La tension est forte dans la région après la mort d’un musulman qui attaquait un lieu de culte chrétien. Le 13 octobre, les islamistes ont attaqué les églises, mettant le feu à un édifice et provoquant l’exode des chrétiens dans le district de Singkil, région située à l’extrémité sud-ouest de la province d’Aceh, rapporte «Eglises d’Asie» (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).
Province de la pointe nord-ouest de l’île de Sumatra, Aceh présente la particularité de jouir d’un statut d’autonomie spéciale au sein de la République unitaire d’Indonésie: musulmane à 98 %, la population y est soumise à la charia. Les quelques milliers de chrétiens qui y vivent sont sujets à des accords particuliers.
Selon un accord conclu entre musulmans et chrétiens en 1979, la présence chrétienne dans chacun des districts de la province est limitée à une église (que celle-ci soit catholique ou protestante) et quatre lieux de prière. C’est sur ce point que la situation s’est envenimée ces derniers jours.
Le 13 octobre dernier, plusieurs centaines de jeunes musulmans ont investi le village de Suka Makmur, dans le district de Gunung Meriah du département d’Aceh Singkil. Rameutés à l’appel de la branche locale de l’Association des étudiants musulmans d’Indonésie (PPI), ils ont mis le feu à la chapelle affiliée à la Huria Kristen Indonesia (HKI) Church, une des principales dénominations protestantes batak d’Indonésie.
Ils ont ensuite continué en tentant d’incendier un deuxième lieu de culte, mais ils se sont heurtés à la résistance des chrétiens locaux. Au cours de l’assaut, des coups de feu ont été tirés, et l’un des assaillants, Samsul, 21 ans, a été tué. D’autres personnes ont été blessées et, dans la panique qui a suivi, plus de 4’000 habitants du village et des alentours ont préféré fuir dans la province voisine de Sumatra-Nord.
Selon les informations disponibles, un accord avait pourtant été conclu quelque temps avant cet incident entre responsables chrétiens et musulmans. Il prévoyait le démantèlement de dix lieux de culte chrétiens dans la région de Singkil et les opérations devaient commencer le 19 octobre. Les autorités provinciales étaient donc au courant des risques de tension dans cette partie d’Aceh et, en prévention, avaient déployé des forces de l’ordre sur place, mais ces dernières ont, semble-t-il, été débordées par l’importance du déploiement des étudiants mobilisés par le PPI et ont préféré se retirer plutôt que d’intervenir.
Dimanche 18 octobre, les habitants qui avaient fui à Sumatra-Nord sont revenus sur place. Les chrétiens ont célébré l’office dominical en plein air à Suka Makmur, protégés par une dizaine de véhicules blindés des forces de sécurité stationnés alentour. Lundi 19 octobre, les chrétiens ont assisté en silence à la destruction des trois chapelles. Des militants du Front des défenseurs de l’islam, groupe fondamentaliste musulman, se trouvent sur place, menaçants.
Dans cette région où les plantations de palmier à huile se sont développées, les chapelles en question ne sont le plus souvent que des constructions très simples et légères, destinées aux travailleurs agricoles. Paima Brutu, responsable d’un de ces lieux de culte, rappelle que sa communauté, qui compte une centaine de membres, a demandé «de manière répétée» ces dernières années un permis de construire pour un lieu de culte. Ces démarches se sont pour le moment révélées vaines.
Parmi les responsables religieux musulmans, le MUI (Conseil des oulémas d’Indonésie), organisation semi-officielle du culte musulman en Indonésie, a dénoncé les violences, appelant les musulmans d’Aceh à «ne pas prendre part à des activités qui pourraient entraîner un conflit plus important entre les communautés» musulmane et chrétienne de cette région. «(…), incendier [un lieu de culte] ne peut en aucun cas être justifié. Même si la construction d’une église n’a pas été conforme au droit, laissons les autorités locales régler le problème en fonction des lois en vigueur», a déclaré Ma’ruf Amin, président du MUI.
Pour Ismail Hasani, chercheur à l’Institut Setara pour la paix et la démocratie, ce nouvel accès de violence faite aux chrétiens n’est que la répétition d’incidents similaires qui se sont produits à Aceh en 1979, 2001 et 2012. Au-delà du particularisme propre à cette province, ces violences constituent une violation du droit à la liberté de culte, un droit garanti par la Constitution indonésienne mais dont l’exercice est remis en cause par l’attitude adoptée par les autorités locales, analyse le chercheur. Est notamment en cause le décret de 2006 qui organise la quasi-impossibilité dans laquelle se trouve une communauté religieuse minoritaire d’obtenir un permis de construire pour ses lieux de culte.
Du côté des milieux catholiques, les intellectuels réunis au sein d’ISKA (Ikatan Sarjana Katolik Indonesia, Association des intellectuels catholiques d’Indonésie) rappellent que «depuis le tsunami de 2004, Aceh n’appartient plus seulement aux Acehnais, mais [se trouve placé sous le regard] des Indonésiens et du monde tout entier».
Au quotidien «Tempo», Joanes Joko, secrétaire général d’ISKA, a déclaré que ce qui s’était passé à Singkil devait servir de signal au président de la République et à son gouvernement pour se saisir des questions liées à la montée de l’intolérance religieuse. (apic/eda/be)
Jacques Berset
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