Frère Roger, dix ans après

Taizé, 13.08.15 (cath.ch-apic) Le 16 août 2005, durant la prière communautaire à Taizé, frère Roger Schütz, fondateur et prieur de la communauté, est frappé de plusieurs coups de couteau. Evacué, il décède peu après. Le choc est immense… Retour sur l’événement, dix ans après.

La prière du soir avait commencé dans l’église de la Résurrection. Frère Roger était, comme à l’accoutumée, placé à l’extrémité de l’allée centrale derrière les frères. Une Roumaine de 35 ans, Luminita Solcan, s’avance près des buis qui délimitent l’espace réservé à la communauté. Elle se lève soudain et agresse le prieur, à l’arme blanche. Elle le touche à la gorge.

Des jeunes proches poussent des cris qui interrompent le chant. La femme est maîtrisée et les frères se penchent vers frère Roger qui perd connaissance. On évacue le blessé. Le chantre entonne Laudate omnes gentes, un des chants les plus connus de Taizé. A la maison, entouré de quelques frères et d’un médecin, frère Roger meurt.

Dans l’église, la prière se poursuit, fervente. Le texte des Béatitudes est lu. Puis, explique Sabine Laplane dans sa récente biographie de frère Roger (Frère Roger, de Taizé. Avec presque rien…), frère François intervient à l’église: «Vous supposez bien que quelque chose de grave vient d’arriver. Frère Roger a été attaqué et il est décédé». Il invite à vivre l’événement dramatique avec la paix que le défunt a souhaité à chaque instant et à rendre grâces pour sa vie. Les cloches retentissent et une longue prière nocturne commence.

Les jeunes Roumains présents sont accablés. Rapidement, les frères de Taizé vont les rassurer: la nationalité de la meurtrière, une femme déséquilibrée, ne doit pas être un motif de trouble pour eux. Les obsèques de Frère Roger ont lieu une semaine plus tard. Le cardinal Walter Kasper, à l’époque président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, préside la célébration eucharistique. Le fondateur de la communauté de Taizé sera enterré simplement, devant la vieille église romane du village bourguignon. Roger Schütz avait 90 ans.


Encadrés:

Frère Alois: «Nous avons roulé toute la nuit»

Le prieur de Taizé était en Allemagne au moment du décès de frère Roger. Avant un voyage retour éclair vers la Bourgogne.

Comment avez-vous appris le décès de Frère Roger, le 16 août 2005?

Je me trouvais à Cologne où venait de commencer les JMJ. Nous étions huit frères pour animer des prières dans deux églises. J’ai reçu l’appel téléphonique m’annonçant la nouvelle et les circonstances violentes de sa mort. C’était le soir… Un couple ami m’a proposé de me ramener en voiture à Taizé. Nous avons roulé toute la nuit, et dès le matin j’ai commencé le ministère que frère Roger m’avait chargé d’accomplir après sa mort.

Que ressentez-vous à son égard, dix ans après sa disparition?

La peine de la séparation est toujours là. Mais j’éprouve surtout une grande reconnaissance pour tous les chemins qu’il a ouverts, pour toutes les intuitions qu’il a laissées. L’héritage est immense et il demeure très vivant.

La personnalité «prophétique» de frère Roger, comment se vit-elle aujourd’hui?

En ce qui concerne l’œcuménisme, nous n’avons pas fini d’explorer ce que signifie sa volonté de créer une communauté qui anticipe l’unité, qui la vit par avance. Cela nous pousse à appeler les chrétiens à oser se mettre sous un même toit sans attendre que soient résolues toutes les questions qui les séparent.

Une de ses préoccupations était aussi celle de la paix, du partage, de la solidarité entre les humains. Cela reste tellement actuel. Avec les milliers de jeunes qui se succèdent sur notre colline, de l’Europe de l’Est et de l’Ouest, du Soudan du Sud comme de Cuba, aborigènes d’Australie ou chrétiens de Chine, il nous est donné de réaliser à petite échelle le signe d’une fraternité universelle.


Orsi Hardi: «Le lendemain, à six heures…»

Responsable de l’intendance à Taizé, la Hongroise Orsi Hardi était à Taizé au moment du décès de frère Roger. Elle a vécu l’événement… depuis les cuisines.

