Fin décembre 2015, Bai Xueshan, secrétaire du Parti communiste de la ville de Wuzhong, au centre de la Chine, a été démis de ses fonctions et exclu du Parti, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Son tort a été de montrer un peu trop de ferveur pour la pratique du fengshui et les croyances traditionnelles chinoises. D’après la presse nationale, il avait envisagé d’étendre sa ville sur l’autre rive du Fleuve jaune, dans le but de lui apporter bonne fortune, selon les règles du fengshui, la géomancie chinoise qui régit l’organisation harmonieuse de l’espace.
Depuis début 2016, les membres du Parti sont soumis à des règles plus strictes concernant les «superstitions féodales», a indiqué l’agence de presse d’Etat Chine nouvelle. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de la reprise en main généralisée du Parti orchestrée par le président Xi Jinping, à la faveur d’une vaste campagne anti-corruption.
Le secrétaire du Parti de Wuzhong est accusé d’avoir «violé la discipline politique» et d’être un membre «peu engagé» du Parti. On lui reproche d’avoir refusé de coopérer lors d’inspections, mais surtout d’avoir «mené des activités superstitieuses pendant une longue période».
La Commission centrale pour l’inspection de la discipline du Parti, en charge de la campagne anticorruption, mentionne pour la première fois les «activités superstitieuses» comme principal chef d’accusation d’un haut responsable. La commission précise que ces activités pourraient avoir coûté des sommes importantes d’argent public. Bai Xueshan aurait fait détruire et reconstruire à plusieurs reprises des bâtiments parce qu’ils «obstruaient le fengshui».
Depuis toujours, l’adhésion aux croyances populaires chinoises est vue comme une infidélité au Parti, dont la doctrine repose officiellement sur le «marxisme scientifique». Selon la nouvelle règlementation, les membres du Parti qui pratiquent des activités superstitieuses seront avertis, tandis que ceux qui organisent de telles activités risquent l’exclusion, explique Chine nouvelle.
Le langage est cette fois plus ferme que dans la dernière mouture des règles du Parti, en 2003, qui rangeait la «superstition» parmi les pratiques «dérangeant la productivité, le travail, et l’ordre social». Les «superstitions féodales» entrent désormais dans la catégorie des violations de la discipline du Parti.
«Pour un fonctionnaire, ne plus croire au marxisme-léninisme mais au fengshui reflète son manque de foi et ses problèmes de valeurs», estime Zhuang Deshui, vice-directeur du Centre de recherche sur l’intégrité gouvernementale à l’Université de Pékin, cité par Chine nouvelle.
Les principes du fengshui sont pourtant liées au taoïsme, une des cinq religions officiellement reconnues en Chine. L’opposition entre religions et superstitions a donc varié dans l’histoire récente de la Chine. Après l’arrivée des communistes au pouvoir, la mise en place de structures officielles encadrant strictement les cinq religions reconnues (à savoir l’islam, le bouddhisme, le taoïsme, le protestantisme et le catholicisme) a amené les autorités à rejeter tout ce qui n’entrait pas précisément dans ce cadre au rang de «superstitions féodales», ou carrément de sectes combattues avec fermeté.
Pendant la période de la Révolution culturelle (1966-1976), toutes les croyances furent dénoncées et combattues. Après la mort de Mao Zedong en 1976 et l’ouverture politique et économique menée par Deng Xiaoping, les religions reconnues ont pu reprendre leurs activités, bien que sous un strict contrôle des institutions d’Etat. Mais les membres du Parti et les fonctionnaires ont toujours officiellement continué à être interdits de toute pratique religieuse, même si beaucoup, dans leur vie privée, ont renoué avec la religion, assure EdA.
La lutte contre les superstitions, pour les membres du Parti ou pour la population, revient donc régulièrement dans la bouche de hauts responsables, inquiets de voir l’adhésion de la société chinoise aux valeurs du communisme s’effriter. En 2013, Wang Zuo’an, président de l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses, avait regretté publiquement le retour en force des croyances et pratiques superstitieuses. Un phénomène qu’il attribuait à un besoin d’être rassuré dans un pays évoluant rapidement, et face à un monde de plus en plus complexe.
D’autres membres éminents du Parti visés par la campagne anti-corruption ont été accusés de «superstition», parmi des crimes plus graves. Cela a été le cas de Zhou Yongkang, l’ancien ministre de la Sécurité publique et membre du Comité permanent du Bureau politique, purgé l’année dernière. Lors de son procès, un voyant et maître de qigong, pratique méditative, qu’il consultait régulièrement, avait témoigné de ses «pratiques superstitieuses». (cath.ch-apic/eda/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/chine-le-parti-communiste-sattaque-aux-pratiques-superstitieuses/