Intitulé «Tendance à l’apostasie et menace de christianisation», le séminaire était organisé par la Faculté des études islamiques contemporaines de l’UiTM (Universiti Teknologi Mara), au sud de Kuala Lumpur, la capitale malaise, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Selon Najah Raihan Sakrani, porte-parole de l’université, le programme du séminaire traitait de divers sujets historiques et contemporains, dont les menaces représentées par l’Etat islamique (EI), les chiites, le terrorisme ou bien encore les croisades. Selon une personne qui a assisté au séminaire, il y a en réalité été question de l’utilisation du mot «Allah» dans la Bible – une polémique récurrente en Malaisie ces dernières années –, du pape, des chrétiens en Indonésie et des croisades. L’un des intervenants au colloque a notamment affirmé que les chrétiens essayaient de convertir les musulmans en recourant aux «trois G», à savoir «Gold, Glory and the Gospel» (l’or, la gloire et l’Evangile).
Le séminaire, auquel ont participé plusieurs centaines de personnes, était réservé aux musulmans et s’est déroulé à huis-clos. «Les étudiants non musulmans en ont été dispensés car nous ne voulions pas créer de controverse et que l’on nous reproche de chercher à les convertir à l’islam», a précisé Najah Raihan Sakrani. Parmi les intervenants figurait un haut responsable de la police de l’Etat de Malacca, membre des services de renseignement. Le fait a été confirmé par le chef de la police de Malacca, qui a estimé légitime que la police participe à un colloque dont l’objet était de «renforcer la foi des musulmans, tout particulièrement au sein de la population estudiantine».
Fondée en 1956, l’UiTM est la plus importante université de Malaisie par la taille. Elle compte pas moins de 4’000 enseignants et 172’000 étudiants. Sa particularité est de ne recruter ses étudiants que parmi les Malais, dans le cadre des mesures de discrimination positive destinées à favoriser l’essor économique et social de la population considérée comme ethniquement malaise. Elle s’était déjà distinguée en mai 2014 en organisant un colloque intitulé «Menaces et défis posés par la christianisation de la Malaisie». Un faux prêtre catholique venu d’Indonésie y avait pris la parole pour «éclairer» les étudiants sur «les dangers de la christianisation» en Asie du Sud-Est. Les protestations avaient alors été virulentes au sein des milieux chrétiens de Malaisie.
Cette fois-ci, les réactions ont une nouvelle fois été vives. La Fédération chrétienne de Malaisie, structure où sont représentées la quasi-totalité des Eglises chrétiennes du pays, a publié le 17 décembre un communiqué pour dénoncer un acte «particulièrement offensant». «Il est parfaitement inacceptable qu’une université publique utilise des fonds gouvernementaux pour mener des activités visant à diaboliser une minorité religieuse», affirme le texte. La Fédération appelle le gouvernement à empêcher de telles activités.
Des voix se sont fait entendre également au sein de la communauté musulmane. Le Front de la renaissance islamique, un think tank fondé en 2009 sous l’égide de l’islamologue suisse Tariq Ramadan, juge que le colloque participe d’une vision selon laquelle les Malais, et notamment les étudiants musulmans, seraient «menacés». «Je ne pense pas que promouvoir une mentalité d’assiégés aidera la Malaisie à atteindre l’objectif que ses gouvernants se sont fixé, à savoir faire du pays une nation développée d’ici à 2020», déclare le directeur du Front, Ahmad Farouk. Selon lui, la supposée christianisation dont serait menacée la Malaisie, où les chrétiens représentent un peu moins de 10% de la population, est utilisée par certains, parmi ceux qui sont au pouvoir, pour s’assurer de leur domination.
Pour les observateurs de la scène politique malaisienne, l’organisation d’un tel colloque est tout sauf innocente. Au sein de l’UMNO, le parti qui dirige le pays depuis l’indépendance, existe une volonté de laisser se développer, voire de favoriser, un discours radical au sein de l’islam malais, souligne EdA. Il s’agirait de rallier un électoral musulman qui pourrait être tenté de se détourner d’un parti usé par des décennies de pouvoir ininterrompu. Après sa récente alliance avec un parti islamiste, l’UMNO joue ouvertement la défense d’une identité nationale qu’il dépeint comme étant islamique, afin de masquer une dérive autoritaire croissante et le discrédit d’un Premier ministre, Najib Razak, affaibli par des soupçons de corruption massive. (cath.ch-apic/eda/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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