Comme souvent dans l’histoire du christianisme, les fêtes chrétiennes ont été mises en place par l’Eglise pour concurrencer les fêtes païennes. La Toussaint ne fait pas exception.
Sur le continent européen, la commémoration des morts trouverait ses racines dans la fête des Lemuria, célébrée dans la Rome antique. Dans la mythologie romaine, les lémures sont des âmes damnées d’hommes et de femmes ne pouvant trouver le repos car ils ont connu une mort tragique ou particulièrement violente. Ils viennent souvent hanter les demeures des vivants. Pour les mettre en fuite (car leur révocation n’est pas possible), le peuple romain célébrait la fête des Lémuria les 9, 11 et 13 mai.
L’Eglise catholique s’empare officiellement de cette fête sous le pape Boniface IV au VIIe siècle, lorsque le souverain pontife consacre à tous les martyrs chrétiens l’édifice religieux qu’est le Panthéon de Rome. La fête de la Toussaint fut alors célébrée le 13 mai, date de sa dédicace.
D’après les historiens, c’est certainement à partir du VIIIe siècle qu’elle est fêtée le 1er novembre, lorsque le pape Grégoire III dédicace, en l’honneur de tous les saints, une chapelle de la basilique Saint-Pierre de Rome. En 835, le pape Grégoire IV ordonne que cette fête soit célébrée dans le monde entier.
Dédiée à tous les saints, ceux qui ont été canonisés tout comme ceux qui «partagent la vie, le bonheur et la sainteté de Dieu», cette fête rappelle à tous les fidèles la vocation universelle à la sainteté. «D’où son développement vers une appropriation sociale. La Toussaint a une portée identitaire pour la famille, surtout au XIXe siècle», souligne Christian Grosse, professeur d’histoire et d’anthropologie des christianismes modernes à l’Université de Lausanne (UNIL).
On a par la suite ajouté la Commémoration des fidèles défunts, fêtée le lendemain et inaugurée par Odilon, abbé de Cluny, au XIe siècle. Cependant, du fait qu’en France et ailleurs, le 1er novembre, jour de la Toussaint, est un jour férié, l’usage s’est établi de commémorer les morts ce jour au lieu du 2 novembre, avec la tradition multiséculaire des bougies et lumignons allumés dans les cimetières et, depuis le XIXe siècle, le fleurissement des tombes avec des chrysanthèmes. Ces deux gestes symbolisent la vie heureuse après la mort.
Aujourd’hui, ce rituel s’est quelque peu érodé en dehors des régions de tradition catholique. Pour Christian Grosse, l’appauvrissement de la vie familiale due à l’urbanisation du XXe siècle et la médicalisation de la mort sont responsables de ce phénomène de désaffection des rites funéraires. «Depuis les années 1950, on meurt à l’hôpital et non plus à la maison. Aujourd’hui, on peut très bien passer toute sa vie sans avoir vu un mort», explique-t-il.
Version anglo-saxonne de la Toussaint, la fête d’Halloween (en ancien anglais «All Hallows Eve» signifie littéralement «le soir de tous les saints»), reste très populaire en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles, aux Etats-Unis et au Canada. Ses coutumes diffèrent quelque peu en raison des origines de la fête, à laquelle on attribue une lointaine origine celtique.
La majorité des sources présentent en effet Halloween comme un héritage de la fête païenne de Samain célébrée le 1er novembre par les Celtes, et qui constituait une sorte de fête du Nouvel an. Du VIIIe siècle av. J.-C. jusqu’au IIIe siècle ap. J.-C, les druides célébraient pendant sept jours (le jour de Samain lui-même, trois jours avant et trois jours après) le début de la saison «sombre» de l’année celtique (pour les Celtes, l’année était composée de deux saisons: une saison sombre et une saison claire).
La christianisation de la fête n’a pas étouffé le côté festif des origines dans les îles anglo-celtes. Les coutumes pratiquées à Halloween, contrairement à l’Europe continentale, sont en effet restées joyeuses et ludiques.
La tradition moderne la plus connue veut d’ailleurs que les enfants se déguisent avec des costumes destinés à faire peur (fantômes, sorcières, monstres, vampires, … ) et aillent sonner aux portes en demandant aux adultes, souvent eux-mêmes déguisés, des bonbons, des fruits ou de l’argent avec la formule: «Trick or treat!» (»Farce ou friandise!»).
Autre différence par rapport au continent, la fête est célébrée le soir du 31 octobre. Pourquoi? «Halloween est connue jusqu’à nos jours sous le nom de «Oiche Shamhna» en gaélique, ce qui signifie ›la nuit avant Samain’», rappelle Justin Dolan, chargé des affaires culturelles à l’ambassade d’Irlande à Berne.
Au début des années 2000, d’aucuns ont vu d’un mauvais œil l’arrivée d’Halloween sur le vieux continent. L’importation n’a été en effet que commerciale. «Il manquait l’enracinement culturel de ces pratiques», analyse Justin Dolan. «Halloween est une fête très spéciale en Irlande. Ce n’est pas seulement une soirée de déguisement. Il y a aussi toute une tradition culinaire, la fête étant liée à l’origine à l’agriculture», raconte-t-il.
