Vous avez parlé d’un instrumentum laboris très fragmenté qui a nécessité un gros travail de restructuration. Est-ce que ce travail n’a pas été une source de perte de temps?
Cela nous a pris du temps mais nous n’en avons pas perdu. Cela nous a donné l’occasion de parler de manière plus profonde et plus réfléchie sur les questions qui étaient posées mais qui étaient très dispersées.
Dans votre groupe, quels thèmes ont obtenu le consensus?
Nous nous sommes mis d’accord pour dire que la famille est une chance pour l’Eglise et pour le monde et que l’Eglise est une chance pour la famille. Elle n’est pas simplement un objet dont l’Eglise doit prendre soin pour l’évangélisation. Elle est le sujet premier de l’évangélisation dans le monde. La famille une mission baptismale d’évangélisation de première importance. L’instrumentum laboris (le document de travail, ndlr) que nous avions entre les mains avait, de l’avis de tous, un côté un peu sombre et négatif. Sa restructuration pour une meilleure compréhension des valeurs que porte la famille a très vite obtenu le consensus. Elle est même devenue un thème de travail. Cette démarche a donné un fil rouge montrant la famille comme la réponse à un appel de Dieu, pour un homme et une femme à un engagement stable et ouvert à la vie.
Sur quels thèmes les échanges ont-ils été les plus difficiles?
Nous avons des échanges assez difficiles sur la question de la conscience du pasteur et la marge laissée à la conscience personnelle dans toutes les décisions morales en général et sur les questions concernant les divorcés-remariés puisqu’il en était question précisément. Une tension entre enseignement de l’Eglise et marge de liberté personnelle de chaque pasteur. J’ai perçu que les Africains sont très sensibles à l’autorité, non pas la leur en tant qu’évêques, mais à l’autorité de Pierre sur l’Eglise universelle. Il y a une reconnaissance totale de leur part de l’autorité de Pierre à respecter et à mettre en application. Ils ont moins de demandes à exercer leur subsidiarité que du côté des évêques occidentaux. C’est, je pense une question de culture. La culture africaine est très patriarcale. Cela joue dans leur relation à l’autorité du pape dans l’Eglise.
Il n’y a pratiquement rien, dans le document final, concernant les personnes homosexuelles, hormis un accompagnement sur plan familial. Qu’est-ce qui a bloqué ?
Il a semblé, pour beaucoup, inopportun de traiter des couples homosexuels dans un débat centré sur la famille. Ce point de vue a été tempéré par le fait qu’il faut reconnaitre l’existence de situations douloureuses dans les familles liées à la découverte chez certains de leur membre de l’homosexualité, que ce soient les enfants, l’un des conjoints ou un proche. Cela pose une question d’ordre familial.
La question liée aux homosexuels n’a-t-elle pas été sacrifiée pour avancer sur la cause des divorcés-remariés?
Je ne le dirais pas ainsi. D’après ce que j’ai ressenti des discussions, en aparté ou en réunion, je ne crois pas qu’il faille présenter ces deux sujets sous l’angle d’une compétition thématique. Il est vrai que ces deux sujets étaient très présents dans les remontées des consultations des Eglises européennes. Il est tout aussi vrai que nous avons beaucoup plus parlé des divorcés-remariés. En fait, l’idée de traiter le sujet à part entière lors d’une autre rencontre s’est imposée à tous. Peut-être y aura-t-il un jour une rencontre synodale consacrée à ce sujet. Plusieurs de mes confrères ont pensé que parler de l’homosexualité «en passant» aurait déçu des attentes et en parler plus largement aurait étonné ceux qui ne voyaient pas la raison d’être de ce thème dans nos rencontres. Il était impossible de ne pas en parler, tant nous avions eu de retours sur ce sujet.
D’un côté la doctrine, de l’autre la pastorale. Est-ce que la deuxième ne vient pas de prendre le pas sur la première, à l’issue de ce synode, avec cette notion d’accompagnement?
C’est l’objectif majeur du pape. Il l’a rappelé tant de fois dans ses prises de paroles et notamment dans son discours de clôture. Il ‘agit pour lui d’accompagner les hommes sans négliger le dogme et la tradition qui éclairent une réalité que nous sommes appelés à rejoindre. Il nous a invités à rejoindre les réalités. L’Evangile peut éclairer différemment une situation vécue par des familles issues de milieux culturels divers. La réponse pastorale n’est pas uniforme. Le pape a rappelé le principe de subsidiarité laissé aux pasteurs qui sont invités à discerner les besoins pastoraux et à y apporter la réponse adéquate.
