Pourquoi et comment a été fondée la CPT?
La CPT a été fondée en pleine dictature militaire (1964-1984), lorsque le gouvernement a incité les grandes entreprises à aller occuper l’Amazonie, y compris en leur accordant de substantiels avantages fiscaux. Cette occupation a avancé comme un rouleau compresseur sur les zones peuplées par des indigènes et de petits agriculteurs ayant l’usage de la terre mais ne possédant pas de titres de propriété écrits. Pour former les grandes propriétés, souvent de manière illégale, les entreprises ont fait appel à de la main d’oeuvre de diverses régions du Brésil, en particulier du Nordeste pauvre, pour déboiser et façonner le paysage. Très souvent, ces travailleurs étaient soumis à des conditions de travail esclave. Cette situation inhumaine fut notamment dénoncée dans une lettre pastorale par Mgr Pedro Casaldáliga, alors évêque de Sao Félix do Araguaia, (Etat du Mato Grosso), qu’il a envoyé le jour de son ordination épiscopale.
Qu’est il advenu ?
Ce document a eu une immense répercussion, car il donnait à voir et comprendre les difficiles réalités dans presque toute l’Amazonie. Mgr Pedro Casaldáliga suggéra alors à la direction de la Conférence des évêques du Brésil (CNBB) de convoquer une réunion des évêques de l’Amazonie pour débattre de cette réalité. Cette réunion, qui a eu lieu du 20 au 22 juin 1975 à Goiânia, au centre du Brésil, a été officiellement organisée par la Commission brésilienne de Justice et Paix, avec d’autres institutions religieuses.
L’une des conclusions a été la création d’une Commission liée à la CNBB destinée à articuler, assurer l’interface et conseiller les diverses églises pour aider affronter la dure réalité que vivaient les petits paysans dans cette région. C’est ainsi qu’est née la Commission pastorale de la terre (CPT).
En quoi le lien avec l’Eglise catholique a-t-il aidé la CPT à développer son travail ?
L’action de la CPT n’a été possible, en pleine période de répression, que parce qu’elle a pu compter sur l’appui des évêques et de la CNBB. L’Eglise constituait alors l’une des rares voix qui pouvait encore se manifester sans souffrir les persécutions de la dictature, comme celles dont ont souffert d’autres entités. Cependant, très vite, la CPT a acquis un caractère œcuménique avec la participation d’autres Eglises, en particulier de l’Eglise évangélique de confession luthérienne du Brésil (IECLB).
Quelles sont les relations aujourd’hui de la CPT avec l’Eglise catholique?
Avec les changements survenus dans l’Eglise lors des pontificats de Jean Paul II et Benoît XVI, l’appui à la CPT a diminué. Certains diocèses ont restreint leur aide et moins de prêtres et de religieux et religieuses se sont impliqués dans les travaux pastoraux. Au niveau national, pourtant, la CNBB a continué à appuyer le travail de la CPT, même si c’était de manière moins intense.
Aujourd’hui, les propos et les actions du pape François constituent un grand renfort pour le travail de la CPT et représente une garantie pour tout le travail qu’elle accomplit. La CPT se sent reconnue et appuyée par les paroles et les actes du pape.
Avec le temps, la CPT a également développé un travail dans le domaine de l’agriculture familiale. Pourquoi ?
Les premières actions de la CPT allaient dans le sens de la défense et de la reconnaissance du droit à la terre pour ceux qui en étaient privés. De nombreuses terres ont été reconnues, d’autres conquises. Mais rapidement, il est apparu que posséder une terre ne servait à rien si on ne pouvait pas y développer une production adaptée. La CPT a donc commencé à promouvoir la production des familles pour garantir leur permanence sur la terre.
Plus récemment, face à l’avancée de l’agro business, face aux grandes entreprises de semences qui tendent à homogénéiser toute la production agricole, la CPT s’est consacrée, avec d’autres mouvements, à la sauvegarde de semences traditionnelles. A travers cela, le grand investissement aujourd’hui va dans le sens d’une production familiale, sans usage de pesticides et loin des transgéniques. C’est une lutte de David contre Goliath, car le pouvoir des grandes entreprises s’impose avec l’appui des moyens de communication.
L’un des points importants de la CPT est sa mobilisation historique contre le travail esclave. Quelle a été son rôle dans ce domaine et quel bilan tirez-vous aujourd’hui de cette initiative?
Le travail esclave existait déjà avant la naissance de la CPT. Mgr Pedro Casaldáliga, avant même d’être ordonné évêque, avait d’ailleurs déjà dénoncé ces pratiques dans un document intitulé: «Esclavage et Féodalisme au Nord du Mato Grosso».
Dès sa création, la CPT a donc été très attentive à ce type d’exploitation et a été l’une des rares voix à s’élever pour dénoncer cette pratique. En 1997, elle a créé au niveau national une campagne de combat contre le travail esclave, baptisée «Gardez les yeux ouverts pour ne pas devenir esclave». La CPT est dès lors devenue une référence nationale dans ce domaine.
Chaque année, la CPT publie également un rapport sur les conflits liés à la terre. Quelle est l’importance de ce document?
Dès sa création, la CPT a été immédiatement appelée à travailler sur les conflits liés à la terre dont étaient victimes les peuples et communautés rurales. Elle constituait une caisse de résonance des cris et clameurs qui venaient des communautés impliquées dans les conflits et qui souffraient de différentes formes de violences.