Le plat traditionnel irlandais d’Halloween se nomme «Colcannon», un mélange de patates, de choux frisés et d’oignons. Des pièces de monnaie sont cachées dans les patates pour les enfants.
Et comme dessert, il y a le «Barnbrack Cake». Lors de la préparation, on cache dans la pâte une pièce, une bague et un bout de chiffon. Chaque membre de la famille en reçoit une tranche. Celui qui tombe sur le chiffon souffrira d’un manque de chance pour l’année à venir. La pièce de monnaie promet une année prospère, tandis que la bague est le signe certain d’une romance ou de bonheur éternel. Les voisins se joignent généralement à la fête. «Après leur départ, les jeux d’Halloween commencent. Le plus populaire d’entre eux est le ›Snap Apple’, qui consiste à attraper avec les dents une pomme qui flotte dans un bac rempli d’eau», poursuit Justin Dolan.
Echos du passé celtique irlandais, de grands feux, appelés «Halloween bonfire», sont allumés un peu partout. Les participants sont incités à jeter dans les flammes une mèche de leurs cheveux pour qu’ils puissent rêver durant la nuit de leur futur/e amoureux/se.
Encadré 1
La légende de Jack-O’-LanternJack-O’-Lantern est probablement le personnage le plus populaire associé à l’Halloween. Il provient d’un vieux conte irlandais.
Jack aurait été un avare, un personnage ivrogne, méchant et égocentrique. Un soir, alors qu’il était dans une taverne, le diable lui apparut et lui réclama son âme. Jack demande au diable de lui offrir un dernier verre avant de partir pour l’enfer. Le diable accepte et se transforme en pièce de six pence. Jack la saisit et la place immédiatement dans sa bourse. Cette dernière ayant une serrure en forme de croix, le diable ne peut s’en échapper.
Finalement, Jack accepte de libérer le diable, à condition que ce dernier lui accorde un an de plus à vivre. Douze mois plus tard, Jack fait une autre farce au diable, le laissant en haut d’un arbre (sur lequel il avait gravé une croix grâce à son couteau) avec la promesse qu’il ne le poursuivrait plus.
Lorsque Jack meurt, l’entrée au paradis lui est refusée, et le diable refuse également de le laisser entrer en enfer.
Jack réussit néanmoins à convaincre le diable de lui donner un morceau de charbon ardent afin d’éclairer son chemin dans le noir. Il place le charbon dans un navet creusé en guise de lanterne et est condamné à errer sans but, jusqu’au jour du jugement dernier. Il est alors nommé Jack-O’-lantern (Jack à la lanterne). Il réapparaît chaque année, le jour de sa mort, à Halloween. Lorsque Halloween arriva aux Etats-Unis, le navet fut remplacé par une citrouille, plus facile à sculpter.
Encadré 2
Dictons régionaux sur la ToussaintLabours et semailles:
– «De Saint Michel à la Toussaint, laboure grand train»
– «A la Toussaint, sème ton grain»
– «A la Toussaint, manchons au bras, gants aux mains»
– «A la Toussaint blé semé, aussi le fruit enfermé (ou les fruits serrés)».
Météo:
– «A la Toussaint, commence l’été de la Saint-Martin»
– Contraire: «A la Toussaint, le froid revient et met l’hiver en train».
– «S’il neige à la Toussaint, l’hiver sera froid», mais «s’il fait soleil à la Toussaint, l’hiver sera précoce», «s’il fait chaud le jour de la Toussaint, il tombe toujours de la neige le lendemain»,
– Telle Toussaint, tel Noël»
– «Givre à la Toussaint, Noël malsain»
– «Autant d’heures de soleil à la Toussaint, autant de semaines à souffler dans ses mains»
– «Suivant le temps de la Toussaint, l’hiver sera ou non malsain»
– «De la Toussaint à la fin de l’Avent, jamais trop de pluie ou de vent»
– «Vent de Toussaint, terreur du marin»
– «Le vent souffle les trois quarts de l’année comme il souffle la veille de la Toussaint».
Jour des morts:
– La Toussaint venue, laisse ta charrue»
– «Le jour des morts ne remue pas la terre, si tu ne veux sortir les ossements de tes pères»
Encadré 3
Recette du Barnbrack Cake
900 g de pain,
225 g de farine,
2 cuillères à café de poudre à lever,
375 g de mélange de fruits secs,
250 ml de thé froid,
50 ml de whiskey,
125 g de sucre brun,
1 œuf,
½ cuillère à café de mélange d’épices.
Mélangez dans un bol les fruits secs, le whisky et le thé froid. Laissez reposer toute une nuit.
Préchauffez le four à 170 degrés. Emiettez le pain dans un plat à gâteau.
Dans un bol, mélangez la farine, la poudre à lever, le sucre et les épices. Ajoutez l’œuf et un peu du liquide dans lequel macèrent les fruits secs. Ajoutez ensuite les fruits secs, la pièce de monnaie, le morceau de chiffon et la bague.
Versez le mélange sur le pain émietté. Placez le plat dans le four et laissez cuire pendant une heure. Retirez ensuite du four, laissez refroidir, coupez en tranches.
(apic/cw/bb)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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