Fin de matinée, le 14 juillet sur l’alpage… Le soleil brille, la vue est magnifique sur la vallée de Bellegarde, en Gruyère. Au pied de la Hochmatt, la ferme d’alpage du Gross Tosse voit arriver un véhicule rouge… Une visite inhabituelle pour cette ferme haut perchée. A l’intérieur de la voiture, l’abbé Jacques Rime, curé de Grolley et Courtion, spécialiste des traditions spirituelles en alpage, avec un paroissien-chauffeur.
Le fermier quitte momentanément sa fenaison pour le rejoindre. La propriétaire des alpages est également présente. D’abord le prêtre bénit l’eau. Il procède ensuite à la bénédiction de la ferme. Il pénètre ensuite dans l’étable et invoque, en allemand, saint Antoine du désert, puis saint Garin et saint Wendelin, patrons des troupeaux, et enfin François d’Assise et Nicolas de Flüe. Il lève le goupillon sur une vache malade, isolée dans la vaste étable.
Etape suivante à Tosse aux Quarts (ou Kar) chez Hedwige et Armand Cottier, énergiques et souriants. Les petits-enfants des fermiers ont rejoint l’ecclésiastique. Tous se dirigent vers le troupeau de Holstein. Un arrêt pour prier. Puis le goupillon se lève sur le bétail qui broute, paisible. Au final, l’abbé Rime va bénir les vaches portantes restées à l’ombre, à l’étable.
Devant une bonne soupe de chalet, les langues se délient. Les Cottier apprécient le passage du prêtre: «Nous sommes restés sans bénédiction pendant quelques années. Avant, le curé de Bellegarde, l’abbé Alfons Zahnd, venait tous les étés. Il bénissait tous les chalets du coin. Et si les paysans étaient absents, il laissait une image pieuse pour indiquer son passage…».
L’abbé Rime est monté à la demande de la propriétaire. «Je m’intéresse beaucoup aux traditions de la montagne dans le pays de Fribourg, dit le prêtre fribourgeois, passionné par les rapports entre la foi et la culture populaire. Pourtant, dans le canton, les bénédictions de troupeaux et d’alpage sont relativement récentes. Elles datent du début du XXe siècle. En Valais, on en a des traces plus anciennes, d’autant que les alpages étaient souvent communautaires.»
Après le repas, la troupe se dirige vers Kleiner Tosse: une longue ferme dont la toiture a été refaite, en tavillons. L’artisan, Lucien Carrel, de Vaulruz, a mis son bredzon (costume traditionnel) pour accueillir le prêtre, la propriétaire et les Cottier. Après la prière de bénédiction et un Notre Père, l’abbé Rime place le chalet sous la protection divine. Il en fait le tour, maniant le goupillon avec fermeté. La partie de toiture la plus récente, colorée du jaune des tavillons d’épicéa, contraste avec le pan plus ancien, déjà grisé.
Dernier café chez la propriétaire des alpages. Jacques Rime est intarissable: «Depuis une cinquantaine d’années, ces bénédictions sur l’alpage sont contestées. On ne bénit pas des choses, mais on bénit Dieu et on rend grâce pour les biens de la terre, précise le prêtre. Ce n’est pas de la magie ou un porte-bonheur. A chaque bénédiction, on lit d’ailleurs un texte de la Bible.»
Un livret jaune circule autour de la tablée: c’est le rapport d’activités 2014 de la Société fribourgeoise d’économie alpestre. Une sorte de bible des alpages. Tout y est: taille des fermes, nombre de vaches et de chèvres, noms des exploitants, etc. Et même un commentaire. Concernant l’alpage de Tosse, il précise: «Il y a une magnifique relation entre la propriétaire et les exploitants depuis une dizaine d’années». La bénédiction des alpages, en ce jour, a manifestement renforcé cette relation. Dans ce paysage paradisiaque, tout tend au divin. (apic/bl)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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