La mère, le père, le couple, les enfants, les grands-parents, les jeunes, les personnes âgées, personne n’a été laissé de côté. Dans son langage familier, souvent ‘terre-à-terre’, François dresse le portrait d’une famille où chacun est aimé pour lui-même et peut grandir matériellement et spirituellement. Avec sa pédagogie, François est parfaitement à l’aise dans son rôle de curé du monde. Il met souvent le doigt là où ça fait mal et livre une règle de vie pour la famille.
Le portrait de famille du pape François ne s’ouvre pas avec le mariage, ni même avec le couple mais avec la figure de la mère. «Quel est le choix de vie d’une mère? C’est le choix de donner la vie, voilà ce qui est grand est beau», explique-t-il le 7 janvier. «Les mères sont l’antidote le plus puissant contre la progression de l’individualisme égocentrique.» François se fait tout à fait concret: «La femme est peu aidée et écoutée dans la vie quotidienne, et l’on fait peu de cas de son rôle pourtant central. Pire on profite de la disponibilité des mères à se sacrifier pour les enfants afin de faire des économies sur les dépenses sociales.»
Même dans l’Eglise les mères devraient trouver plus de place. «Souvent ce sont elles qui transmettent au plus profond les germes de la foi dans la vie d’un être humain par les premières prières et les premiers gestes, moments irremplaçables et très précieux.»
Je suis fier d’être ton père
Le chapitre deux concerne le père, ou plutôt l’absence de père. «Aujourd’hui c’est plutôt l’absence de père qui semble la règle», note le pape François le 28 janvier. Il interpelle ces pères trop absorbés par leur travail ou leurs loisirs et qui négligent l’éducation de leurs enfants. Cette absence produit «lacunes et blessures chez les enfants qui peuvent être graves.» La société et les institutions ont aussi leur responsabilité dans ce problème.
Après le mauvais père, le bon père a la «bonne attitude pour écouter et agir, parler et juger avec sagesse et droiture.» Il pourra dire plus tard à ses enfants: «Je suis fier d’être ton père». «Un bon père sait attendre et pardonner. Sans pour autant être faible ou sentimental, il doit savoir corriger sans humilier, protéger sans écraser.»
«Les enfants sont un don ! Ils ne sont pas la propriété de leurs parents. Chacun est unique et différent». «L’enfant est aimé non pour sa beauté et pour ses qualités. Il est aimé pour lui-même, pour ce qu’il est, avant même de venir au monde.» Pour le pape, l’expérience d’être fils ou fille permet de «découvrir la dimension gratuite de l’amour de Dieu, qui est le fondement de la dignité personnelle.»
L’aspect social est toujours là. «Une société qui n’honore pas ses enfants est une société sans honneur. Une société qui n’aime pas s’entourer d’enfants qui les considère comme un souci et un risque, et les familles nombreuses comme un poids est une société déprimée.»
Revenant une deuxième fois sur le sujet le 18 mars, le pape François relève qu’une «société sans enfants est triste et grise». Sans employer le mort avortement il déplore que «les enfants sont les grands exclus, car on ne les laisse même pas naître.» «Les enfants rappellent aussi qu’au début de notre vie nous avons tous été totalement dépendants des autres.» Pour François, «nous ne sommes pas les maîtres de notre existence. Nous sommes radicalement dépendants».
La troisième intervention du pape touche «la passion que vivent beaucoup d’enfants parce que refusés, abandonnés, privés de leur enfance ou de leur avenir». «Les enfants abandonnés sont un cri qui monte vers Dieu et qui accuse le système que nous avons construit». «Ne déchargeons pas nos fautes sur les enfants. Les enfants ne sont jamais une ‘erreur’. (…) Que fait-on des Droits de l’homme et des Droits de l’enfant si ensuite on fait payer aux enfants les erreurs des adultes ?» interpelle-t-il vivement le 8 avril.
Frère et sœur sont des mots que toutes les cultures et toutes les époques comprennent. Pour François «le lien de fraternité, formé en famille, dans un climat d’éducation à l’ouverture aux autres, est une grande école de liberté et de paix.» Le pape se fait ‘républicain’: «aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire de mettre la fraternité au centre de nos sociétés. Alors la liberté et l’égalité pendront leur juste tonalité.»
