Cath-ch l’a rencontré lors de son passage en Suisse à l’invitation de l’Association Suisse de Terre Sainte. Il plaide pour une aide sur place, pour éviter la poursuite de l’exode syrien.
«Sur 600’000, seuls 75’000 enfants syriens sont scolarisés dans les écoles publiques libanaises… Il n’y a pas d’aide pour l’éducation des enfants syriens et irakiens, on attend que l’ONU fasse quelque chose, car le ministre de l’Education a rappelé que le Liban n’avait pas d’argent. Il a dit que pour avoir un programme dans les écoles publiques pour ces enfants, il faudrait qu’ils paient entre 600 et 800 dollars par an!», affirme le directeur régional pour le Liban, la Syrie, l’Egypte et le Kurdistan irakien de l’Association catholique d’aide à l’Orient CNEWA – Mission pontificale, à Beyrouth.
A l’heure actuelle, les réfugiés, en grande majorité des musulmans sunnites, ne sont pas loin de former le tiers de la population au Liban, ce qui représente un poids très lourd sur l’économie libanaise. C’est également une source de dangereuses tensions intercommunautaires. «Le Liban accueille 1,3 à 1,5 million de Syriens, sans compter plus de 400’000 Palestiniens, descendants des autochtones chassés de leurs terres lors de la fondation de l’Etat d’Israël, et les 25’000 Palestiniens ayant fui le camp de Yarmouk, à Damas, qui avait été occupé par Daech, l’Etat islamique. Le Liban héberge encore quelque 75’000 Irakiens, dont 8’000 sont des chrétiens», précise le directeur de la Mission pontificale.
Michel Constantin est un chrétien maronite libanais originaire de Byblos (Jbeil en arabe), âgé de 52 ans et père de trois enfants. Il travaille depuis 1989 pour la Mission Pontificale à Beyrouth. Cet organisme a été créé en juin 1949 par le pape Pie XII pour, au départ, venir en aide aux centaines de milliers de Palestiniens chassés lors de la fondation de l’Etat d’Israël. L’oeuvre d’entraide chrétienne, dont il est le directeur régional depuis 2014, soutient des projets de développement et des activités pastorales.
L’ONG a été active depuis 1994 en Syrie, puis a étendu ses activités en Egypte et au nord de l’Irak. Le Kurdistan irakien représente cette année 55% des fonds investis, contre 25% pour la Syrie. En 2011, avant les troubles en Syrie, le Liban drainait 80% de ses activités, puis l’effort s’est porté principalement sur la Syrie, puis sur l’Irak, avec l’attaque des djihadistes contre les villages chrétiens de la Plaine de Ninive, près de Mossoul, qui a jeté en un jour, le 7 août 2014, plus de 120’000 chrétiens sur les routes de l’exil, vers le Kurdistan irakien.
Dans le Centre éducatif et scolaire du Bon Pasteur à Deir Al Ahmar, près de Baalbek, dans la Bekaa Nord, les sœurs de la congrégation Notre-Dame du Bon Pasteur travaillent avec les réfugiés syriens arrivés dans la région. Ce centre, qui existe depuis une décennie, peut accueillir le matin 460 élèves syriens ainsi que des professeurs syriens et quelques professeurs libanais volontaires.
«C’est un programme mixte, entre le curriculum des études syrien et libanais. Cette année, on a l’intention d’ajouter un étage, pour pouvoir accepter une centaine d’élèves supplémentaires. Tous les enfants de ce camp de réfugiés, qui héberge 2’000 familles musulmanes syriennes, n’ont pas accès à l’école. L’école publique libanaise est déjà pleine, et son curriculum est basé sur le français, tandis que les Syriens ont un curriculum en langue arabe».
Dans le quartier de Bourj Hammoud, fief de la communauté arménienne du Liban, à Beyrouth, la Mission pontificale a mis en place un programme arménien pour les 1’450 familles arméniennes de Syrie, qui ont fui la ville de Kassab et le quartier de Midan, à Alep, assiégé par les djihadistes. «Le quartier a été repris par l’armée syrienne, mais il est sur la ligne de démarcation, et les bombardements sont fréquents. Les Arméniens sont partis. Dans le quartier de Nabaa, à Beyrouth, la Mission pontificale a mis en place une école pour 490 enfants réfugiés irakiens, en collaboration avec le Patriarcat syrien-catholique. Là aussi, le curriculum des élèves est celui de l’Irak, en langue arabe.
«La crise des réfugiés représente un énorme défi pour un petit pays comme le Liban, qui connaît en outre une grande fragilité politique, sociale et économique». Selon le ministre libanais des Finances, le Liban aura besoin d’au moins 2,6 milliards de dollars pour une période de trois ans pour faire face à l’impact de la guerre en Syrie voisine, à commencer par 450 millions de dollars pour les écoles, les hôpitaux et les services sociaux.
