«Cette nouvelle est effroyable, elle me bouleverse, principalement parce que la Fondation culturelle islamique de Genève (FCIG), qui gère la mosquée du Petit-Saconnex, a justement été créée dans le but d’offrir une vitrine, en Suisse, d’un islam de civilisation, de démocratie et de paix», déclare Hafid Ouardiri, joint par téléphone en Hongrie, où il est actuellement en déplacement. Le directeur actuel de la Fondation de l’entre-connaissance, basée à Genève, est en effet un des membres fondateurs de la FCIG, établie en 1975, et dont il a été écarté en 2007.
Les révélations, le 28 août 2015, des quotidiens romands 24heures et la Tribune de Genève sur le départ en Syrie d’un Genevois de 20 ans et d’un Tunisien, suscitent une tempête de réactions. Tous deux étaient liés à un groupe de jeunes radicalisés fréquentant la mosquée du Petit-Saconnex. Le fait que deux des trois imams travaillant à la mosquée soient fichés en France par les services de renseignement ajoute encore à la stupéfaction de l’opinion publique. Hafid Ouardiri se dit consterné par cette information. «Avant d’engager une personne, la direction devrait prendre des précautions. Tout d’abord savoir d’où les personnes viennent, quelles sont leurs orientations, et ne pas entrer en matière si elles découvrent que les postulants sont fichés par des services de renseignements».
Les deux imams en cause, des Français convertis à l’islam se sont défendus, dans 24Heures et la Tribune de Genève d’avoir une approche fondamentaliste et d’avoir radicalisé les jeunes. Les journaux expliquent pourtant que l’un des imams, un Toulousain, apparaît dans le dossier judiciaire du terroriste Mohamed Merah. S’il nie avoir jamais été en contact avec lui, les quotidiens notent que son numéro de portable apparaissait sept fois dans la liste des appels du téléphone utilisé par le djihadiste qui a tué sept personnes en 2012, au sud-ouest de la France. Une note de la Direction départementale de la police aux frontières de l’Ain estime qu’il serait l’un des personnages clés dans l’organisation d’une filière djihadiste. Une accusation qu’il dément également, expliquant avoir été fiché pour le simple fait d’avoir étudié en Arabie saoudite.
De son côté, Hafid Ouardiri ne se prononce pas sur la radicalisation des imams, même s’il avoue «se poser des questions». L’intellectuel musulman s’interroge en tout cas sur la façon dont les deux imams ont géré l’affaire des deux jeunes partis faire le djihad en Syrie. Les religieux mis en cause ont expliqué aux journaux romands qu’ils n’avaient pas identifié les jeunes radicalisés et que de toute façon, ils ne pouvaient exclure personne. L’un des imams admet regretter son inaction après que la mère de l’un des jeunes partis en Syrie l’ait appelé en pleurs au téléphone. «J’aurais dû l’inviter à venir en discuter», avoue le dignitaire musulman. Face à ces signaux d’alerte, les deux imams ont expliqué avoir continué leur travail, assurant qu’ils ne pouvaient pas forcer ces jeunes à les écouter. «Si l’on s’en tient aux informations de la Tribune de Genève et de 24 Heures, ces réactions sont inquiétantes, voire gravissimes», déplore Hafid Ouardiri.
Il s’inquiète d’une manière générale du manque de communication qu’il perçoit entre les fidèles et les imams. Pour le directeur de la Fondation de l’entre-connaissance, la distanciation de la direction de la FCIG avec les fidèles et la société locale est à la base des problèmes actuels.
Il explique avoir fondé la structure en 1975, avec quelques autres personnalités musulmanes genevoises, avec l’aide de l’Arabie saoudite et de la Ligue islamique mondiale (LIM). Il tient encore aujourd’hui à exprimer sa reconnaissance pour l’appui apporté par les deux entités dans cette entreprise destinée valoriser un islam intégré dans la société locale. Hafid Ouardiri y a assumé durant des décennies des fonctions de porte-parole et d’administrateur. Or, en 2007, l’intellectuel genevois a pris l’initiative, avec quelques-uns de ses collègues, de demander à la LIM de nommer une direction de la FCIG issue de la communauté locale, plutôt qu’envoyée d’Arabie saoudite, comme cela était le cas. Une démarche qui lui a valu d’être écarté de l’institution. Hafid Ouardiri regrette ainsi que, depuis lors, la LIM se soit immiscée de plus en plus dans les affaires de la Fondation, augmentant la déconnexion avec la communauté autochtone. «Si la mosquée avait pu continuer à vivre en bon rapport avec la population, des situations comme celles que nous vivons aujourd’hui auraient certainement pu être évitées», assure-t-il. Il souligne que pendant toute la période où il travaillait pour la Fondation, il n’y avait pas eu de problème de radicalisation.
Hafid Ouardiri souhaite ainsi que la mosquée face preuve de plus de transparence et d’ouverture, qu’elle partage, consulte et fasse participer la base des fidèles à ses décisions. «Ces gens pensent certainement faire le bien. Mais on ne peut pas imposer le bien de manière totalitaire», assène l’intellectuel genevois. «Ce qui s’est passé au Petit-Saconnex est très grave car cela vient confirmer les craintes et les préjugés de la population (…) Pour lutter contre de telles dérives, il faut en parler, il faut afficher le maximum de transparence, afin de reconstruire la confiance avec la société locale», lance Hafid Ouardiri. (apic/24h/tdg/rz)
Raphaël Zbinden
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