Personnellement, vous situez-vous plus dans la pastorale ou dans la doctrine?
Le souci pastoral m’habite. Le souci majeur des prêtres est d’être au service des personnes. C’est une démarche pastorale de connaître et de reconnaître les situations des personnes mais il ne suffit pas d’analyser, de découvrir des situations, encore faut-il les rejoindre avec l’éclairage de l’Evangile. Nous sommes porteurs de l’Evangile du Christ. C’était d’ailleurs l’enjeu du synode.
L’Eglise, à l’issue de ce synode, va-t-elle mettre enfin en pratique ce que Jean Paul II avait exprimé, il y a trente ans, dans son Exhortation sur la famille concernant les divorcés-remariés?
Si c’était le cas, ce serait dans la ligne de ce qui se passe très habituellement dans l’Eglise. Il n’est pas rare que des intuitions naissent et pour lesquelles il faut du temps pour qu’elles se développent. Vatican II n’a pas produit tous les fruits magnifiques que laissent espérer les graines semées pendant le concile. Jean Paul II a eu des intuitions qui ont été reprises de l’article 84 de son exhortation apostolique »familiaris consortio» où il parle expressément de la place, du rôle, et je dirais même du charisme des personnes divorcées-remariées qu’il ne faut pas laisser de côté. Prenons garde de na pas récupérer la théologie de JP II en la restreignant à des aspects très dogmatiques. Il avait des visées pastorales magnifiques.
La décentralisation de l’Eglise voulue par le pape va-t-elle vous donner plus de marge de manœuvre pour agir?
Comme tout Suisse, je suis fédéraliste et fier d’être de son canton (rires). Il faut bien sûr une certaine autonomie. Il ne s’agit pas d’être roi chez soi, au contraire, la décentralisation n’est pas un prétexte pour se couper du centre. La décentralisation doit renforcer l’identité de l’Eglise locale en fonction des besoins pastoraux locaux et en profonde communion en parallèle avec l’Eglise universelle. Une décentralisation sans communion présente un risque de coupure et de voir apparaître une Eglise autocéphale et ce n’est pas l’histoire ni la pratique de l’Eglise romaine
D’un point de vue spirituel, est-ce que ce synode vous a «bousculé», dans le bon sens du terme?
Pendant trois semaines, j’étais assis à côté de l’évêque iranien. Il porte assez lourdement les difficultés des chrétiens d’Iran. Cela m’a touché. Il faut vivre une ouverture au monde. Le diocèse de Sion est relativement petit, uniforme et relativement tranquille. J’ai pris conscience que l’Eglise est universelle et que l’évêque porte son diocèse et qu’il doit être en même temps en communion avec ses frères du monde. C’est quelque chose qui n’est pas spontané chez moi et qui me dérange, dans le bon sens du terme. On est tenté de s’installer dans ce qui est connu parce que c’est plus confortable.
Les témoignages que vous reçus de vos confrères venus du monde, ont-ils changé votre vision de l’Eglise? Est-ce que vous avez été touché dans votre votre foi?
Le jour du 50e anniversaire de l’institution du synode, il y a eu des prises de parole assez remarquables de représentants de chaque continent. Le pape a parlé de la synodalité de l’Eglise comme un chemin à parcourir ensemble et je l’accueille comme une ligne de conduite. Cela peut orienter le ministère épiscopal.
Le synode a-t-il provoqué un questionnement?
Je me suis laissé interroger sur plusieurs points à plusieurs moments, notamment sur le lien avec les familles brisées, en difficulté, ce que nous avons beaucoup évoqué lors de nos échanges. Des images de personnes me sont alors venues à l’esprit. Je m’interroge sur le rôle et la fonction à donner à des couples, à des familles pour que la pastorale et l’évangile soient annoncées au plus grand nombre possible. Quelle pastorale mettre en place, quelle famille solliciter? Comment les solliciter, pour quels mandats? Il y a beaucoup de possibilités, il s’agit de les concrétiser.
Encadré
Mgr lovey, évêque de Sion fait part des démarches qu’il va entreprendre, suite au synode, en rentrant en Suisse.
Bernard Hallet
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