La famille du pape François s’étend obligatoirement aussi aux grands-parents. «Une société dans laquelle il n’y a pas de place pour les anciens porte en elle le virus de la mort.» «Grâce au progrès de la médecine, la vie s’est allongée, mais la société ne s’est pas élargie à la vie», déplore-t-il le 4 mars. François va même jusqu’à parler de ‘péché mortel’ pour évoquer l’absence d’attention aux personnes âgées, et les nombreux grands-parents qui restent plusieurs mois par an sans visite et sans nouvelles de leurs petits-enfants. «Une société sans proximité, où la gratuité et l’affection sans contrepartie disparaissent est une société perverse.» Pour le pape, une des vocations des grands-parents est de faire comprendre aux jeunes «qu’une vie sans amour est une vie desséchée, que l’angoisse de l’avenir peut être vaincue, qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir.»
Pour François, pas de famille sans une saine anthropologie. L’homme et la femme sont à la fois différents et complémentaires et ce depuis la création. «Je me demande si la prétendue théorie du genre n’est pas aussi l’expression d’une frustration et d’une résignation qui vise à effacer la différence car on ne parvient plus à l’assumer», s’interroge le pontife le 15 avril. «Le refoulement de la différence, en fait, est le problème et non la solution. (…) Pour résoudre leurs problèmes de relations, l’homme et la femme doivent au contraire se parler davantage, s’écouter davantage, s’aimer davantage.»
François en remet une deuxième couche le 15 juin dénonçant les «colonisations idéologiques qui détruisent la société (…) qui empoisonnent l’âme et la famille.» Devenir papa et maman est un appel de Dieu, c’est une vocation. (…) Etre parents se fonde sur la différence de l’être masculin et féminin, comme le rappelle la Bible.» Pas de quoi encourager les couples homosexuels qui revendiquent l’adoption.
A partir de cette réflexion, le pape François invite à remettre à l’honneur le mariage et la famille. Le 22 avril, il juge que «la dévaluation sociale de l’alliance stable et féconde entre homme et femme est une perte pour tous». Pour lui la sauvegarde de cette alliance est une «vocation exigeante et passionnante». «Dieu garde et protège avec tendresse le couple humain son chef d’œuvre.» Il conclue alors «l’homme est tout pour la femme et la femme est tout pour l’homme.
«Aimez votre femme, comme le Christ a aimé l’Eglise. Ce ne sont pas des plaisanteries, c’est du sérieux», lance le pape le 6 mai. François ne s’embarrasse pas de circonvolutions alambiquées pour commenter la lettre de saint Paul aux Ephésiens dans laquelle l’apôtre recommande aux femmes d’être soumises à leur mari. Il s’adresse… aux hommes.
Le mariage «ce n’est pas seulement une cérémonie dans une église, avec les fleurs, avec la robe, les photos. C’est un sacrement qui construit l’Eglise, en donnant naissance à une nouvelle communauté familiale. (…) L’Eglise est pleinement engagée dans l’histoire de chaque mariage chrétien. Elle s’édifie sur leurs réussites et souffre de leurs échecs.»
A partir du constat que beaucoup de couples cohabitent parfois depuis longtemps mais ne se connaissent pas vraiment, le pape François appelle le 27 mai à revaloriser le temps des fiançailles comme chemin de préparation au mariage. On ne doit pas brûler les étapes sur ce chemin, insiste-t-il. La liberté du lien conjugal «ne repose pas seulement sur une simple entente de l’attraction ou du sentiment, d’un moment, d’un temps bref. (…) L’alliance d’amour entre l’homme et la femme, alliance pour la vie, ne s’improvise pas ! Elle ne se fait pas d’un jour à l’autre. Il n’y a pas de mariage-express. (…) Qui prétend vouloir tout et tout de suite, cède aussi sur tout, et tout de suite, à la première difficulté ou à la première occasion.»
