Jean Fischer, secrétaire général de la KEK:

APIC – Interview

Pas de nouvelle évangélisation sans recherche de l’unité

Genève, 26novembre(APIC) A la veille du Synode spécial sur l’Europe qui

se tiendra à Rome du 28 novembre au 14 décembre, le pasteur protestant

suisse Jean Fischer, secrétaire général de la Conférence des Eglises européennes (KEK) et l’un des quinze «délégués fraternels» non catholiques invités à ce Synode, a confié à l’agence APIC qu’il ne peut y avoir de nouvelle évangélisation sans recherche de l’unité.

APIC:Comment définissez-vous de votre point de vue la nouvelle évangélisation?

Jean Fischer (JF):J’ai une petite difficulté avec le qualificatif nouvelle

parce que je dirais que depuis l’origine, une des tâches essentielles de

l’Eglise, c’est l’évangélisation. C’est une tâche permanente, il n’y a pas

d’évangélisation définitive faite une fois pour toute. On peut le faire

avec de méthodes qui sont appropriées au contexte dans lequel on se trouve.

APIC:Estimez-vous que l’ancienne évangélisation de l’Europe a été un

échec?

JF:J’aimerais préciser qu’il nous est difficile d’utiliser des critères

scientifiques pour juger si une évangélisation est un succès ou un échec.

Il ne s’agit pas de vendre des savonnettes et de quantifier les résultats.

Je dirais que l’évangélisation de l’Europe n’a pas été un échec en ce sens

que l’Eglise est présente partout et que même lorsqu’on a cherché la supprimer, on n’est pas arrivé à faire disparaître la foi et de ce fait la

présence de l’Eglise, même si elle a été invisible. La Bonne Nouvelle du

Salut a été annoncée et transmise par des moyens inhabituels mais néanmoins

efficaces.

L’Evangile est la Parole faite chair, qui a sa propre puissance et cette

puissance lui permet d’aller partout, même par des moyens qui ne sont souvent pas ceux que l’Eglise choisit. Dans ce sens je pense que les Eglises

sont appelées à une plus grande fidélité au message que la Bonne Nouvelle

apporte à tous les hommes qui sont dans une attente et qui se posent la

question de leur origine et aussi de leur destination et de leur Salut.

APIC:Comment jugez-vous la situation spirituelle de l’Europe aujourd’hui?

JF:C’est une question très difficile, parce que ce qui me gêne le plus,

c’est d’avoir à juger de l’attitude spirituelle de mes frères et soeurs. Je

dirais que, partout en Europe, les hommes et les femmes se sont toujours

tournés vers de faux dieux et continuent à le faire. Ces faux dieux peuvent

avoir beaucoup de noms différents et c’est la raison pour laquelle l’évangélisation est indispensable, pour faire connaître le vrai Dieu.

Je pense qu’on ne peut pas faire de généralisations pour le climat spirituel en Europe. Il y a une telle diversité, mais je pense que l’on peut

dire que nous entrons dans une époque où une quête spirituelle et la recherche de nouvelles formes de vie religieuse apparaissent. Et que c’est

peut-être cela qui nous montre que la tâche d’évangélisation n’a pas encore

abouti et qu’il faut la poursuivre avec courage, avec créativité, tout en

sachant que c’est Dieu lui-même par son Esprit-Saint qui peut transformer

les coeurs et les pensées.

APIC:Quelles sont à votre avis les tâches que les gouvernements, les sociétés doivent accomplir pour que l’Europe retrouve éventuellement ses racines chrétiennes?

JF:Je ne crois pas qu’il y a là une tâche spécifique pour des Etats, des

gouvernements, des pouvoirs économiques ou autres. Je pense que c’est une

tâche pour l’Eglise en Europe et je dis bien pour l’Eglise et non pas les

Eglises que de se souvenir qu’au début, en Europe, il n’y avait qu’une

Eglise, l’Eglise du Christ et que nos racines communes sont dans cette

Eglise qui est née de l’Evangile qui nous a été apporté par les Apôtres.

C’est à la fois la pureté de cet Evangile et l’unité perdue que nous devons

retrouver pour donner à l’Europe toute la vigueur que le message de l’Evangile peut donner à notre monde aujourd’hui.

APIC:Les Eglises d’Europe peuvent-elles parler de nouvelle évangélisation

de façon crédible puisqu’elles sont encore séparées?

