Ainsi, précédant le pape François, trois papes sont venus s’exprimer à la tribune des Nations unies. Tous attachés à l’ONU pour son universalisme, ils n’ont toutefois pas manqué de souligner les limites de l’institution, dans un contexte international à chaque fois très différent.
Paul VI (1963-1978) est le premier pape de l’époque moderne à se rendre à l’ONU. Il y est invité le 4 octobre 1965, jour du vingtième anniversaire de l’organisation. L’adhésion du Saint-Siège à l’ONU est encore récente (avril 1964). Avant son pontificat, Paul VI fut un homme de la curie porté vers la diplomatie. Il se souvient que le monde a frôlé le chaos à Cuba, en 1962. Avec une forme d’optimisme, que l’on retrouve dans plusieurs enseignements du concile Vatican II qui bat alors son plein, le pape encourage l’expression d’une modernité désormais portée par l’Eglise universelle.
Le souverain pontife fait ainsi l’éloge de L’ONU en apportant «une ratification morale et solennelle de cette haute institution (…) convaincu comme Nous le sommes que cette Organisation représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale». Paul VI en vient à comparer l’institution onusienne à l’Eglise catholique: «Votre caractéristique reflète en quelque sorte dans l’ordre temporel ce que notre Eglise catholique veut être dans l’ordre spirituel: unique et universelle. (…) Votre vocation est de faire fraterniser, non pas quelques-uns des peuples, mais tous les peuples.» Il lance aussi un vibrant appel au maintien de la paix, par cette apostrophe entrée dans l’histoire: «Jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! C’est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité !».
Jean Paul II (1978-2005) s’est rendu à deux reprises à l’ONU. Lors de sa première intervention le 2 octobre 1979, un an après son élection, le premier pape polonais de l’histoire, originaire d’un pays récemment dominé par deux totalitarismes, s’exprime au sein d’une institution encore marquée par la division bipolaire du monde et une forte emprise du communisme. Dans le discours qu’il prononce alors, empreint de réalisme, Jean Paul II prend le contre-pied de son prédécesseur. S’il salue l’institution, qui «recherche les voies de l’entente et de la collaboration pacifique (…) au sein de cette grande famille qu’est l’humanité contemporaine», il souhaite aussi la placer devant ses responsabilités morales. Il énumère ainsi ses inquiétudes quant aux multiples atteintes aux droits de l’homme, à la crise au Moyen-Orient, la situation du Liban, la course aux armements, au matérialisme ambiant… Il s’interroge également sur la capacité de l’ONU à maintenir la paix, «ce travail de titan», et invite à une profonde réflexion politique et diplomatique sur la genèse de la guerre.
A son retour, le 5 octobre 1995, le monde a changé. Le mur de Berlin est tombé depuis six ans, et la guerre du Golfe a éclaté cinq années auparavant. Les Etats-Unis, concurrencés par un axe asiatique mené par la Chine, revendiquent une hégémonie sur le monde. Avec le même réalisme, Jean Paul II revient sur la chute du régime soviétique en ces termes: «[Les droits de l’homme] nous rappellent aussi que nous ne vivons pas dans un monde irrationnel ou privé de sens, mais que, au contraire, il y a une logique morale qui éclaire l’existence humaine et qui rend possible le dialogue entre les hommes et entre les peuples. Si nous voulons qu’un siècle des contraintes fasse place à un siècle de la persuasion, il nous faut trouver le moyen de débattre sur l’avenir de l’homme dans un langage compréhensible et commun (…) pour aborder le débat sur son avenir même». Le pape invite ensuite à voir au-delà des droits de l’homme pour élaborer un droit des nations, car «il n’existe pas encore d’accord international analogue qui traite des droits des nations dans leur ensemble». Il achève ainsi son discours : «Nous devons vaincre notre peur de l’avenir. Mais nous ne pourrons la vaincre entièrement qu’ensemble. (…) La réponse à la peur qui obscurcit l’existence humaine au terme du vingtième siècle, c’est l’effort commun pour édifier la civilisation de l’amour».
Benoît XVI (2005-2013), qui apparaît comme un théologien et un intellectuel de haute-volée, parle à un monde en crise, lorsqu’il est accueilli à l’ONU le 18 avril 2008. C’est alors un temps de crise économique, de crise des valeurs occidentales, et de crise du droit international. Il a déjà mis en avant l’espérance chrétienne en réponse à ce contexte troublé, dans son Encyclique Spe Salvi (novembre 2007). Lors de son intervention devant l’assemblée générale de l’organisation internationale, il va encore plus loin, et propose une démonstration magistrale du «rôle primordial des règles et des structures qui, par nature, sont ordonnées à la promotion du bien commun et donc à la sauvegarde de la liberté humaine». Le pontife est alors préoccupé par le sort des civils dans les crises internationales. Dans certains cas, il justifie alors le droit d’ingérence de la part de tout Etat, qui a «le devoir primordial de protéger sa population contre les violations graves et répétées des droits de l’homme, de même que des conséquences de crises humanitaires liées à des causes naturelles ou provoquées par l’action de l’homme.» Benoît XVI défend un devoir de protection qui peut être endossé par la communauté internationale, avec «les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d’autres instruments internationaux, si l’action de certains Etats fait défaut». (apic/imedia/fdc/rz)
Sources : Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, Robert Laffont
Raphaël Zbinden
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https://www.cath.ch/newsf/les-papes-a-lonu-retour-sur-leurs-discours-historiques/