Prêtre catholique syriaque, il a été enlevé par des hommes armés dans son monastère de Mar Elian (Saint Julien), dont il était le prieur, dans la ville syrienne d’Al-Qaryatayn, près de Palmyre. Il était également curé de la paroisse syro-catholique de cette ville, peuplée en grande majorité de musulmans sunnites. Il accueillait dans son monastère tant des musulmans que des chrétiens qui avaient besoin d’aide.
Le Père Mourad est resté en captivité durant 4 mois et 20 jours, avant de pouvoir rejoindre, le 10 octobre, ce qu’on peut appeler «le monde libre», note Fady Noun, journaliste au quotidien libanais de langue française «L’Orient-Le Jour». L’éditorialiste a rencontré l’ex-otage de Daech dans le salon de la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation des syriaques-catholiques, à Beyrouth.
Confiné à une salle de bains éclairée seulement par une lucarne haut placée, avec un séminariste qui l’assistait, réduit à un régime fait de riz et d’eau, deux fois par jour, sans électricité ni montre, complètement coupé du monde extérieur, note Fady Noun, il a réussi à rester vigilant et n’a jamais vu sa foi fléchir. «La grâce, ou encore le miracle dont parle le Père Mourad, c’est d’être resté en vie, de n’avoir pas renié sa foi, d’avoir retrouvé la liberté».
«La première semaine a été la plus difficile, raconte-t-il. Après avoir été détenu quelques jours dans une voiture, le dimanche de Pentecôte, on m’emmène à Raqqa. J’ai vécu ces premiers jours de captivité partagé entre la peur, la colère et la honte».
Le grand tournant de sa captivité est associé, relève le Père Mourad, avec l’entrée dans sa cellule, au huitième jour, d’un homme en noir, le visage masqué, comme ceux qui apparaissent dans les vidéos d’exécution de Daech, rapporte le quotidien libanais.
«Mon heure est venue, se dit-il, effrayé. Mais, au contraire, après lui avoir demandé quel était son nom et celui de son compagnon de captivité, l’homme lui adresse un ‘assalam aleïkoun’ de paix et pénètre dans sa cellule. S’engage ensuite un assez long entretien, comme si l’inconnu cherchait réellement à mieux connaître les deux hommes en face de lui. ‘Prends-le comme une retraite spirituelle’, lui répond-il, quand le Père Mourad l’interroge sur les raisons de sa captivité».
«Dès lors, ma prière, mes journées prirent du sens, résume le prêtre syrien. Comment vous expliquer? J’ai senti qu’à travers lui, c’était le Seigneur qui m’adressait cette parole. Ce moment fut d’un grand réconfort». Grâce à la prière, l’otage a pu retrouver la paix.
«On était en mai, le mois de Marie. Nous nous sommes mis à réciter le chapelet, que je ne priais pas beaucoup auparavant. Toute ma relation avec la Vierge en a été renouvelée. La prière de sainte Thérèse d’Avila ‘Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie…’ m’a également soutenu, pour laquelle, une nuit, j’ai fait une mélodie que je me suis mis à fredonner. La prière de Charles de Foucauld m’a aidé à m’abandonner entre les mains du Seigneur, avec la conscience que je n’avais pas le choix. Car tout laissait croire que c’était ou la conversion à l’islam ou la décapitation».
Presque chaque jour, les geôliers pénétraient dans la cellule du Père Mourad et l’interrogeaient sur sa foi. «J’ai vécu chaque jour comme s’il était le dernier. Mais je n’ai pas fléchi. Dieu m’a donné deux choses, le silence et l’amabilité. Je savais que certaines réponses pouvaient les provoquer, que n’importe quel mot peut vous condamner».
Ainsi, on l’a interrogé sur la présence de vin au couvent. L’homme lui a coupé la parole quand le prêtre a commencé à répondre. «Il a jugé mes paroles insupportables. J’étais un ‘infidèle’. Grâce à la prière, aux psaumes, je suis entré dans une paix qui ne m’a plus quitté. Je me souvenais aussi des paroles du Christ dans l’évangile de saint Matthieu: ‘Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous persécutent’. J’étais joyeux de pouvoir vivre concrètement cette parole. Ce n’est pas une petite chose que de pouvoir vivre l’Evangile, en particulier ces versets difficiles, qui étaient théoriques auparavant. Je me suis mis à ressentir de la compassion pour mes ravisseurs».
