«Très peu de gens ont le courage de dire ce qui se passe», déplore cheikh Khaled Bentounès. Le leader spirituel de la confrérie soufie Alawiyya, n’a pas peur, lui, de pointer la filiation idéologique entre les kamikazes de Paris et les oulémas saoudiens. Il s’étonne de l’aveuglement de l’Occident, surtout de la France, à ce sujet. Il note que plusieurs personnalités politiques se sont interrogées, en Allemagne, sur le financement à large échelle des mosquées par l’Arabie saoudite et le fait que de nombreux terroristes considérés comme dangereux viennent de ces communautés. Un politicien du parti de gauche SPD veut même empêcher le royaume wahhabite de financer les mosquées en Allemagne.
Cheikh Bentounès mentionne, a contrario, la réaction de Jack Lang, ancien ministre français de la Culture et président actuel de l’Institut du monde arabe à Paris. Ce dernier avait répondu aux journalistes le questionnant sur les financements de lieux de culte venus du Golfe: «ce n’est pas cela le problème!» Le cheikh soufi rappelle également que Nicolas Sarkozy, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, avait insisté pour qu’on reçoive au mieux le responsable de la Ligue islamique mondiale, largement contrôlée par l’Arabie saoudite. En mai dernier, François Hollande, en déplacement dans le pays, a été reçu à Dariya, la «capitale spirituelle du salafisme». Khaled Bentounès peine à comprendre que, dans les relations internationales, «on ne mesure pas certains actes contre-productifs». Le cheikh souligne ainsi que l’Arabie saoudite est l’un des meilleurs clients de l’industrie française de l’armement.
Il note néanmoins que dans cette dérive salafiste, l’Arabie saoudite n’est pas seule en cause. Les régimes arabes autoritaires ont eux aussi instrumentalisé la religion. L’Occident a sa part de responsabilité avec le legs colonial, ses alliances troubles, ses calculs économiques avoués ou non.
L’Arabie saoudite est cependant aujourd’hui elle-même dépassée et commence à prendre conscience du danger, en particulier de l’Etat islamique (EI), dont la doctrine s’inspire directement du wahhabisme, à travers le salafisme et le takfirisme, qui justifie le meurtre des «infidèles». Khaled Bentounès remarque pourtant que Riyad ne fait rien pour freiner sa propagation d’une lecture rigoriste de l’islam, notamment par le biais de la formation et de l’information. Lors des pèlerinages de La Mecque, le pouvoir continue notamment de distribuer des millions d’ouvrages théologiques dont se réclame également Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’EI.
Face au phénomène actuel du djihadisme, qui est la synthèse du salafisme, de l’expérience militaire acquise en Afghanistan et des frustrations d’une certaine jeunesse musulmane, le leader soufi estime que la réponse ne peut pas être que sécuritaire. Il appelle, pour lutter contre le fondamentalisme religieux, à une mobilisation de même ampleur que contre le réchauffement climatique. Son association internationale soufie Alawiyya (AISA) fait circuler une pétition en faveur d’une «Journée mondiale du vivre ensemble», sous l’égide de l’ONU. (cath.ch-apic/lt/rz)
Raphaël Zbinden
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