Cet anniversaire est à la fois l’occasion de célébrer une institution dynamique et de se souvenir de son illustre fondateur, confie à cath.ch Krzysztof Wojtkiewicz, recteur de la mission.
Les célébrations débuteront le matin par une messe solennelle célébrée dans l’église du Christ-Roi, à Fribourg, en présence de Mgr Tadeusz Litwinski, évêque auxiliaire de Zielona Gora, venu spécialement pour l’occasion de l’ouest de la Pologne. Outre les représentants de la mission et les quelque 200 membres de la communauté polonaise attendus, Jaromir Sokolowski, ambassadeur de Pologne à Berne, ainsi que le consul Ryszard Szklany, assisteront à l’office. La journée se poursuivra par un repas, puis un concert de musique classique dans la salle paroissiale du Christ-Roi. Ensuite, trois personnalités s’exprimeront sur la figure du Père Bochenski. Edward Swiderski, professeur de philosophie à l’Université de Fribourg, le Père Kornelius Politzky, prêtre polonais vivant depuis 37 ans en Suisse, et Robert Zadura, historien polonais vivant en Allemagne, éclaireront l’assistance sur la vie et l’œuvre du premier recteur de la mission.
Le Père Bochenski «était un grand savant», assure Kornelius Politzky à cath.ch. Il a aidé grandement à la connaissance, en Suisse, des pays de l’Est et de la pensée soviétique, relève le prêtre polonais. Il rappelle que l’apport du Père Bochenski s’est réalisé dans de nombreuses dimensions. Il souligne notamment à quel point il a marqué l’histoire de la logique. Le Père Politzky, qui a côtoyé le professeur des années 1970 à 1995, relève également son important travail pastoral, notant qu’il a beaucoup fait pour sauvegarder les missions linguistiques, menacées par le passé.
«Il a en général grandement contribué au rayonnement de l’Université, de Fribourg et de la Suisse dans le monde». Le Père Bochenski a indubitablement aidé à créer une image positive de la Pologne dans le pays, assure en outre le prêtre et aumônier de prison. Il rappelle que cette année est par ailleurs l’occasion de commémorer le Père Jan E. Frania, également décédé en 1995. Ce Polonais, rescapé du camp d’extermination de Dachau, avait remplacé le Père Bochenski à la tête de la mission de Marly.
Les célébrations du 11 octobre se concluront par une soirée de partage consacrée aux expériences de vie en Suisse des membres de la communauté polonaise.
Krzysztof Wojtkiewicz souligne que la mission de Marly remplit plus que jamais son rôle d’accueil et d’échange pour les Polonais de la région de Fribourg. De 80 à 100 personnes fréquentent régulièrement l’institution. Le coordinateur estime qu’environ un tiers de la communauté polonaise locale utilise les services de la mission fondée le 2 juin 1950. Il confirme en tout cas qu’il y a davantage d’enfants, qui viennent notamment pour la catéchèse, mais aussi pour des cours de langue et d’histoire polonaises, des acquis que les expatriés délaissent parfois au profit de la culture locale. Les responsables de la mission réfléchissent actuellement aux aménagements nécessaire pour répondre à l’augmentation de la demande.
Krzysztof Wojtkiewicz, qui dirige la mission depuis trois ans, se réjouit en outre du succès du mensuel «Wiadomosci» (Nouvelles), édité par l’institution, dont le 529e exemplaire vient d’être édité.
Il note en outre la contribution très importante de deux organismes: la Fondation Père Bochenski, qui finance la maison de Marly, et l’Association des amis de la mission polonaise à Marly, qui organise la venue en Suisse de prêtres polonais. Les présidents de ces deux organismes, respectivement Dionizy Simson et Andrzej Pazera, seront également présents aux célébrations du 65e anniversaire, précise le recteur.
Encadré
Joseph-Marie Bochenski, une «institution» polonaise à Fribourg
Le philosophe, professeur à l’Université de Fribourg de 1945 à 1972, était mondialement connu, tant pour ses nombreux ouvrages portant sur la logique que pour sa lutte contre le communisme et sa personnalité haute en couleur. Le dominicain passait pour un des meilleurs connaisseurs du monde soviétique. Son «Manuel du communisme mondial», traduit en plusieurs langues, a été vendu à plus de 100’000 exemplaires. «Je suis profondément rationaliste, entre autres parce que je suis croyant», expliquait le Père Bochenski à l’occasion de ses 90 ans.
Expert auprès de cinq gouvernements
De 1964 à 1966, il fut recteur de la Haute école fribourgeoise. Il est également le fondateur de l’Institut d’Europe orientale, en 1958, qu’il dirigea durant de nombreuses années.
Considéré comme un des meilleurs connaisseurs de la philosophie communiste et marxiste, le Père Bochenski était reconnu bien au-delà du monde universitaire. Il a notamment été expert auprès de cinq gouvernements, dont celui de Konrad Adenauer, en Allemagne.
Né le 30 août 1902, à Czuszow dans la partie de la Pologne sous occupation russe, appelée alors «le Royaume», Innocent Bochenski fut soldat dans la cavalerie polonaise, combattit les troupes bolchéviques et fut grièvement blessé en 1920. Remis de ses blessures, il poursuivit ses études en droit et en économie politique aux Universités de Lvov et de Poznan. En 1927, il intégra l’ordre des dominicains, prit le nom de Joseph-Marie et vint faire un doctorat de théologie à l’Université de Fribourg, puis de philosophie à l’»Angelicum» de Rome.
Acteur de la Seconde guerre mondiale
Ordonné prêtre en 1932, il retourna en Pologne où il enseignà à l’Université de Cracovie avant d’être rappelé à Rome comme professeur à l’»Angelicum». Au moment de l’éclatement de la seconde guerre mondiale, il était aumônier militaire de l’armée polonaise. Blessé et arrêté, il parvint à s’enfuir et à rejoindre l’Angleterre en 1940. Professeur de philosophie à la Faculté de théologie polonaise d’Edimbourg, il rejoint à nouveau l’armée en tant qu’adjoint de l’évêque militaire polonais en Italie en 1943-45. En novembre 1945, le commandant Bochenski est appelé comme professeur de philosophie à l’Université de Fribourg à laquelle il restera fidèle jusqu’à sa retraite en 1972; tout en exerçant de nombreuses responsabilités dans divers instituts et programme de recherche en Allemagne et aux Etats-unis, notamment, où il fut professeur invité dans plusieurs universités. En 1981, il obtenait encore son 5e doctorat, en mathématiques à l’Université de Milan.
Le goût du combat
Sa réputation l’avait amené à l’époque de la guerre froide à participer au procès du parti communiste allemand à Karlsruhe dans les années 50, puis au jugement de militants communistes en Afrique du Sud. Son expérience de soldat avait profondément marqué sa vie. L’amateur de voitures rapides, le pilote d’avion – il avait obtenu son brevet en 1970 – et le skieur avait toujours gardé ce goût du combat. «C’est chez Marx que j’ai appris la lutte pour la justice sociale», expliquait-il, lui qui pourtant considérait le marxisme-lénimisme comme une «erreur totale». Son attachement à sa Pologne natale était demeuré intact. C’est ainsi qu’il fut durant vingt ans entre 1950 et 1970 recteur de la mission catholique polonaise en Suisse. Il décéda à l’âge de 92 ans dans la nuit du 7 au 8 février 1995, à l’Albertinum de Fribourg. (apic/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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