«La famille est le chef d’œuvre de la société», assure le pape François. Il faut réfléchir sérieusement au fait que de nombreux jeune n’osent plus se marier et n’ont plus confiance en la famille. François déplore la culture du provisoire qui fait que les jeunes «préfèrent la cohabitation à responsabilité limitée». François réfute l’explication économique, comme celle de l’émancipation de la femme. Il y voit plutôt une forme de machisme, «une façon de dire comme Adam dans le jardin d’Eden: ‘ce n’est pas moi qui ai mangé la pomme c’est la femme qui me l’a donnée!'» En fait c’est probablement cette peur d’échouer de se tromper qui est le plus grand obstacle à l’union conjugale et à la famille.
Pour le pape François, tout ce qui est humain et chrétien est social. Ainsi «l’inégalité salariale entre hommes et femmes est un pur scandale. (…) Comme chrétiens, il faut être plus exigeant sur ce point. (…) Pourquoi partons-nous du principe que les femmes doivent gagner moins que les hommes?» Le pontife souligne encore que «la maternité des femmes et la paternité des hommes, surtout au bénéfice des enfants doit être reconnue comme une réelle richesse.»
Le travail du dimanche est le thème de la catéchèse du 12 août. «Le temps du repos, surtout celui du dimanche nous est destiné pour que nous puissions profiter de ce qui ne s’achète pas et ne se vend pas», souligne François qui condamne «l’idéologie du profit et de la consommation qui voudrait aussi ‘manger’ la fête. (…) La fête n’est pas la paresse de rester dans son fauteuil, ou l’ivresse d’une invasion idiote. Elle est surtout un regard amoureux sur le travail bien fait».
Fête et travail font partie du dessein créateur de Dieu, explique François. Il dénonce alors «l’organisation moderne du travail qui a une tendance dangereuse à considérer la famille comme une gêne, un poids pour la productivité.» D’où le défi des familles chrétiennes Les familles chrétiennes qui «détiennent les fondements de la création de Dieu: l’identité et le lien de l’homme et de la femme, la génération des enfants, le travail qui domestique la terre et rend le monde habitable. La perte de ces fondements est un problème très grave, et dans la maison commune, il y a déjà trop de fissures!»
«Chrétiens, nous devons être plus proches des familles touchées par la pauvreté», rappelle François le 3 juin. «La misère sociale touche la famille et parfois la détruit, mettant à rude épreuve les relations», souligne-t-il en pointant du doigt le manque de travail, l’insuffisance de soins et d’éducation, et bien sûr la violence et les guerres. Il dénonce aussi «les pseudos-modèles transmis par les médias, basés sur l’esprit de consommation et le culte de l’apparence, qui développent la désagrégation des liens familiaux.» Il fustige «l’économie moderne qui favorise la jouissance du bien-être individuel et exploite les liens familiaux».
«Parfois on se dit que nous sommes en train de devenir une civilisation des mauvaises manières, comme si c’était un signe d’émancipation», commente François le 13 mai. «S’il te plaît, pardon, merci sont les trois mots clés pour vivre en famille». Pour le pape, il s’agit de bien autre chose que de politesse, mais du fondement même de la dignité humaine et de la justice sociale. «Il ne faut jamais terminer une journée sans avoir fait la paix. (…) Dans une maison où ne se demande pas pardon, on commence à manquer d’air, les eaux deviennent stagnantes.»
Le pape évoque le 24 juin les blessures de l’âme liées à la rupture du lien conjugal. La séparation peut être parfois inévitable, voire moralement nécessaire. «Mais je me demande si nous ne sommes pas anesthésiés devant les blessures de l’âme des enfants (…) que certains cherchent à compenser avec des cadeaux et des friandises. (…) Quand les adultes perdent la tête, quand chacun pense uniquement à lui-même, quand papa et maman se font du mal, l’âme des enfants souffre beaucoup, elle éprouve un sentiment de désespoir. Et ce sont des blessures qui laissent une trace pour toute la vie. (…) Autour de nous, nous trouvons plusieurs familles dans des situations dites irrégulières — personnellement, je n’aime pas ce terme — et nous nous posons de nombreuses questions. Comment les aider ? Comment les accompagner ? Comment les accompagner afin que les enfants ne deviennent pas les otages du papa ou de la maman ?
