L'Evangile des Pauvres

«Vous voyez ce Monsieur: s’il s’arrête c’est qu’il sait qu’il peut causer». Sœur Anne est comme cela. Pauvre parmi les pauvres. Disponible. Au café où nous la retrouvons, les gens viennent spontanément lui parler des fêtes qui approchent, du quotidien, des petits et gros tracas.

Mais assez parlé d’elle! Nous resterons évasifs sur sa personne et son ministère. Elle y tient. Nous sommes là pour parler des Pauvres, «avec une majuscule», des marginaux, ceux qui, à l’instar des bergers, sont les premiers à rencontrer l’enfant de Bethléem. «Dites que je suis l’une des leurs et que je leur ressemble». Voilà pour les présentations.

Au cœur de la crèche

«Il faut vivre longtemps avec eux pour recevoir leur richesse», explique-t-elle en sortant de son sac une dizaine de feuilles A4, autant de fioretti conservés comme un trésor d’une vie passée avec les pauvres, «nos frères».

A l’écouter, on plonge dans ce «petitocentrisme» évangélique où la périphérie et ceux qui s’y trouvent reviennent au centre du Royaume de Dieu.

«Je me souviens d’un jour où nous préparions Noël avec un clochard. Il pétrissait de ses mains les personnages de la crèche en terre cuite. Quelle étonnement, quelques temps après, lorsque nous nous sommes rendus compte que tous les personnages avaient son visage. Du chien au petit Jésus: tous lui ressemblaient. C’était lui, il avait intégré le cœur du mystère de Noël», explique sœur Anne qui cite Paul VI avec conviction: «Le pauvre c’est l’image du Christ, c’est un sacrement vivant et c’est un frère».

«A Noël, ils ressentent plus encore qu’ils se situent aux marges d’une société qui festoie»

Un chocolat dans la mangeoire

«Une autre fois, on avait volé le petit Jésus dans une crèche. Un petit pauvre l’a vu, il n’avait rien, juste un petit cœur en chocolat. Il est allé le déposer dans la mangeoire. Vous voyez c’est cela la richesse des pauvres: ce qu’ils ont, ils le donnent».

«Ils nous enseignent une immense vérité, une vérité nue, sous une grande rudesse. Mais derrière, il y a un cœur et beaucoup de tendresse». Elle en est le témoin et le porte-voix.

Bartimée, 2000 ans plus tard

«Et puis vous vous rendez compte, un jour j’ai fait taire un pauvre. J’ai honte, avoue-t-elle empruntée. Il est arrivé en criant: ‘Vous le laissez crever et vous ne faites rien! Vous êtes tous fous!’ Je lui ai dit: ‘Mais qu’est-ce que tu racontes, tu veux bien dire les choses sans crier!’ Son ami était en train de mourir, seul, à l’arrière d’un bus. Moi je l’ai rabroué, comme les disciples avec Bartimée» (l’aveugle-né de l’évangile de Marc, ndlr).

«Mais ensuite, nous sommes allés le voir. Il était effectivement en train de mourir. Eh bien, rendez-vous compte que pendant tout ce temps, chaque cinq minutes, son ami de passage allait remplir un gobelet d’eau et le lui apportait! C’est cette solidarité là que nous apprennent les pauvres».

L’inutile superflu

Pour les rejoindre, il faut plus qu’une certaine charité, il faut être profondément solidaire, être l’un d’entre eux. Et cela va jusque dans les petits détails du quotidien. «J’avais un jour reçu une jolie paire de souliers vernis. Ils étaient surtout confortables. Ce jour-là, quand je suis allée à leur rencontre, ils m’ont dit: ‘ça ne va pas sœur Anne, tu n’es pas bien aujourd’hui?’. Mais quelle horreur! Je me suis empressé de les redonner, ces souliers».

Noël est une période difficile dans la rue. «Ils ressentent plus encore qu’ils se situent aux marges d’une société qui festoie». Il n’est pas question pour autant de ne pas marquer cette fête. «Nous avons joué une petit saynète qui narrait l’histoire d’un pardon: un fils qui retournait chez son père après une longue absence et pas mal de bêtises pour implorer son pardon – qu’il obtient finalement. Il fallait beaucoup de force et d’humilité pour endosser le rôle du fils. Quelqu’un a eu le courage de le faire et tous ont pleuré».

Le ciel: la fête des pauvres

Toutes les histoires ne finissent malheureusement pas toujours aussi bien. Dans ces vies cabossées, la mort revêt parfois l’aspect d’un ultime appel. «Il faut être là, des choses se passent», confie sœur Anne, étonnée d’être régulièrement «au bon endroit, au bon moment». «La mort rassemble les familles dispersées, elle rapproche l’enfant du père, elle ‘reconstruit’ une solidarité perdue».

La petite sœur parle de la mort avec la conviction de la résurrection. «La mort c’est la rencontre définitive avec Dieu et avec tous les amis qui les précèdent. Lorsqu’un pauvre arrive au ciel, c’est la grande fête». Sur quoi fonde-t-elle cette affirmation qui semble tellement évidente? «Sur l’incarnation», confie-t-elle. Celle de Noël, évidemment, et celle qu’elle décèle dans les yeux des pauvres. »Saint Vincent de Paul disait: ‘Quand vous rencontrez un pauvre, vous rencontrez le Christ». (cath.ch-apic/pp)


Rapprochez-vous de la crèche avec cath.ch.

Sur la route vers Noël, la rédaction vous propose une série d’interviews et d’articles autour des personnages de la crèche de Bethléem. Jusqu’à l’épiphanie, allez à la rencontre de l’Enfant Jésus, de Marie, de Joseph, des mages et des bergers – sans oublier l’âne et le boeuf. Ils vous sont présentés par différentes figures de l’Eglise romande. [timeline-:1E206jvv8aCYhen3D5SV-l_C0AUr5HSmT6dizDTVdj5k]

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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