En 1980, la CPT a réalisé une première étude sur les conflits et la violence. Le résultat de cette recherche a été publiée dans un livre intitulé: «Pastorale et Engagement». Ces données ont été soigneusement archivées et, en 1985, il a été décidé de réaliser une publication annuelle sur les conflits en milieu rural au Brésil, comportant le strict recensement des violences et accompagné d’analyses élaborées par des agents de pastorales et des professeurs de diverses universités du Brésil. Cette année 2015, nous avons publié la 30ème édition du rapport. Ce sont 30 années ininterrompues de service que la CPT rend aux peuples de la campagne et à la société brésilienne, qui n’auraient sinon pas accès à ce qu’il se passe dans les campagnes. Depuis 2002, ce rapport a été reconnu comme un document de valeur scientifique et bénéficie d’un excellent accueil.
Le 40ème anniversaire de la CPT correspond également à la tenue du 4ème congrès de son histoire.
La CPT va effectivement organiser cette année son 4ème Congrès National, à Porto Velho, dans l’Etat de Rondônia, au coeur de l’Amazonie. C’est donc un peu comme un retour aux sources! Ce congrès aura comme thème et slogan: «Il fait sombre, mais je chante – mémoire, Rébellion, Espérance des pauvres de la Terre». La situation politique et sociale des peuples de la campagne aujourd’hui est beaucoup plus compliquée que lorsque la CPT a été créée. La réforme agraire ne fait pas partie du programme du gouvernement qui parie quasi intégralement sur l’agro business. C’est pour cette raison que nous disons «Il fait sombre» dans notre slogan. Mais, malgré tout, l’espérance est forte et se traduit dans la 2ème partie du slogan par «mais je chante».
Quelles sont les perspectives et défis pour le futur?
Aujourd’hui, la CPT accompagne très attentivement la situation des communautés quilombolas (formées par des descendants de familles d’esclaves) dont les droits sont reconnus par la Constitution fédérale mais souvent bafoués par des grands propriétaires terriens et des entreprises.
La CPT accompagnent également les communautés qui sont affectées directement pas les grands projets miniers, entraînant le déplacement de familles et de communautés entières, polluant l’eau et l’air. Nous luttons également aux côtés des personnes impactées par des grands projets dits de «développement», (tels que des barrages hydroélectriques), dont la seule finalité en réalité est le profit et non le bien-être des personnes. Ce sont aujourd’hui les grands défis que doit relever la CPT.
Malgré les difficultés, la CPT continue aux côtés des petits de la terre. Mais nous comptons désormais avec l’appui du pape François, qui clame que l’Eglise entière doit se situer dans la périphérie du monde, un espace où la CPT s’est toujours trouvée. En outre, l’encyclique ‘Laudato Si’ renforce l’une des lignes prioritaires de l’action de la CPT qui est la défense de la terre et donc de la planète.
Encadré :
«La CPT est une boussole»
Le 40ème anniversaire de la CPT a généré de nombreuses réactions et hommages au sein de la société civile brésilienne et de part de nombreux religieux. Témoignages.
«En célébrant ce 40ème anniversaire, nous prenons encore d’avantage conscience de l’importance de la CPT pour l’ensemble des mouvements sociaux du pays, a souligné Valdir Misnerovicz, l’un des coordinateurs du Mouvement des Paysans Sans Terre (MST), la plus grande organisation sociale du continent. Nous nous considérons comme les enfants de la CPT, et comme tels, nous poursuivons la lutte pour la cause la plus juste qui puisse exister: la démocratisation de l’accès à la terre et sa protection».
«Pour moi, évoquer la CPT, c’est parler de mon engagement militant, a assuré Rosângela Piovisani, Responsable du Mouvement des Femmes de la Terre (MMC). J’y ai fait ma formation et j’en retire une grande fierté. Car la CPT a toujours été soucieuse de respecter ses engagements et a toujours fait preuve d’éthique dans sa lutte aux côtés des travailleurs ruraux. Comme paysanne, la formation de la CPT m’a aussi obligée, d’une certaine manière, à sortir de ma vie quotidienne pour aider les autres et avancer dans la conquête des droits. La différence avec les autres mouvements sociaux, c’est que la formation de la CPT est basée sur les principes de l’Evangile de Jesus Christ».
Pour Sueli Bellato, la vice présidente de la Commission d’Amnistie du Ministère de la Justice, et qui a longtemps travaillé au sein de la CPT et du MST, «la CPT est une pépinière qui forme des leaders, mais aussi de simples militants pour agir, partout dans le monde, où il y a besoin de justice. Ces personnes travaillent pour évangéliser et bâtir un pays plus juste et plus solidaire».
«Je suis arrivé au Brésil un mois après la naissance de la CPT, se souvient pour sa part Frère Joao Xerry, responsable des dominicains au Brésil. Et lorsque je suis arrivé, je ne savais pas à quoi m’attendre. La CPT a été pour moi une boussole. J’ai grandi avec elle et c’est avec elle que j’ai compris ce que devait être la mission de l’Eglise et la mission d’être prêtre. La CPT est l’une des choses les plus importantes qui soient arrivées au Brésil depuis le Concile Vatican II. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que, plus que jamais, nous avons besoin de la CPT, parce que la conjoncture, que ce soit au sein de l’Eglise ou de la société, n’est pas favorable». (apic/jcg/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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