler aux jeunes de manière simple pour les déradicaliser et, sur le plan religieux, de remettre en cause le caractère universel et divin de l’ensemble du Coran.
Salomon Malka, représentant du judaïsme, a appuyé les propos de l’intervenant musulman en affirmant que l’islam éclairé avait un rôle historique à jouer en France.
Mohammed Chirani a finalement cité une phrase de Martin Luther King qui a provoqué les applaudissements fournis de l’audience: «Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots». (cath.ch-apic/rz)
Raphaël Zbinden
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