Selon les chiffres du gouvernement sud-coréen, ce sont près de 30’000 réfugiés nord-coréens qui ont réussi à quitter leur pays, via la Chine, pour gagner la Corée du Sud, depuis la famine des années 1995-1996, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Parmi eux, une bonne partie a bénéficié, à un moment ou à un autre, de l’aide de réseaux de passeurs chrétiens, catholiques parfois, protestants le plus souvent. Une fois en Corée du Sud, ces réfugiés choisissent ainsi naturellement de rejoindre une communauté protestante.
Chercheur à Göttingen, en Allemagne, au département pour l’Etude de la diversité ethnique et religieuse du Max Planck Institute, Jung Jin-heon a publié en septembre dernier une étude sur le sujet. L’agence d’information catholique Ucanews a diffusé le 14 octobre 2015 un texte s’y rapportant (traduction française EdA).
Des sondages réalisés au milieu des années 2000 indiquent que, parmi ceux qui ont réussi à gagner la Corée du Sud, près de trois Nord-Coréens sur quatre se déclarent chrétiens, l’écrasante majorité d’entre eux se disant protestants. Les études montrent aussi que les migrants ayant réussi à passer de l’autre côté de la zone démilitarisée entre les deux Corées continuent de dépendre de l’aide logistique apportée par les Eglises et les communautés chrétiennes pour s’intégrer à la société sud-coréenne.
Les origines de ces conversions massives au protestantisme remontent à une vingtaine d’années, lorsque la famine des années 1995-1996 a tué un demi-million de personnes en Corée du Nord. Fuyant par dizaines de milliers vers la Chine, franchissant la frontière, les premiers mots chinois que ces Nord-Coréens apprenaient, une fois en Chine populaire étaient «jiaohui», ce qui signifie ›église’.
La plupart étaient attirés par les croix brillamment éclairées qui trônent au sommet de bon nombre d’édifices dans les villes chinoises proches de la frontière, notamment dans la préfecture de Yanbian, peuplée majoritairement de Chinois ethniquement coréens, explique Jung Jin-heon. Pour passer la frontière, il suffit de franchir le fleuve Tumen, souvent peu profond et relativement facile à traverser.
Ces réfugiés étaient en quête de nourriture et de vêtements secs. Beaucoup ont poussé la porte de ce qui leur semblait être des refuges sûrs et accueillants. La nourriture y était abondante mais les règles strictes: chaque jour, l’étude de la Bible était au programme. Il était demandé à certains de repartir en Corée du Nord pour y mener un travail missionnaire, par exemple de diffuser des bibles afin de faire pénétrer l’Evangile au cœur de ce qui est très certainement le pays le plus fermé de la planète. Les risques encourus étaient très réels et ceux qui étaient pris étaient condamnés à des peines de camps de haute sécurité, dont on ne revient souvent pas ou presque. Des rapports ont fait état d’exécutions capitales.
Parmi ceux qui ne retournaient pas en Corée du Nord mais qui restaient en Chine, certains ont travaillé et étudié pendant plusieurs années, notamment à Yanji, principale ville de la préfecture de Yanbian. D’autres ont continué leur chemin vers d’autres grandes villes de Chine, ou bien ont pu partir jusqu’en Mongolie ou en Asie du Sud-Est, où ils ont demandé asile auprès des ambassades sud-coréennes.
Le pourcentage des Nord-Coréens qui se convertissent au protestantisme après leur fuite hors de Corée du Nord décline néanmoins: de 85% dans les années de la famine de la décennie 1990, le chiffre est tombé à 75% dans les années 2000, et il est sans doute moindre aujourd’hui.
Ceci s’explique par le contrôle plus étroit exercé par la police chinoise sur les activités missionnaires menées sur le sol chinois le long de la frontière avec la Corée du Nord – des arrestations et des expulsions ayant été rapportées. De plus, pour gagner la Corée du Sud, les réseaux de passeurs, qui étaient au départ quasi exclusivement animés par des chrétiens, se sont élargis, et des Nord-Coréens ont fui sans l’aide des missionnaires, ce qui a d’autant diminué le contact entre les réfugiés et les Eglises chrétiennes. Enfin, à mesure qu’a grossi le nombre des Nord-Coréens qui ont réussi à passer au Sud, une plus grande part d’entre eux a tout fait pour faire venir en Corée du Sud les membres de leur famille restés au Nord. Ils ont fait appel pour cela à des passeurs qui agissaient plus par appât du gain que pour des motifs missionnaires ou humanitaires.
Ces évolutions n’empêchent toutefois pas que des réseaux missionnaires soient toujours actifs du côté chinois et qu’ils soient presque tous animés par des protestants.
Une fois arrivés en Corée du Sud, le parcours des réfugiés est parfaitement balisé: ils sont envoyés au Centre d’investigation centrale où les autorités sud-coréennes s’assurent qu’ils ne sont pas des espions nord-coréens. Ils passent ensuite par le Centre de Hanawon où ils reçoivent une formation pour s’adapter à la vie en Corée du Sud. Et dans ce centre, ils ont accès à des services religieux, protestants, catholiques et bouddhistes.
Selon certains observateurs – analyses corroborées par des réfugiés nord-coréens –, les nouveaux pensionnaires du Centre de Hanawon préfèrent souvent ce qui est proposé par les organisations protestantes, tout simplement parce que le repas offert après le service dominical et les cadeaux qui leur sont distribués à cette occasion sont plus généreux que chez les autres organisations. De fait, les protestants consacrent plus de temps et d’argent à ces activités, en comparaison de ce que font les autres organisations religieuses présentes sur place.
Après un sas de trois mois au Centre de Hanawon, les Nord-Coréens reçoivent des papiers d’identité, une somme d’argent et un logement en HLM. A partir de là, ils sont sensés s’adapter à leur nouvelle vie en Corée du Sud et se faire, par exemple, à un système éducatif et un marché du travail hyper-compétitifs. Et là encore, ce sont les Eglises protestantes qui se montrent les plus actives pour venir en aide à ces nouveaux citoyens complètement perdus dans leur nouvel environnement.
Des pasteurs et des laïcs s’occupent d’eux d’un point de vue pastoral. Ils reçoivent des compensations financières s’ils viennent assister aux services religieux, aux groupes d’étude de la Bible, aux sessions de formation à l’emploi et à toute une gamme de services et de propositions.
En comparaison de l’Eglise catholique, plus organisée et centralisée, les communautés protestantes, du fait de leur variété et de leur autonomie propre, se montrent bien plus accueillantes à ce type de profil. Parmi les réfugiés nord-coréens au Sud, la présence catholique est nettement moins visible. En Corée du Sud, parmi les Sud-Coréens, les protestants sont globalement deux fois plus nombreux que les catholiques, mais, parmi les réfugiés nord-coréens installés au Sud, la prédominance protestante est bien plus considérable. Selon une récente étude, seulement 1% des réfugiés nord-coréens fréquentent régulièrement un lieu de culte catholique, même s’ils sont une majorité à dire qu’ils sont plus à l’aise avec la forme de prosélytisme moins agressive qu’ils y trouvent. (apic/eda/ucan/rz)
Raphaël Zbinden
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