«Que Jan Hus soit réhabilité»: la demande protestante

Genève, 05.07.15 (cath.ch-apic) Il y a 600 ans, le 6 juillet 1415, Jan Hus était brûlé vif au Concile de Constance. Ce prédicateur de talent était animé d’un profond désir de renouveler une Eglise minée par «la guerre des papes» et le trafic d’indulgences.

Un siècle avant Luther, ce prêtre et théologien tchèque fut excommunié puis condamné pour hérésie et exécuté. Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à la faculté de théologie de l’Université de Genève, revient sur cette figure majeure de la Réforme et sur l’actualité œcuménique de son engagement.

Qui était Jan Hus et que lui a-t-on reproché?

Hus voulait réformer l’Eglise de son temps: celle de Prague, de Bohême et l’Eglise universelle, c’est-à-dire l’Eglise catholique. Il avait un certain nombre d’arguments: en premier lieu, le fait qu’à son époque l’Eglise ne fonctionnait pas. Elle souffrait d’un schisme depuis 1378: la chrétienté était partagée entre deux obédiences pontificales. A partir de 1409, il y eut même un troisième pape et on ne savait pas lequel était le bon.

Hus voit que l’Eglise de son temps cherche le pouvoir et l’argent par toutes sortes de subterfuges, dont le trafic d’indulgences. Il se plaint de l’immoralité du clergé, de la base jusqu’aux papes. A partir de là, il développe une conception ecclésiologique spécifique: selon lui, l’Eglise dépasse les frontières de l’institution humaine, elle est en Dieu. Au nom de cette véritable Eglise, que Dieu seul connaît, il va critiquer l’Eglise de son temps. Et c’est, au fond, cela qu’on ne peut lui pardonner.

Comment entend-il la réformer?

En prêchant l’Evangile… Hus est professeur de théologie – il était recteur de l’Université de Prague – et prédicateur. Quand il prêche à la chapelle Bethléem à Prague, jusqu’à mille personnes se pressent pour écouter ses sermons. Il les appelle à un redressement moral et il leur enseigne la foi. Il s’adresse aux gens dans leur langue: il écrit aussi en tchèque, pas seulement en latin. Il écrit des textes qui s’apparentent au genre de ce qu’on appellera plus tard les catéchismes, dans lesquels il explique les données essentielles de la foi, celles que le peuple doit connaître.

En 1412 – trois ans avant sa mort – Hus, qui est «en pétard» avec l’archevêque de Prague et la hiérarchie de l’Eglise, dépose un appel directement au Christ, qu’il considère comme l’instance supérieure de l’Eglise. Il s’oppose ainsi aux décisions ecclésiastiques auprès du Christ lui-même. Cette démarche n’est en rien prévue par le droit ecclésial. Il montre ainsi que, pour lui, l’Eglise est une instance relative et que seul le Christ est garant de la vérité.

En cela, il est un «pré-réformateur», en ce sens qu’il initie un mouvement que d’autres feront aboutir un siècle plus tard…

Oui, bien que je n’aime pas le terme de «pré-réformateur» parce qu’en disant cela on parle de lui uniquement en fonction de ce qui va se passer après. Hus est un avant tout un réformateur.

Ceci dit, on peut effectivement comparer sa réforme avec celle du XVIe siècle, qui s’inscrit, sur certains points, dans le droit-fil de la réforme praguoise de Hus. Comme Hus, Luther pense que ce ne sont ni les titres, ni les ornements sacerdotaux qui déterminent l’appartenance à l’Eglise. Il se pourrait même que certains clercs soient des disciples de Satan infiltrés comme une cinquième colonne dans l’Eglise du Christ. Cette critique commune de l’institution fera dire à Luther, lorsqu’il découvrit les écrits de Hus: «J’étais hussite sans le savoir».

