Le phénomène de l’accaparement des terres est un fléau qui continue à ravager les pays du Sud, ont martelé la douzaine d’experts qui ont pris la parole dans un auditoire de l’Université de Berne comble. De grandes compagnies, souvent étrangères, s’approprient des territoires gigantesques pour l’extraction minière ou l’agriculture de masse. En résultent expropriations, violations des droits humains et dommages à l’environnement.
Les experts, du Sud et du Nord, répartis en trois panels, ont considéré le phénomène sous trois angles différents pour établir les problématiques et suggérer des voies de solution.
Le premier groupe de spécialistes a examiné les opportunités offertes par les ‘Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale’. Approuvé en mai 2012 à Rome par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’accord énonce les principes et pratiques pouvant servir de référence aux gouvernements lors de l’élaboration des lois et de l’administration des droits relatifs aux terres, aux pêches et aux forêts. Leur but est, selon la FAO, de promouvoir la sécurité alimentaire et le développement durable en améliorant la sécurité d’accès aux terres, aux pêches et aux forêts, et en protégeant les droits de millions de personnes souvent très pauvres.
Christina Blank, représentante adjointe permanente de la Suisse à la FAO, a souligné le progrès que constitue l’adoption de ces directives. Elle a cependant averti que leur application allait, selon toute probabilité, demander de longues années d’efforts. La principale utilité de ce document est de servir de référence pour mesurer le degré de responsabilité d’une entreprise ou d’un gouvernement. Il permet de faire pression sur les acteurs économiques et politiques qui craindraient, en cas de non respect des règles, de compromettre leur réputation.
Philip Seufert, coordinateur de l’ONG FIAN international, qui lutte pour le droit à une alimentation adéquate, a noté que, pour être efficaces, les directives devaient aussi représenter un intérêt pour les investisseurs. Il a souligné la nécessité de travailler avec les personnes et les Etats directement touchés par l’accaparement des terres.
Les experts ont noté que ces directives mondiales sur les droits à la terre des paysans étaient néanmoins ambiguës et difficilement applicables dans les pays ne respectant pas les libertés fondamentales. En Ethiopie, par exemple, des bailleurs de fonds soutiennent l’application de ces directives auprès du gouvernement alors qu’en parallèle la criminalisation des militants pour l’accès à la terre est constante.
Nyikew Ochala, d’ASO, une ONG éthiopienne défendant les activistes criminalisés, a décrit la répression que subissent les militants, considérés comme des «terroristes» et souvent emprisonnés.
Le second panel d’experts s’est penché sur le dossier des investissements. Elgin Brunner, qui travaille pour une société spécialisée dans les investissements «durables», s’est montrée optimiste dans la capacité de cette nouvelle tendance à responsabiliser les entreprises et à lutter contre l’accaparement des terres.
Elle a été cependant interpellée par Chantal Jacovetti, du mouvement international de défense des paysans La Via campesina, qui a souligné que le problème était moins la qualité des investissements que leurs destinataires. Dénonçant la complaisance des élites dans de nombreux pays envers les grandes compagnies – notamment au Mali, où elle travaille – l’activiste a martelé que les investissements devraient se faire principalement au profit des petits paysans, qui sont les principaux fournisseurs d’alimentation dans les pays en développement.
L’idée a été soutenue par Henk Hobbelink, de l’ONG de soutien aux petits agriculteurs Grain. Il a relevé que, sur place, il n’avait pas constaté beaucoup d’investissements responsables. Dénonçant le fait que les «accapareurs» travaillent essentiellement pour l’exportation et non pas pour nourrir les populations locales, il a suggéré que les investissements servent à assurer aux petits producteurs des terres à la fois plus étendues et de meilleure qualité.
Le dernier panel a scruté la question de la résistance locale contre les élites et les entreprises. Le débat réunissait trois activistes du Sud qui se battent pour les droits des communautés locales. L’assemblée a pu constater que des moyens de lutte créatifs sont mis en place – à l’aide des lois existantes ; à travers le réseautage ou l’organisation de diverses manifestations, notamment en Afrique de l’Ouest et en Indonésie.
Simon Bodea, d’un syndicat paysan du Bénin, a rappelé que les choses ne peuvent réellement changer que lorsque les communautés sont capables de dire ‘non’ et de défendre leur dignité.
Concluant la table ronde par une synthèse des discussions, Elisabeth Bürgi Bonanomi, chercheuse au CDE, a fait écho à ce principe en soulignant que les investissement fonciers, pour être réellement responsables, devaient se faire avec la participation des populations locales. (cath.ch-apic/rz))
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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