«Ma guérison physique fut un défi. Ma vie dans un nouveau pays fut un défi. Pardonner à ceux qui m’ont infligé ces souffrances fut un défi encore plus grand», un léger sourire et la voix sereine, Kim Phuc Phan Thi résume un destin aussi douloureux qu’exceptionnel. Survivante du bombardement, en 1972, de son village par l’aviation sud-vietnamienne, elle fut immortalisée par Nick Ut, photographe de l’agence Associated Press, courant sur une route, nue, grièvement brûlée par du napalm. La photo, devenue une icône de l’horreur de la guerre, a fait le tour du monde.
Elle fut transportée à l’hôpital par le photographe. Son état jugé trop grave par les services des urgences, elle fut laissée à son sort. Ses parents la trouvent trois jours plus tard, agonisante à la morgue. Sur l’insistance de Nick Ut, elle fut transférée au service des grands brûlés dans un hôpital de Saïgon et sauvée. «J’ai traversé le feu», témoigne Kim Phuc.
Elle a traversé le feu de la douleur physique. La guérison fut longue, douloureuse -le napalm brûle à 1’200 degrés- et nécessita 17 opérations. La dernière eu lieu en Allemagne en 1984. Les soins et la rééducation difficile lui prirent son enfance. Vint la douleur morale. Elle commença des études de médecine qu’elle dut arrêter, le gouvernement de l’époque se servant d’elle pour sa propagande. Constamment surveillée, elle enchaîna les conférences de presse et n’eut plus de répis pour vivre sereinement. «Je suis devenue une victime une nouvelle fois, je vivais comme un oiseau en cage», soupire-t-elle. Restait la haine, la colère, et le questionnement sur un tel acharnement de la vie. «Je devais changer mon coeur, sinon la haine m’aurait tuée. Je cherchais comment trouver la paix et l’amour».
Elle trouve la réponse à l’âge de 19 ans, dans une bibliothèque, en ouvrant une Bible. «En la lisant, j’ai su que Dieu avait un projet pour ma vie. Tout s’est éclairci, même si la situation n’avait pas changé autour de moi». Elle se convertit. Les épreuves s’enchaînent encore. L’église est fermée par le gouvernement et le pasteur et ses assistants sont condamnés respectivement à six et trois ans de prison. Puis les autorités l’envoient à Cuba poursuivre ses études de médecine en 1986, en fait une manière de l’éloigner et de la contrôler. Seule, sans amis, surveillée et dans l’impossibilité de pratiquer sa foi, elle doit en plus rendre des rapports hebdomadaires sur ses activités.
«J’avais un secret, raconte-t-elle sur le ton de la confidence à l’assemblée, une petite Bible qui m’a permis de tenir. Ses problèmes de santé la forcent à arrêter définitivement ses études de médecine. «Il fallait que je trouve un nouveau rêve». Elle s’accroche, se lance dans des études d’Espagnol et pense à passer à l’Ouest. Une opportunité se présente avec son voyage de noces à Moscou. L’escale technique du vol retour, au Canada, lui permet de fuir et de se réfugier dans le pays avec son mari. «Cette heure m’a paru aussi longue que toute ma vie», se souvient Kim Phuc. Elle commence sa nouvelle vie: «En fuyant l’aéroport, nous avons tout laissé dans l’avion: affaires, argent. Nous avons recommencé à zéro sans rien, mais j’avais la foi».
«Le plus difficile dans cette vie, fut de pardonner. Cela me semblait impossible et je ne savais comment faire. Les cicatrices n’étaient pas que physiques. Je portais en moi de telles douleurs morales et émotionnelles», déplore-t-elle. Kim Phuc trouve son salut dans la prière et y ajoute une méthode concrète pour changer d’attitude dans la vie. Arrêter de dire «pourquoi moi?», demander de faire confiance et obéir à Dieu et être positive. «J’ai commencé à compter toutes les bénédictions que j’ai reçues et j’ai arrêté de me plaindre», confie-t-elle.
Il lui fallait évacuer le trop plein de haine, de colère. Démonstration à l’appui, elle transvase un verre de café noir, symbolisant la noirceur de son âme, dans un verre. Elle concrétise la façon dont la prière l’a aidé à évacuer les pensées négatives, puis remplissant le verre d’eau, elle symbolise les grâces reçues de Dieu: joie, paix, amour et pardon. On frise le show. Une démonstration dont on se serait passée, tant la fameuse photo projetée à l’écran et la diffusion de l’extrait, durant la conférence, de la scène filmée à l’époque sont éloquentes. «La première fois que j’ai vu la photo, je me suis sentie très gênée. Plus tard j’ai pris conscience que cette photo était un immense cadeau. J’ai pu travailler pour le bien. C’était ma vie», raconte-t-elle à cath.ch. Elle s’est emparée de cette photo et en a fait son chemin vers le pardon.
La sincérité ni la foi profonde de cette rescapée de l’enfer ne peuvent être mises en doute. Son chemin vers la miséricorde est exceptionnel. Demeurant dans le témoignage, Kim Phuc évite le pathos. Plus proche de l’auditoire, elle reconnaît qu’il n’est «pas nécessaire de vivre la guerre pour désespérer» et que certains, dans cette salle, font face au chômage, à la maladie et à la colère: des bombes qui ont explosé dans leur cœur. «S’il vous plaît, venez à Jésus et laissez-le vider votre verre, il fera de vous une nouvelle création», conclut-elle.
Kim Phuc vit aujourd’hui au Canada, dans la banlieue de Toronto. Mariée, elle est maman de deux fils de 18 et 21 ans. Elle s’occupe de la fondation qui porte son nom et qui vient en aide aux enfants victimes de la guerre. (cath.ch-apic/bh)
Bernard Hallet
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