«La question est de savoir ce que peut supporter le Liban, et combien de temps encore!», insiste Michel Constantin. Son organisation caritative est soutenue notamment par des oeuvres d’entraide allemandes comme Misereor, Missio Aix-la-Chapelle, Missio Munich, Kindermission, l’archidiocèse de Cologne, mais également par la Conférence épiscopale italienne et l’Association suisse pour la Terre Sainte.
«Pour aider sur place, nous ne passons pas uniquement par les évêques ou les paroisses, mais également par des congrégations religieuses et des associations, comme la société Saint-Vincent de Paul ou le Jesuit Refugee Service (JRS). Nous travaillons avec des organisations chrétiennes, à travers l’Eglise locale, mais nous n’aidons pas seulement les chrétiens. Nous apportons aussi une aide aux musulmans, en espérant que cela améliorera les relations entre les communautés», affirme le directeur de CNEWA – Mission pontificale.
Michel Constantin constate que la majorité des réfugiés syriens au Liban ne rêvent que de partir vers l’Europe ou l’Amérique. «Mais la majorité des chétiens pauvres restent en Syrie, ce sont des déplacés internes. Ils ne partent pas s’ils peuvent rester dans des zones sécurisées par l’armée gouvernementale, et se regroupent à Tartous, Damas, Wadi al Nassara (la «vallée des chrétiens»), les villages aux alentours de Homs, à Yabroud, Al-Quseir, reprise aux djihadistes».
Le directeur régional de la Mission pontificale à Beyrouth affirme que nombre de réfugiés syriens sont des réfugiés économiques, car en Syrie, «80% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Depuis le début de la guerre, le dollar a passé de 40 à près de 320 livres syriennes, alors que les salaires, quand ils peuvent encore être versés, ne suivent pas le renchérissement. A cause des sanctions, du siège de régions entières, les prix du pain, du gaz, du mazout… tout a augmenté! La vie est pour une grande partie de la population devenue tout à fait insupportable, c’est pourquoi les Syriens viennent en masse en Europe».
Mais il y a des zones où les gens peuvent vivre, notamment dans les régions sous contrôle gouvernemental ou dans les zones kurdes. Le régime ne tient plus que 25% du territoire, mais cette région abrite plus de 60% de la population. «La vie y est possible, alors essayons d’apporter une aide sur place, et pour aider les chrétiens, il faut passer par l’Eglise locale. Le HCR doit aussi augmenter son aide, mais on voit que le soutien baisse, après 4 ans d’une guerre qui ne connaît pas de fin. On sent malheureusement une fatigue des donateurs…»
Michel Constantin milite pour que les gens soient aidés sur place, avec la crainte que les chrétiens, qui sont là depuis les premiers siècles, disparaissent à jamais du Moyen-Orient, menacés de mort par les fanatiques de Daech et d’al-Nosra, la filiale syrienne d’al-Qaïda. «Ces gens veulent imposer une vision de l’islam inconnue de peuples aussi cultivés que ceux de la Syrie, d’Irak, du Liban, de Jordanie ou de la Palestine. Ces islamistes radicaux imposent une culture wahhabite, une culture influencée par l’Afghanistan et le Pakistan, totalement étrangère aux populations du Levant. A Mossoul et à Raqqa, par exemple, ils interdisent les moustaches, alors que c’est pour l’homme une question d’honneur, de fierté. Les femmes doivent porter une bourqa, elles sont cachées de la tête aux pieds, alors que les femmes dans nos régions ont toujours eu un rôle social important!»
Si le gouvernement de Bachar al-Assad venait à tomber, «ce serait la fin des chrétiens, un exode complet, car ils ne pourraient jamais vivre sous le régime de Daech. Le départ des chrétiens de cette région serait une tragédie, car les chrétiens doivent avoir un rôle à jouer, celui notamment de médiateurs entre les chiites et les sunnites, un rôle d’apaisement pour prévenir les conflits. N’oublions pas le rôle joué par les chrétiens d’Alep lors de la ‘Nahda’, «Les lumières arabes» au XVIIIe siècle…».
(*) Michel Constantin, directeur régional pour le Liban, la Syrie, l’Egypte et le Kurdistan irakien de l’Association catholique d’aide à l’Orient CNEWA – Mission pontificale, à Beyrouth, était l’invité de l’Association Suisse de Terre Sainte (SHLV) qui tenait son assemblée générale à Lucerne le 21 septembre 2015.
Jacques Berset
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