«L’Eglise n’abandonne jamais la famille, même quand elle tombe dans le péché». Le 25 mars le pape François appelle à prier dans la perspective du synode «pour que l’Eglise soit toujours plus engagée et unie dans le témoignage de la vérité de l’amour de Dieu et de sa miséricorde, sans exclure personne, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de la bergerie».
Lors de la 100e audience de son pontificat, le 5 août le pape François évoque la situation des divorcés-remariés. Il s’interroge «comment prendre soin de ceux qui, suite à l’échec irréversible de leur lien matrimonial, ont entrepris une nouvelle union». Il livre explicitement des pistes pour le synode. «Grâce à l’approfondissement accompli par les pasteurs, guidé et confirmé par mes prédécesseurs, s’est beaucoup accrue la conscience de la nécessité d’un accueil fraternel et attentif, dans l’amour et la vérité, à l’égard des baptisés qui ont établi une nouvelle vie commune après l’échec du mariage sacramentel; en effet, ces personnes ne sont nullement excommuniées: ne les excommuniez pas! Et il ne faut absolument pas les traiter comme telles: elles font toujours partie de l’Eglise.»
«L’Eglise sait bien qu’une telle situation contredit le Sacrement chrétien. Toutefois, elle sent le devoir, par amour de la vérité, de bien discerner les diverses situations. C’est ainsi que s’exprimait saint Jean Paul II, en donnant comme exemple la différence entre ceux qui ont subi la séparation par rapport à ceux qui l’ont provoquée. Il faut faire ce discernement.»
Face aux deuils qui touchent la famille, le pape François revendique le droit de pleurer. Il évoque en particulier la perte d’un enfant «c’est comme si le temps s’arrêtait : un précipice s’ouvre, qui engloutit le passé et aussi l’avenir. La mort, qui emporte l’enfant petit ou jeune, est une gifle aux promesses, aux dons et aux sacrifices d’amour joyeusement faits pour la vie que nous avons fait naître». Mais la mort n’a pas le dernier mot. «Le Seigneur a vaincu la mort pour toujours et nos chers défunts ne sont pas retournés au néant», explique-t-il le 17 juin.
«Beaucoup de soi-disant experts prétendent prendre la place des parents, y compris dans les aspects les plus intimes de l’éducation», déplore le pape le 20 mai. «Les familles sont accusées d’autoritarisme, de favoritisme, de répression affective par des intellectuels critiques.» Pourtant les parents «ne doivent pas courir le risque de s’exclure de la vie de leurs enfants.» A l’inverse les parents séparés ne doivent pas prendre en otages les enfants dans leurs conflits. (…) Les enfants ne doivent pas être ceux qui portent le poids de la séparation.»
Pour François, «l’alliance de la famille avec Dieu est appelée aujourd’hui à contrecarrer la désertification communautaire de la ville moderne. Mais nos villes ont été désertées par manque d’amour, par manque de sourire. Il y a tant de divertissements, tant de choses pour perdre du temps, pour faire rire, mais il manque l’amour. (…) Aucune ingénierie économique et politique n’est en mesure de substituer cet apport des familles. Le projet de Babel érige des gratte-ciel sans vie. L’Esprit de Dieu, en revanche, fait fleurir les déserts. Nous devons sortir des tours et des salles blindées des élites, pour fréquenter à nouveau les maisons et les espaces ouverts des multitudes, ouvertes à l’amour de la famille.»
Le cycle des catéchèses de François sur la famille se clôt sur le rôle de l’Eglise qui «selon l’Evangile ne peut qu’avoir la forme d’une maison accueillante». Le lien entre la famille et la communauté chrétienne «est pour ainsi dire, ‘naturel’, car l’Église est une famille spirituelle et la famille est une petite Église», explique le pape François le 9 septembre. «Les églises, les paroisses, les institutions qui ont les portes fermées ne doivent pas s’appeler églises, elles doivent s’appeler musées !»
Il revient à la définition première de la famille : «L’histoire des liens d’affections humains s’écrit directement dans le cœur de Dieu ; et c’est cette histoire qui demeure pour l’éternité. Tel est le lieu de la vie et de la foi. La famille est le lieu de notre initiation – irremplaçable, indélébile – à cette histoire.» (apic/mp)
Maurice Page
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