«Si la théologie de la Libération est morte, je n’ai pas été invitée à son enterrement. Alors je continue à croire bêtement qu’elle existe toujours!» A elle seule, la boutade du théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, accueillie par des salves de rires, pourrait résumer le climat de confiance et d’optimisme qui a régné durant le second Congrès continental de théologie, qui s’est déroulé du 26 au 30 octobre 2015, à Belo Horizonte, au sud-est du Brésil. Organisé par «Amerindia», un réseau composé d’évêques, de théologiens, de chercheurs en sciences sociales, de religieux et de laïcs engagés dans l’Eglise et avec de nombreux mouvements sociaux, cette seconde édition avait pour thème «L’Eglise qui avance avec l’Esprit et à partir des pauvres».
Objectif affiché des organisateurs: discerner, à partir de la Parole de Dieu, la présence de l’Esprit-Saint à l’intérieur de pratiques de solidarité avec les exclus, et réfléchir au nécessaire défi de réformer l’Eglise. «Le premier Congrès, organisé en 2012, avait été très important car il s’était déroulé dans un contexte que l’on pourrait qualifier ‘d’hiver ecclésial’, a rappelé Socorro Martinez, l’une des coordinatrices d’Amerindia. Il était alors crucial de réaffirmer la force de la théologie latino-américaine et en particulier de la théologie de la Libération, 50 ans après l’ouverture de Vatican II».
Ce 2ème Congrès avait donc une saveur toute particulière pour les quelques 300 participants. La raison tient évidemment à l’élection, en 2013, d’un pape Latino-américain. «Le pape François a indéniablement impulsé un nouveau souffle à l’Eglise continentale et mondiale et a amené avec lui des changements significatifs dans le contexte ecclésial, précise Pablo Bonavía, membre de la Commission d’organisation du Congrès continental. Un avis partagé par Cecilia Tovar, théologienne péruvienne, qui estime que le Saint-Père s’est rapidement imposé comme un «acteur très important de la scène internationale qui propage l’idée de la miséricorde, d’un Dieu non pas punitif mais miséricordieux».
Mais ce qui a le plus ravi et renforcé les théologiens et les hommes d’Eglise latino-américains que nous sommes, a indiqué le théologien chilien Pablo Richard, c’est que, dès ses premiers mots, François a appelé de ses vœux une Eglise des pauvres pour les pauvres, telle que nous l’avons toujours prônée». Un souhait qui passe par la compréhension et la transformation à partir de la solidarité, avec la clameur des exclus et avec la Terre Mère. «Nous sommes dans cette transition, a souligné Cecilia Tovar. Et l’un des défis majeurs est de concrétiser ce désir d’une Eglise des pauvres pour les pauvres».
D’où l’importance de la réforme de l’Eglise souhaitée par le Saint-Père. Une réforme qui ne peut se réaliser qu’en respectant la diversité des sensibilités ecclésiales existantes aujourd’hui, ont rappelé la majorité des intervenants. Parmi eux, Oscar Beozzo, historien et théologien brésilien qui, au cours de son intervention intitulée «Les différents modèles d’Eglise aujourd’hui en Amérique latine», a rappelé que «la grande diversité de sensibilités ecclésiales était un élément déjà présent dès le début de l’histoire des communautés chrétiennes». En s’appuyant sur ce constat, il a rappelé que le continent latino-américain, lui aussi, possédait ses propres spécificités.
«Notre expérience chrétienne sur le plan historique est très différente de l’Europe, par exemple. Nous sommes nés dans un contexte ou foi et politique étaient liées. Mais cette foi est venue avec l’Empire». Conséquence? «Les peuples natifs ont été exploités et massacrés. La foi et l’esclavage a fait partie intégrante de cette histoire. Nous sommes le fruit d’un Empire où tout ce qui était découvert se tournait en marchandises. Mais surtout, a martelé Oscar Beozzo, le processus d’évangélisation à travers le mode apostolique a été abandonné, car la foi chrétienne a été imposée par la force».
Cinq siècles plus tard, le continent latino-américain est encore porteur de ces stigmates. Le politologue mexicain Juan Luis Hernandez a ainsi rappelé, chiffres à l’appui, (n.d.l.r. lors de sa conférence «Amérique latine: l’action de l’Esprit entre douleur et espérance», que trois traits particuliers caractérisaient l’Amérique latine: les inégalités, la violence et le… catholicisme». D’où la nécessité pour l’Eglise catholique continentale, face au discrédit des Etats et des institutions, de jouer son rôle prophétique «en dénonçant, mais aussi en annonçant la parole de Dieu», comme le suggère le théologien salvadorien Juan Hernandez Pico. Et en se tenant au côté des plus pauvres.
Gustavo Gutiérrez, le «père» de la théologie latino-américaine en est évidemment le premier convaincu. «On ne peut pas s’habituer à cette terrible pauvreté sur notre continent», a t il déclaré lors de la Conférence intitulée: «L’Esprit et l’autorité des pauvres». Rappelant que «la pauvreté est contre la vie, qu’elle constitue une mort physique et culturelle, et qu’elle est à ce titre l’échec de la Création», il a notamment rendu hommage au combat de Mgr Romero au côté des pauvres, en cette année de béatification de l’archevêque de San Salvador, assassiné en mars 1980.
Durant les cinq jours de ce Congrès, les participants ont également pu échanger expériences et réflexions sur des thématiques plus spécifiques dans le cadre d’une quinzaine d’ateliers, comme par exemple «Migrants», «Eco-théologie», «Droit urbain», «Cosmovision Indigène, défis et possibilités», ou encore «Femmes et réforme de l’Eglise». De quoi confirmer que l’Eglise latino-américaine dispose de multiples domaines de travail pour être présente au côté des plus pauvres et continuer à développer sa doctrine sociale, en s’inspirant de la détermination du pape François. «Mais en prenant garde, comme le souligne le théologien argentin Carlos Schickendantz, de ne pas tomber dans la ‘papôlatrie'».(apic/jcg/rz)
Raphaël Zbinden
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