Au 23e jour de sa captivité, le Père Jacques Mourad est flagellé. «Ils sont entrés soudain. C’était une sorte de mise en scène. La flagellation a duré quelque trente minutes. Le fouet était fait d’un bout de tuyau d’arrosage et de cordes. J’ai eu mal, physiquement, mais en profondeur, j’étais en paix. J’étais dans une grande consolation de savoir que je partageais quelque chose de la souffrance du Christ. J’en étais aussi extrêmement confus, m’en sentant indigne. Je pardonnais à mon bourreau alors même qu’il me fouettait. De temps en temps, je réconfortais d’un sourire le diacre Boutros, mon compagnon de captivité, qui se contenait difficilement de me voir fouetter de la sorte. Par la suite, je me suis rappelé le verset où le Seigneur dit que c’est dans notre faiblesse que sa force se manifeste. J’en étais continuellement étonné, car je me savais faible, spirituellement et physiquement».
La grande peur, le Père Mourad l’a connue peu après, quand un homme armé d’un poignard est entré dans sa cellule. «J’ai alors senti sur mon cou le fil du couteau et j’ai eu le sentiment que le compte à rebours pour mon simulacre d’exécution avait commencé. Dans ma frayeur, je me suis recommandé à la miséricorde de Dieu. Mais ce ne fut qu’un éprouvant simulacre».
Le 4 août, le groupe djihadiste prend le contrôle de Palmyre et d’Al-Qaryatayn. Le lendemain, à l’aube, il prend en otage quelque 250 personnes, qui sont conduites à Palmyre. Le 11 août, le Père Jacques Mourad et son compagnon en prennent eux-mêmes le chemin. «Un cheikh saoudien est entré dans notre cellule. ‘Tu es Baba Jacques?’, fait-il, ‘allez, viens ! Les chrétiens d’Al-Qaryatayn nous ont cassé la tête en nous parlant de toi !'». Le prêtre a alors pensé qu’il allait être exécuté.
«A bord d’un van, nous avons roulé quatre heures durant. Passé Palmyre, nous nous sommes engagés sur un chemin de montagne conduisant à un bâtiment fermé par une grande porte en fer. Elle s’ouvre, et qu’est-ce que je vois? La population d’Al-Qaryatayn toute entière, stupéfaite de me voir. Ce fut un moment d’indicible souffrance pour moi. Pour eux, un extraordinaire moment de joie».
Vingt jours plus tard, le 1er septembre, les otages sont ramenés à Al-Qaryatayn, libres, mais avec interdiction de quitter le village. Un contrat religieux collectif est signé: «Nous étions désormais sous leur protection (»ahl zemmé»), moyennant le paiement d’une taxe spéciale (»jizya») dont doivent s’acquitter les non-musulmans. Nous pouvions même pratiquer nos rites, à condition que cela ne scandalise pas des musulmans». Lors du décès de l’une de ses paroissiennes, morte d’un cancer, le prêtre se rend au cimetière, proche du couvent de Mar Elian, que les djihadistes venaient de raser au bulldozer.
Bravant l’interdiction de quitter Qaryatayn, le Père Jacques Mourad a trouvé le moyen de s’enfuir et dit éprouver de la compassion pour ses ravisseurs. «Ce sentiment vient de ma contemplation du regard que Dieu porte sur eux, malgré leur violence, comme Il le porte sur tout homme: un regard de pure miséricorde, sans le moindre désir de vengeance».
Lui qui fut moine au monastère de Mar Moussa, fondé par le Père jésuite italien Paolo Dall’Oglio, disparu à Raqqa, fief de Daech, en juillet 2013, demande que l’on continue à prier pour les évêques orthodoxes – Mgr Boulos Yazigi et Mgr Yohanna Ibrahim – enlevés par les djihadistes le 22 avril 2013 près d’Alep. Auparavant, le 9 février 2013, deux prêtres, le Père Michel Kayyal, arménien catholique, et le Père Maher Mahfouz, grec-orthodoxe, avaient été séquestrés par des djihadistes. Aucune information sur le sort de ces religieux n’a été publiée depuis cette date. (cath.ch-apic/be)
Jacques Berset
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