Clément Wieilly: Le Fribourgeois veut faire bouger les choses en faveur de «l’enfance volée»

Depuis le 14 mai 2014, date de la fondation à Fribourg de l’Association Agir pour La Dignité (APLD), qui lutte pour restaurer les droits de «l’enfance volée», des centaines de personnes ont fait appel à Clément Wieilly, initiateur de cette démarche militante. Lui-même a été placé une dizaine d’années en orphelinat avec ses frères et sa sœur alors qu’il avait encore des parents vivant en situation très précaire.

Sa mère avait demandé en vain aux autorités une aide financière pour ses enfants. Début des années 1950, ses parents s’étaient vu retirer leur droit de garde sans qu’une justification figure dans les dossiers. En fouillant les archives, Clément Wieilly a découvert qu’il avait une sœur, Charlotte, morte de faim à 5 mois, dans sa poussette, en 1947… «Ma mère, je l’ai revue pour la première fois sur son lit de mort, alors qu’elle avait 42 ans».

«Quand on est orphelin, on a une étiquette dans le dos»

Celui qui fut prof de sport à l’Etat de Vaud après avoir fréquenté l’Ecole fédérale de sport de Macolin en 1980, avant de travailler au Centre de loisirs de Corminboeuf, dit n’avoir jamais reçu de place à l’Etat de Fribourg. «On regarde nos dossiers, et, quand on est orphelin, on a une étiquette dans le dos». Dans sa jeunesse, il avait fait un apprentissage de ferblantier installateur, mais avait dû arrêter après son armée, souffrant d’arthrose aux genoux.

«Cela est dû à la maltraitance durant l’enfance. On avait seulement de petits shorts, de mars à octobre. Quand je travaillais à la ferme, il n’y avait ni gants, ni veste, ni bonnet… J’ai souffert du froid. Je me levais à 5h30 du matin. Il fallait «maniller» les vaches avant la traite, aller couler le lait, nettoyer l’écurie et déjeuner, avant de se rendre à l’école». Pas étonnant que l’enfant dormait sur les bancs de l’école: «J’étais crevé! C’était du travail pénible, alors que j’étais en pleine croissance….»

«J’ai découvert l’existence de ma sœur dans les archives»

Le Fribourgeois, âgé aujourd’hui de 61 ans, aime gratter sa guitare quand il a un moment pour lui. «J’ai fait une année de Conservatoire à Fribourg, le reste, je l’ai appris tout seul». Mais depuis octobre 2013, Clément Wieilly n’a plus tellement de temps: il se démène pour faire reconnaître l’injustice infligée à ces enfants de pauvres placés en orphelinat, ayant subi la maltraitance et laissés dans l’ignorance de l’existence de frères ou de sœurs, qu’ils finissent pas découvrir, en fouillant les archives des institutions et des administrations. «J’avais une autre sœur, Madelaine, dont j’ai découvert l’existence dans les archives. Je l’ai retrouvée l’an dernier, je ne l’avais jamais vu auparavant!»

Pour venir en aide aux «survivants» désormais âgés, des personnes qui ont été internées, battues, abusées – parfois sexuellement -, qui ont subi toutes sortes de maltraitances physiques et morales, il veut agir maintenant, car les victimes, dont un grand nombre sont déjà relativement âgées ou en difficulté financière, ont des besoins urgents.

«Il faut agir avant qu’elles ne décèdent toutes»

«Il faut agir avant qu’elles ne décèdent toutes. L’aide d’urgence, moins de 8 millions de francs, est insuffisante. Il fallait encore que les gens fournissent des dossiers, et répondent à des critères précis, pour recevoir entre 4’000 e 12’000 francs. Cette aide immédiate concerne 25’000 victimes».

«Certaines victimes n’ont encore rien reçu, alors qu’elles ont besoin d’un peu d’argent pour pouvoir respirer. L’argent que j’ai reçu de l’aide immédiate, ce n’était pas pour aller boire un café. Je l’ai utilisé pour la cause, via l’achat d’une voiture. J’ai voyagé partout, dans les villages les plus reculés pour trouver les gens qui m’appelaient, j’ai déjà parcouru 30’000 kilomètres avec ma voiture…»

Simonetta Sommaruga a demandé pardon aux victimes

Certes, en avril 2013, une cérémonie de commémoration s’est tenue à Berne en l’honneur de toutes les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux. A cette occasion, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a demandé pardon aux victimes, au nom de la Confédération, pour le tort qui leur a été infligé. Des excuses ont été également présentées par des représentants des villes, des communes, des cantons, des églises nationales, des institutions et de l’Union suisse des paysans, car l’agriculture, à l’époque, a largement utilisée cette main d’œuvre bon marché. Les filles étaient placées comme domestiques. Ces enfants étaient également employés à coudre des uniformes pour l’armée, précise Clément Wieilly.

«Ce n’est pas des excuses que nous voulons, mais des réparations»

«Nous avons été reconnus comme victimes, mais ce n’est pas des excuses que nous voulons, mais des réparations. Aujourd’hui, suite à une interview avec Swissinfo, je reçois des courriels des 5 continents, des demandes d’archives, des appels au secours de Suisses partis à l’étranger, fuyant à l’époque la misère. On ne peut laisser ces gens dans l’indifférence, après 70 ans de galère…»

«La Confédération a un système d’indemnisation très lent, on lambine, on laisse mourir les gens. Des personnes disent que cela ne vaut plus la peine de se battre, car elles vont mourir. Nombre d’entre elles ne peuvent se défendre, elles ne savent ni lire ni écrire, faute d’avoir suivi l’école dans des conditions normales… Le fonds de 300 millions de francs prévu pour indemniser les enfants placés de force dans des foyers est largement insuffisant, c’est de la moquerie!»

Clément Wieilly veut agir tout de suite: il a produit une première chanson, »Espoir»,  au studio de Dom Torche, à Belfaux, pour, par la suite, créer un CD de 12 chansons avec divers auteurs. Il se démène pour les vendre, dans le but de dégager des fonds pour aider les survivants des placements forcés.

Il voulait vendre 20’000 CD avant Noël – dont 10 francs iraient immédiatement aux victimes, pour aider par exemple à payer une cure, une chaise roulante, ou financer d’autres besoins non couverts par les assurances sociales. Mais, confie-t-il, il n’en a vendu que 150, et il en a environ encore 800 chez lui. La maquette du CD est en Allemagne, en attendant les commandes. Clément Wieilly a le souhait de créer une fondation, pour recueillir les dons destinés aux victimes de l'»enfance volée». (cath.ch-apic/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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