Le droit de la famille et la politique familiale seront deux sujets importants de la prochaine législature aux chambres fédérales. Certaines des propositions actuelles suggèrent des mutations assez profondes.
Cath.ch : Une des propositions est de mettre sur un pied d’égalité toutes les formes d’union, même si l’institution du mariage est préservée.
Liliane Maury Pasquier: La différence entre le mariage et le concubinage ne peut pas être supprimée, parce que précisément il n’y a pas de volonté du couple de formaliser leur union. On ne peut pas obliger des gens à conclure un accord ou un contrat. Cela fait partie de leur liberté. Mais en tant que société on ne peut pas faire non plus comme s’ils ne vivaient pas ensemble. Je dis cela par exemple par rapport à des règles concernant la maladie où le concubin ne peut en principe pas prendre de décision sur la santé de son partenaire. Les personnes qui ont fait ce choix du concubinage n’ont pas forcément une pleine conscience de ses conséquences. Dans tous les cas un débat public est à mener sur ces questions.
Le mariage actuel entraine aussi un certain nombre de modifications que le couple peut ne pas souhaiter, par exemple de choisir un nom de famille, de changer de lieu d’origine. La solution serait alors d’ouvrir le partenariat enregistré aussi à des couples de sexe différents comme le modèle français. On aurait ainsi une situation intermédiaire entre le mariage et le concubinage.
Cath.ch : Le mariage doit-il être aussi ouvert aux couples de même sexe ?
L.M-P.: Le mariage et respectivement le partenariat enregistré sont des institutions qui contribuent à garantir le droit des personnes qui y recourent pendant la durée de l’union et le cas échéant à la fin de l’union. Dans ce cadre, il est légitime d’assurer à toutes les personnes qui choisissent de s’unir à une autre personne les mêmes droits. Le mariage au sens juridique du terme ne peut donc pas être réservé exclusivement aux couples de sexes différents.
Cath.ch : La question de l’adoption des enfants risque aussi d’être un sujet très disputé. Faut-il l’ouvrir aux couples homosexuels ?
L.M-P.: Dans toutes ses formes d’union, le droit de l’enfant doit primer. Pour moi ce n’est pas la différence de sexe ou pas qui fait qu’un enfant soit aimé et heureux, mais la capacité d’accueil du couple. La situation actuelle est insatisfaisante si on considère qu’une personne seule a le droit d’adopter un enfant alors qu’un couple homosexuel ne peut pas le faire. Il n’est même pas possible d’adopter l’enfant biologique du partenaire. Il faudrait lever au moins cette impossibilité pour garantir les droits de l’enfant en cas de décès de son père ou de sa mère. Sinon l’autre adulte avec lequel l’enfant a grandi ne peut pas faire valoir son rôle de parent.
Si l’enfant n’a pas de lien de filiation avec le couple cela devrait être aussi possible, puisque l’adoption est permise à une personne seule. Mais ce cas de figure sera certainement rare dans la mesure où le nombre d’adoptions est en diminution, notamment parce qu’il n’y a quasiment plus d’adoptions internationales
Cath.ch: Il arrive évidemment que des communautés de vie soient dissoutes. Comment régler les effets d’une séparation ?
L.M-P.: De grand progrès en matière de partage ont déjà été fait. Je pense en particulier à la répartition des avoirs de la prévoyance professionnelle. C’est un minimum que l’on ne peut pas remettre en cause. Si on vit en couple en principe on partage les bonnes et les mauvaises choses c’est quand même ce à quoi l’on s’engage. Si une union vient à être dissoute on doit aussi partager ce qui a été réalisé pendant sa durée.
Cath.ch : Comment jugez-vous cette évolution de la société et notamment le nombre de divorces ?
L.M-P.: Je regrette qu’il y ait autant de divorces. Que l’engagement ne soit pas mieux valorisé. Mais je n’ai pas non plus de recette. Nous vivons dans une société très matérialiste, très individualiste. La société de l’image nous montre des gens qui ne sont heureux qu’en consommant, en restant jeunes, en vivant de manière très éclatée. Cela ne contribue pas à renforcer la valeur de l’investissement dans le mariage. La valeur de l’effort qu’il faut parfois faire pour se dire que cela vaut la peine. Cela va sans doute aussi avec la vie spirituelle. Le mois prochain, nous allons célébrer avec mon mari nos 40 ans de mariage. Je constate personnellement la richesse de l’engagement, même si durant ces 40 ans tout n’était pas donné, tout n’était pas facile. Il faut parfois faire le poing dans sa poche, attendre que ça passe, retisser le lien.
Cath.ch: La pauvreté touche surtout les familles nombreuses et les familles monoparentales. Comment y remédier ?
L.M-P.: Les prestations complémentaires pour les familles sont un système qui permettrait de lutter efficacement contre la pauvreté qui affecte les enfants dans leur développement. L’Etat doit jouer son rôle dans l’enfance et la jeunesse, si on veut des adultes capables de développer leurs compétences personnelles et le vivre-ensemble. Malheureusement le projet développé par les chambres fédérales, suite à deux initiatives parlementaires il y a déjà une dizaine d’années, a été rejeté au final. Peut-être le prochain parlement pourra-t-il y remédier ?
