Daylop Salomon est un jeune avocat nigérian. Il raconte au site internet catholique américain Crux, dans un reportage publié fin août 2015, qu’il a perdu plus de 140 membres de sa famille ainsi que des amis proches, au cours des trois dernières années. Tous ont été assassinés par le groupe radical islamiste Boko Haram. Le jeune juriste insiste sur le fait qu’à chaque fois, les actes de violences de la secte islamiste étaient totalement non provoqués. «Nous ne les avions jamais attaqués», assure-t-il.
D’après Portes ouvertes, une organisation protestante de défense des chrétiens, 2’484 chrétiens nigérians, dont des femmes et des enfants, ont été tués en 2014. Cette moyenne de sept morts par jour est plus élevée que celle enregistrée dans d’autres régions du monde où les chrétiens sont persécutés, telles que l’Irak, la Syrie ou la Corée du Nord.
Il est effectivement arrivé que, de façon occasionnelle, des chrétiens prennent les armes et combattent leurs persécuteurs, au Nigeria et dans d’autres parties du monde. Il n’existe pourtant aucune démarche d’auto-défense systématique. Il apparaît ainsi que, dans la plupart des cas, les dirigeants chrétiens déconseillent ces initiatives.
Sur cette question, les opinions divergent sensiblement s’agissant de la base des fidèles ou du clergé, affirme Crux.
Musa Audu Badung, issu d’une famille musulmane, assure que les chrétiens ne se défendent généralement pas. Il s’est converti au christianisme à l’âge de 10 ans parce qu’il avait honte des atrocités perpétrées au nom de l’islam. «Les missionnaires nous ont appris que quand un ennemi vous frappait, vous deviez tendre l’autre joue, pour qu’il vous frappe encore, explique-t-il. Le Christ enseigne la paix, c’est pourquoi nous ne combattons pas nos voisins». Il semble néanmoins en avoir assez de cette situation, souligne Crux.
Lui et les autres chrétiens de la zone ont appris à jauger la distance à laquelle se produisent les coups de feu, pour pouvoir fuir à temps. Musa Audu Badung connaissait personnellement 20 chrétiens assassinés dans la zone. Il sait que de nombreux autres ont péri, beaucoup brûlés vifs dans les églises, ou décapités en public.
Il explique qu’il ne prend pas les armes parce que c’est actuellement illégal. «Mais s’il y avait un traité international qui autorisait les gens à posséder des armes pour se défendre, alors pourquoi pas?», commente le Nigérian.
Daylop Salomon semble d’accord avec ce point de vue, assurant que les chrétiens ne se défendent pas simplement parce qu’ils n’ont pas d’armes. «Nous en appelons aux instances internationales, afin qu’elles fassent une déclaration qui autorise les gens ne bénéficiant pas de la protection de l’Etat à se défendre en achetant des armes. Les chrétiens sont toujours les victimes, ajoute-t-il».
Le pasteur protestant Yakubu Pam pense que la solution est plutôt d’offrir aux jeunes des perspectives d’avenir. Il les encourage, depuis sept ans, à créer de petits commerces et à acquérir une formation professionnelle, afin qu’ils ne soient pas attirés par les milices d’auto-défense.
«Nos jeunes gens doivent être engagés dans la vie active, affirme-t-il, sinon, ils suivront le même chemin que les meurtriers (…) Il ne faut pas en arriver au point où il n’y aurait plus de différence entre eux et nous. A la fin de la journée, quand les violences auront pris fin, ils se seront habitués à tuer des gens. Et ça, nous le voulons pas.»
Pour Mgr Ignatius Kaigama, évêque catholique de Jos, au nord du Nigeria, la question principale concerne les limites de l’auto-défense. «Quand les gens sont si durement provoqués par des attaques répétées, des tueries et des destructions, acculés au mur, de telle sorte qu’ils recherchent tout moyen possible de se défendre, les événements dépassent souvent les limites», déclare le prélat.
Mgr Kaigama assure pour autant n’avoir jamais soutenu l’idée que les chrétiens doivent s’armer et commencer une guerre. Il relève le problème de ce qui arrive à la fin du conflit, gagné ou perdu: les armes restent en possession des gens, les enfants ont appris à tuer, et ils sont tentés de le faire pour la moindre dispute, souligne l’évêque.
«Nous devons chercher des solutions alternatives, assure Mgr Kaigama. Il faut résoudre ce problème à la racine et négocier de façon décisive avec ceux qui perpètrent ces atrocités».
L’évêque catholique de Sokoto, Mgr Matthew Kukah, réside dans une région septentrionale du pays, à majorité musulmane. Il pense pourtant également que la prise des armes n’est pas la solution. Il relève les conséquences à long terme d’une diffusion d’armes à grande échelle. L’évêque souligne également que la défense des individus est fondamentalement une responsabilité de l’Etat. «Si les parents sont absents et que les enfants se battent pour une glace, l’ordre peut seulement être rétabli lorsque le père et la mère, ou quelqu’un d’autre prend sa responsabilité».
Le prêtre catholique Peter Omori célébrait la messe lorsque sa paroisse a été bombardée par Boko Haram en 2012, tuant 14 personnes. Lui, affirme que, s’il ne conseillera pas à ses paroissiens de s’armer, il ne leur déconseillera cependant pas de le faire.
«Les membres de Boko Haram ont détruit tant de vies, que la vie n’a plus aucune valeur pour eux, affirme le prêtre. Ils tuent les gens comme on tue des poulets (…) Qui donc resterait assis en attendant qu’on le tue ou que quelqu’un s’en prenne comme il veut à sa famille ou à ses biens?», s’interroge l’ecclésiastique.
Samson Tsok, un chrétien pentecôtiste du nord du Nigeria qui a perdu un oncle et un ami proche dans les violences souscrit à ce point de vue. «Israël s’est fondé par la guerre, et Israël survit aujourd’hui par la guerre, lance-t-il (…) je pense que l’on ne peut avoir la paix sans avoir la guerre.»
Il considère que les chrétiens devraient, quand c’est nécessaire, se défendre. Il estime qu’il n’est pas possible d’attendre sans rien faire, sachant pertinemment que le gouvernement ne fera rien. Samson Tsok assure ne pas croire en l’enseignement qui enjoint à tendre l’autre joue.
Un dernier ecclésiastique interrogé par Crux, qui officie dans une des régions les plus exposées par la violence de Boko Haram, se dit opposé à l’armement des chrétiens. Le prêtre anglican Neimon Gowon affirme que «s’il vaut la peine de vivre pour la foi, alors il vaut aussi la peine de mourir pour elle». (apic/crux/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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