«Sans la Shoah, Nostra Ætate n’aurait pas vu le jour»

Fribourg, 28.10.2015 (cath.ch-apic) Nostra Ætate, l’un des 16 textes du Concile Vatican II fête ses 50 ans. «Cette déclaration, qui a ouvert l’Eglise catholique au dialogue inter-religieux, lui a surtout permis de s’affranchir de l’antisémitisme» précise Jean-Blaise Fellay, jésuite et historien de l’Eglise. Publiée le 28 octobre 1965, Nostra Ætate est un aboutissement de vingt ans de réflexions entre juifs et chrétiens, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale.

«Pour résumer les choses ainsi, le christianisme est né d’une scission d’avec le judaïsme, explique Jean-Blaise Fellay, et tout au long de l’Histoire, les chrétiens ont tenu les juifs pour responsables de la mort de Jésus-Christ». Si l’antisémitisme est resté ancré dans l’esprit des chrétiens à travers les siècle, il a été bouleversé suite à l’extermination massive des juifs par les nazis. «Sans la Shoah, Nostra Ætate n’aurait pas vu le jour», lance l’historien de l’Eglise. Une réelle prise de conscience a été provoquée suite à ce terrible événement.

La Conférence de Seelisberg

En 1947 se tenait la Conférence de Seelisberg, en Suisse, pour étudier les causes chrétiennes de l’antisémitisme. Cette rencontre internationale dans le canton d’Uri, a réunis des juifs, des protestants et des catholiques. Ensemble, ils n’ont pas seulement étudié les causes de l’antisémitisme. Ils se sont mis d’accord sur dix thèses, qui encouragent l’amour fraternel judéo-chrétien. Parmi les participants catholiques, on compte la présence de l’abbé Charles Journet. Une fois créé cardinal, ce professeur de théologie à Fribourg a participé activement au Concile et a signé entre autres la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanæ, le 7 décembre 1965. Amené dans la réflexion de la Conférence de Seelisberg, un des points disait: «la Croix, qui nous sauve tous, révèle que c’est à cause de nos péchés à tous que le Christ est mort», indiquant ainsi que toute l’humanité est responsable de la mort du Christ, et non le peuple juif seul.

L’Eglise a révisé son catéchisme

Pour Jean-Blaise Fellay, l’esprit de Nostra Ætate se résume à extirper de la mentalité catholique ce qui incite à la haine des juifs. Un esprit qui s’est mis en place dans le cadre des renouveaux liturgique et biblique. Concrètement, l’Eglise a retiré des textes liturgiques toutes les mentions de «perfide et déicide» à l’égard du peuple juif. Elle a réintroduit des lectures de l’Ancien Testament pendant la messe. Elle a révisé son catéchisme, afin que des jeunes ne soient plus éduqués à voir les juifs comme des ennemis de Jésus. «Il fallait comprendre que le mépris des juifs ne permettait pas aux chrétiens d’être chrétiens», soutient l’historien jésuite, «et imiter l’attitude du Christ qui, lui-même juif, n’a jamais poussé à la vengeance».

Les opposants ont fini par se séparer de l’Eglise

Proposée par le cardinal Augustin Bea, jésuite allemand, Nostra Ætate a été adopté par une écrasante majorité des Pères conciliaires. «La plupart des opposants à cette déclaration sont ceux qui étaient contre la réforme liturgique, et qui ont fini par se séparer de l’Eglise, à la suite de Mgr Lefebvre», constate Jean-Blaise Fellay. Pour l’historien de l’Eglise, ces opposants se rattachaient aux courants du nationalisme intégral, comme les «Maurrassiens» en France, qui étaient ouvertement antisémites. Ils considéraient les juifs, cosmopolites, comme les ennemis de la nation française. Ces courants n’ont pas admis que l’Eglise considère les juifs comme des frères aînés dans la foi. «Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le saint Concile veut encourager et recommander la connaissance et l’estime mutuelle», peut-on lire dans la déclaration. «Et la suite est connue, une partie de ces courants séparés de l’Eglise est venue s’installer à Ecône» ajoute le Valaisan d’origine.

L’Islam n’était pas un thème

Au départ, Nostra Ætate était uniquement consacrée au dialogue judéo-chrétien, selon la volonté du pape Jean XXIII. C’est pour éviter que le texte n’apparaisse comme un soutien à l’Etat d’Israël, qu’il a été élargi aux autres religions. «L’Eglise a toujours pris position en faveur les droits des deux peuples, modérant Israéliens et Palestiniens, sans favoritisme», révèle Jean-Blaise Fellay. «Mais il faut dire que, durant la Deuxième Guerre Mondiale, les musulmans de la Méditerranée étaient sous le contrôle de l’Europe.» L’Islam n’était donc pas un thème majeur, ni un problème pour l’Eglise. Aujourd’hui, les paramètres ont changé. La place que l’islam occupe dans les esprits est grande. «On pourrait écrire un deuxième chapitre à Nostra Ætate, consacré au dialogue islamo-chrétien», suggère le jésuite.

Un phénomène pacificateur

50 ans après, Nostra Ætate reste un document majeur du Concile Vatican II. «L’esprit fraternel de cette déclaration doit être gardé, vis-à-vis des musulmans et des migrants», recommande Jean-Blaise Fellay. Le jésuite reconnaît cependant que le document pourrait être taxé d’idéaliste. Dans le contexte politique actuel d’affermissement national, comme en Pologne, en Allemagne et en partie en Suisse, il soupçonne même que le texte soit accusé de ne pas suffisamment prendre en compte les droits des autochtones. Mais l’historien croit en sa capacité d’universalisme. «Nostra Ætate est un phénomène pacificateur. Il a mené l’Eglise et le monde à des réflexions politiques et légales. Alors pourquoi pas aujourd’hui encore ?», s’interroge-t-il.(cath.ch/gr)

 

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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