Comment avez-vous appris le décès de frère Roger, le 16 août 2005?

Cette prière du soir reste gravée dans notre mémoire. Il y a eu d’abord le choc, l’incompréhension… Mais très vite, nous avons compris que la vie était plus forte que la mort. Avec mon mari, nous sommes responsables de l’intendance. Le lendemain du décès, nous nous sommes dit qu’il fallait être très tôt à la cuisine parce que les équipes des jeunes ne seraient pas là pour leur tâche. Nous avons pensé préparer le petit déjeuner seuls, pour des milliers de personnes.

A notre grand étonnement, à 6 heures du matin, non seulement les équipes étaient présentes sans exception, mais il y avait en plus une vingtaine de jeunes. Ils ont demandé: «Dites-nous ce qu’on doit faire. Nous sommes là pour aider».

Et les jours suivants, nous avons vu comment ce drame pouvait être vaincu par la bonté. Tout le monde était là pour s’entraider, pour porter les autres. Le mal a eu sa place pour quelques secondes, mais le bien a été plus fort.

Que ressentez-vous à son égard, dix ans après sa disparition?

Nous avons connu frère Roger à la fin des années 1980. Nous étions touchés par son regard, bienveillant et plein de compassion. En face de lui, il nous donnait l’impression que le reste du monde disparaissait et que nous étions importants. Comme jeunes de l’Europe de l’Est, ce sentiment était essentiel.

Nous voyons encore ce regard… Et nous nous demandons, dans certaines situations: «Qu’est-ce qu’il dirait, qu’est-ce qu’il ferait?». Cela nous aide à prendre des décisions dans la vie de tous les jours.

La personnalité «prophétique» de frère Roger, comment se vit-elle aujourd’hui?

Il avait du courage. En parlant de lui, souvent on dit qu’il a sauté des murailles. C’est-à-dire qu’en face d’une difficulté il ne fuyait pas, il ne contournait pas le mur qui s’était dressé devant lui, mais il sautait par-dessus. Il était un pionnier. Si nous voulons marcher dans ses pas, nous devons continuer à sauter des murs et ne pas avoir peur de l’inconnu. Nous devons continuer à garder le cap et faire confiance aux jeunes générations.


Sabine Laplane: «Cette mort, violente et douce»

Religieuse de la communauté Saint-François Xavier, Sabine Laplane a écrit une biographie Frère Roger, 1915-2005. Avec presque rien… paru au Cerf en avril dernier.

Comment avez-vous appris le décès de frère Roger, le 16 août 2005?

J’étais sur le départ pour les JMJ de Cologne. Ma mère a entendu la nouvelle à la radio et me l’a transmise aussitôt. Ce fut un moment de stupeur et comme un envoi en mission: j’ai été saisie par le mystère de ce qui m’est immédiatement apparue comme un accomplissement pour frère Roger et une mission à poursuivre, auprès des jeunes.

Que ressentez-vous à son égard, dix ans après sa disparition?

Pour écrire sa biographie, ces dernières années, j’ai vécu comme en sa compagnie, dans une grande proximité spirituelle. Et je mesure un peu mieux sa souffrance dans l’Eglise. J’éprouve une très grande reconnaissance à son égard. Par son courage, sa persévérance, sa confiance dans les jeunes et son ouverture, il a su frayer des voies nouvelles dans l’Eglise, en invitant à la joie, à la simplicité et à la miséricorde.

La personnalité «prophétique» de frère Roger, comment se vit-elle aujourd’hui?

Frère Roger n’a pas cherché à vivre en prophète. Mais, dans la fidélité à la prière et à la vie communes, il a vécu le cœur ouvert à l’Esprit du Christ qui cherche toujours à approfondir notre humanité, à «élargir» nos horizons.

En voulant témoigner de la bonté de Dieu, il n’a jamais pris son parti d’un blocage institutionnel, dans l’Eglise comme dans la société. A travers la communauté, avec presque rien, frère Roger continue d’inciter à ouvrir des chemins nouveaux, à prendre des risques pour répondre aux urgences de notre temps. (apic/bl)

 

Bernard Litzler

Portail catholique suisse

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