JF:Je crois que nous sommes là au coeur du défi de l’oecuménisme qui est

de savoir comment des Eglises qui se sont séparées de plus en plus, peuvent

retrouver l’unité visible en Christ. Je crois que la crédibilité de l’Eglise et de son témoignage sont fortement mis en doute par ces divisions. Je

crois que l’Eglise qui est en Europe porte une responsabilité historique

dans ces divisions et se doit de faire des efforts inlassables et continus

pour panser les plaies et revenir à l’essentiel qui est la Parole de Dieu.

Et que si nous revenons à cet essentiel, à ce message annoncé dans le sermon sur la montagne, peut-être que beaucoup de problèmes doctrinaux, ecclésiologiques, d’organisation et de discipline, deviendront plus faciles à

régler ou en tout cas secondaires.

APIC:Quels sont les grand défis auxquels les Eglises d’Europe doivent faire face aujourd’hui?

JF:Nous avons déjà évoqué le premier grand défi qui est celui de l’unité

de l’Eglise. Le second, c’est l’universalité de l’Eglise dans une Europe

qui est en train de se chercher, de se réunir, de se réorganiser et où nous

apercevons les dangers d’une construction d’une forteresse Europe qui chercherait à se situer en opposition ou en compétition avec les autres continents. Je crois que l’Eglise doit affirmer l’unité de l’humanité, de l’»oikumene», c’est-à-dire toute la terre habitée. Nous ne pouvons pas accepter

de devenir eurocentristes.

Un troisième défi, c’est tout ce qui concerne la relation entre Eglise

et Etat, et la relation Eglise et pouvoir, parce que si l’Etat est le pouvoir politique, nous voyons bien que les forces qui sont à l’oeuvre et qui

modèlent la société sont quelquefois des forces supra-nationales, économiques, commerciales ou financières. Pour les Eglises, il y a en permanence

une réflexion à faire quant à leur place dans la société, parce que certaines Eglises peuvent être tentées de devenir l’Eglise officielle, celle qui

a les privilèges dans sa relation avec ces pouvoirs.

Enfin un autre défi, c’est de savoir comment l’Eglise peut incarner dans

sa vie les valeurs des Béatitudes, dans un monde où tout est payant, calculé, mesuré. L’Eglise doit apporter ce qui est gratuit, c’est-à-dire l’amour

de l’autre sans rien attendre en retour et insuffler des valeurs qui sont à

l’opposé des valeurs adoptées par nos sociétés. Mais pour que l’Eglise soit

crédible à nouveau, il faut qu’elle commence par vivre elle-même dans son

organisation propre d’une manière moins hiérarchique, d’une manière où

l’égalité entre hommes et femmes, jeunes et vieux, pourra se réaliser.

APIC:Certains milieux craignent que cette nouvelle évangélisation cache

une croisade catholique contre une société sécularisée et évoquent les risques de mettre en danger l’oecuménisme…

JF:Certains craignent en effet que se cache une re-catholisation qui pourrait être interprétée comme la recherche d’un retour vers le passé, de positions dominantes pour l’Eglise dans la société. Personnellement, je ne

veux pas m’associer à cette crainte. Je pense que ce n’est pas l’approche

de l’Eglise catholique romaine.

Lorsque les Eglises membres de la KEK se sont réunies, au début de l’année 1990, nous avons beaucoup réfléchi sur la nouvelle situation européenne

et nous avons affirmé tous ensemble que la mission de l’Eglise dans l’Europe nouvelle est d’être une Eglise fervente, une Eglise qui voudra s’approcher de tous ceux qui sont écrasés par l’organisation de notre société qui

marginalise ceux qui ne sont pas conformes à une certaine idée que l’on se

fait de l’homme aujourd’hui. Nous devons peut-être faire un effort considérable dans toutes les Eglises pour sortir du conformisme avec l’idéologie

dominante. Nous devons faire ensemble une analyse très critique de cette

société, et en cela j’admire la manière dont les évêques catholiques aux

Etats-Unis ont su faire ce travail.

APIC:Comment peut-on réaliser effectivement la nouvelle évangélisation?

JF:Je crois qu’il faut accentuer l’importance de la fonction évangélisatrice de l’Eglise, mais je ne la mettrais pas toute seule. Je pense que

quelquefois, quand il y a trop de paroles et pas assez d’actes, la nécessité de la diaconie – c’est-à-dire de vivre sa foi dans les actes – peut être

une meilleure proclamation que beaucoup de paroles. D’autre part, il ne

peut pas y avoir d’évangélisation en dehors d’une recherche de l’unité,

donc d’une exigence oecuménique très forte. (apic/eg/mp)

Propos recueillis par Evelyn Graf, agence APIC

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