Sur d’autres points, en revanche, la réforme luthérienne se détermine de façon tout-à-fait différente. La réforme du XVIe siècle ne vise pas d’abord à critiquer l’Eglise, mais plutôt à repenser la position de l’humain face à Dieu, notamment autour de la notion de justification par la foi. Pour être sauvé, il ne faut pas faire des choses – par exemple payer des indulgences, donner des aumônes, jeûner, etc. – mais accepter que la seule grâce de Dieu vienne à notre secours. C’est un point de théologie que l’on ne trouve pas avec cette clarté chez Hus qui en appelle, avant tout, à la rigueur morale et à la réforme du comportement.

Quel héritage laisse-t-il, 600 ans plus après sa mort, d’un point de vue œcuménique?

Sur ce plan, on attend toujours que Hus soit réhabilité. Tout récemment, le pape François a prononcé des paroles de pardon quand il est allé rencontrer des représentants de l’Eglise vaudoise à Turin. Je ne crois pas que des paroles aussi fortes aient été prononcées à l’égard de Jan Hus, même si le pape Jean-Paul II avait lancé la réflexion sur cette question. On ne peut pas remettre les compteurs à zéro, mais je pense que, là, il y a encore des démarches œcuméniques qui doivent être faites.

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque de Hus tout le monde voulait réformer l’Eglise – même ceux qui l’ont condamné au concile de Constance. Derrière cela, il y a la reconnaissance que l’institution à laquelle nous appartenons – qu’elle soit de Wittenberg, de Genève, de Rome ou de Canterbury – n’est pas une Eglise idéale. 600 ans plus tard, la reconnaissance de la faillibilité et de l’imperfection de nos institutions et la volonté commune de tendre vers un idéal de communion demeurent des stimulants pour notre réflexion œcuménique.


Biographie de Jan Hus

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Encadrés:

Jan Hus et les papes d’aujourd’hui

A l’occasion des 600 ans de la mort de Jan Hus, le pape François a reçu en audience à Rome une délégation de République tchèque le 15 juin 2015. «Beaucoup de disputes du passé demandent d’être revues à la lumière du nouveau contexte dans lequel nous vivons, a-t-il déclaré, et les accords seront trouvés quand nous affronterons les traditionnelles questions conflictuelles avec un regard neuf». Il a encouragé à «continuer la recherche sur la personne et l’activité de Jan Hus», devenue aujourd’hui «motif de dialogue», afin de parvenir à la vérité historique.

En 1999, Jean-Paul II avait pour sa part déclaré, lors d’un symposium international consacré à Jan Hus, qu’il était une «figure mémorable», en raison de «son courage moral face à l’adversité et à la mort». Il avait exprimé «son profond regret pour la mort cruelle» de Jean Hus et pour «la blessure qui en découle, une source de conflit et de division». «Une figure comme Jean Hus, qui était un point majeur de discorde dans le passé, peut maintenant devenir un sujet de dialogue, de discussion et d’étude commun», avait ajouté le pape polonais.

Festivités tchèques autour du 600e anniversaire de la mort de Jan Hus

En Tchéquie, de nombreux événements sont organisés pour commémorer le 600e anniversaire de la mort de Jan Hus. Une exposition intitulée «L’influence de Jan Hus du 15e siècle à nos jours» sera présentée à l’aéroport Václav Havel de Prague du 11 juin à la fin août. Quant à l’Université de Prague, elle met sur pied une exposition qui retrace le lien entre le réformateur et l’institution académique; Le 6 juillet, jour anniversaire de son exécution, une grande célébration culturelle et spirituelle se déroulera à Prague en présence du cardinal tchèque Miloslav Vlk, envoyé spécial du pape François.

Les fondements de la Réforme tchèque

Peter Kolar, jésuite tchèque, explique les fondements de la Réforme tchèque et son évolution contrastée aux 15e et 16e siècles au micro de Bernard Litzler. Il revient sur ce parcours marqué par la figure de Jean Hus, la monarchie austro-hongroise et la période communiste achevée par la «Révolution de velours». (cath.ch-apic/pp)

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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