Avec des moyens limités il faut utiliser le bon instrument comme les allocations familiales. Nous nous sommes beaucoup battu pour une loi cadre qui englobe tous les enfants vivant en Suisse et qui fixe des minimas, même s’ils sont largement insuffisants. Quelques cantons ont amélioré leur situation. Une autre piste est la suppression des primes d’assurance-maladie pour les enfants qui représentent une charge considérable pour les familles. Une proposition dans ce sens est en suspends devant le Conseil national. J’espère que le parlement aura le courage de cette décision. Il y a aussi à mes yeux un nécessaire investissement des autorités publiques sur les loyers qui constituent une lourde charge pour les familles. Il faut avoir assez d’appartements subventionnés disponibles.
Cath.ch: D’autres initiatives donnent la préférence aux déductions fiscales.
L.M-P.: Les déductions fiscales ne sont pas le bon instrument pour faire de la politique familiale. Même si le volume des déductions fiscales est globalement assez important, on ne répond pas aux vrais problèmes. En fait cela représente un manque à gagner pour les caisses publiques qui auraient justement besoin d’argent pour aider les familles. En outre cela n’aide que moyennement les familles de la classe moyenne car les déductions fiscales profitent surtout aux plus riches qui n’en ont pas besoin.
Cath.ch: Pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle est aussi important.
L.M-P.: Cela passe notamment par les structures d’accueil accessibles à tous et dans toutes les communes de Suisse. Il y a beaucoup trop d’inégalités. Dans un même canton, il peut y avoir selon les communes des capacités d’accueil, des conditions et des tarifs très différents. Il faut une harmonisation des pratiques.
Cath.ch : L’introduction d’un congé paternité pour les pères est également en débat
L.M-P.: Je soutiens la proposition d’un congé paternité. Je suis convaincue que tout le monde à y gagner, le père, la mère, le bébé et la société en général. Le projet de congé de deux semaines financé par l’assurance pertes de gain (APC), à l’instar de l’assurance maternité, est gelé. Soit le parlement décide, soit il faudra en passer par une initiative populaire fédérale ou éventuellement des initiatives cantonales.
On devrait aussi développer un congé parental en complément du congé maternité et du congé paternité et pas à la place. Le congé maternité de 14 semaines est le minimum des minimas qui doit être réservé à la mère. Idéalement il faudrait reprendre le système des pays nordiques. C’est aussi un moyen d’encourager la responsabilité des deux parents.
Cath.ch: Pourquoi la Suisse peine-t-elle tant à progresser en matière de politique familiale ?
Depuis une décennie, des progrès ont été réalisés, mais il est vrai que la Suisse n’est pas un modèle en matière de politique familiale et de partage des tâches entre hommes et femmes. Peut-être dans notre société vieillissante ne ressent-on pas encore assez le manque de main d’œuvre qualifié pour encourager les familles à avoir des enfants. La Suisse n’est pas un pays progressiste. Il y a un aspect culturel. On entend encore dire dans certains partis que la famille est une affaire privée dans laquelle l’Etat n’a pas à s’immiscer. Tant que vous aurez un Conseiller fédéral qui dit que la place de la femme est à la cuisine, il est difficile de progresser. C’est la Suisse d’hier, magnifiée, idéalisée. Elle n’était en fait pas du tout comme cela.
Cath.ch: La migration amène aussi de nombreuses familles en Suisse.
L.M-P.: Devant le drame de la migration actuel, on ne peut qu’accueillir les immigrants tout de suite et au mieux. Ce qui est dans leur intérêt, mais aussi dans le nôtre. Il faut éviter de les laisser des mois voire des années dans l’incertitude en prenant tout de suite en charge l’intégration, sans oublier d’où ils viennent et ce qu’ils ont vécus pour arriver jusqu’ici. Il y a là un investissement majeur à faire pour éviter de rester dans des situations psychologiques qui empoisonnent toute la vie. Les Allemands, qui ont les mêmes problèmes que nous d’un vieillissement de la population et d’un manque de main d’œuvre, ont bien compris cette nécessité. (apic/mp)
Encadré
Liliane Maury Pasquier, est née le 16 décembre 1956 à Genève. Sage-femme de profession, elle est conseillère municipale à Veyrier de 1983 à 1992, puis députée au Grand Conseil du canton de Genève de 1993 à 1996.
Élue au Conseil national de 1995 à 2007, elle entre aux Conseil des Etats en 2007, elle est Depuis fin 2013, elle est présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Elle est aussi membre de la Commission de politique extérieure et de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture. Elle fait également partie de deux délégations dont elle a été présidente: la Délégation pour les relations avec le Parlement français (présidence de 2009 à 2011) et la Délégation auprès du Conseil de l’Europe (présidence de 2011 à 2014)
Mariée, elle est mère de quatre enfants et grand-mère de six petits-enfants.
Maurice Page
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