Près de 700 invités du monde politique, de la culture et de l’Eglise – dont Mgr Gmür, évêque de Bâle – ont participé à la cérémonie au KKL, le Centre des congrès et de la culture.
C’est Mgr Felix Gmür qui a remis le prix à ce défenseur acharné de la cause des droits de l’homme âgé de 33 ans, qui s’engage depuis dix ans pour les droits des immigrés illégaux. Le Prix Caritas doit encourager le lauréat à persister dans la voie qu’il a choisie.
Ecrivain et réalisateur du blog «Fortress Europe», un forum unique en son genre qui documente depuis 2006 la problématique des réfugiés et migrants illégaux, Gabriele Del Grande rappelle que depuis 1988, près de 22’000 personnes sont mortes aux frontières de l’Union Européenne. «C’est toujours pire, et on s’habitue…»
«Comme journaliste, en écrivant sur les migrants naufragés, je me suis aperçu qu’il y avait certes des nouvelles dans les médias sur les migrants qui perdaient la vie en mer, mais pas de données statistiques. Personne n’avait jamais fait le compte de ceux qui s’étaient noyés, c’est pour cela que j’ai commencé mon blog», confie à l’Apic l’universitaire qui a étudié le journalisme à Rome, mais également l’histoire de l’Orient et la langue arabe.
Le jeune activiste s’est pris d’amitié pour ces populations immigrées qui vivent des aventures humaines inimaginables, de véritables «odyssées contemporaines». «Il faut du courage à ces ‘illégaux’ pour risquer ainsi leur vie, celle de leur famille, en croyant fermement qu’ils peuvent changer leur destin. Imaginez la force et le dynamisme qu’ils doivent mettre en œuvre pour surmonter toutes ces épreuves! J’admire aussi leur dignité…»
«On est prêt, en Europe, à accepter ces milliers de morts, c’est la conséquence d’une volonté politique. Je constate qu’alors que l’Europe ouvre ses frontières à l’intérieur, elle les ferme à l’extérieur. D’un côté des millions de personnes peuvent se déplacer à l’intérieur du continent pour chercher du travail – et je trouve cela positif -, de l’autre on fait la guerre aux migrants venant du Maghreb et de l’Afrique noire: j’appelle cela du racisme, on pense qu’il y a des races supérieures et d’autres qui sont ‘incompatibles'».
Malheureusement, malgré les slogans, «l’Europe n’a pas de projet politique concernant la rive sud de la Méditerranée», déplore celui qui sa considère comme un «citoyen de la Méditerranée».
Il se dit «dégoûté par cette injustice et par ces milliers de personnes mourant dans l’indifférence générale». Le journaliste italien rencontre depuis des années les candidats à l'»Eldorado européen» sur les frontières de l’Europe, de la Turquie à la Grèce, de la Tunisie à la Mauritanie.
Gabriele Del Grande rappelle que sur l’année, environ 200’000 migrants vont arriver par la mer sur le continent européen. «C’est peu, compte tenu des quelque 500 millions d’habitants de l’Union européenne». Il faudrait que chaque pays européen accueille 7’000 à 8’000 migrants par an, estime-t-il, rappelant que derrière les chiffres, il y a des personnes.
Les débarquements ont commencé durant les années 1990. Depuis 1996, environ 400’000 migrants sont arrivés par la mer en Italie. La moitié d’entre eux ont transité vers d’autres pays européens. Aujourd’hui, 60 % des migrants viennent de Syrie, d’Erythrée et de Somalie, et 40 % de l’Afrique de l’Ouest. Et de mettre en garde: l’histoire que nos enfants liront à l’école dira que dans les années 2000, des milliers de personnes mouraient en mer Méditerranée et des milliers d’autres étaient arrêtées et déportées de nos villes, «quand tous faisaient semblant de ne pas voir!»
Lors de la remise du Prix, Gabriele Del Grande a encore une fois insisté: «Les responsables de ces tragédies, ce n’est pas seulement le mauvais temps qui fait couler des bateaux surchargés et pas faits pour ces transports, mais c’est aussi la responsabilité des politiques. Ce que j’ai rencontré, ce sont seulement des êtres humains, qui ont leurs rêves, comme nous avons les nôtres…»
Le jeune journaliste, qui a parcouru tous les pays qui ont vécu le rêve de sortir des dictatures lors du «printemps arabe», s’est rendu pour la première fois en Syrie en 2012, aux côtés des militants de la société civile – «pas des groupes armés!» – et il va s’y rendre encore prochainement. Il relève qu’aujourd’hui, ces activistes ont été tués, sont emprisonnés ou ont quitté le pays.
«Ceux qui demandaient la liberté, la démocratie, ne sont plus là, et le régime en porte la responsabilité, déclare-t-il. Il n’y a plus que les groupes armés, soutenus par les puissances extérieures, qui vendent des armes et qui ne cherchent pas de réelles solutions. Pourvu, à leurs yeux, qu’ils se tuent entre eux… La question de la survie des minorités se pose. La guerre va continuer, et aucune solution n’est en vue, ni pour demain, ni pour après-demain!» Gabriele Del Grande s’apprête à retourner sur le terrain, en Syrie et en Libye.
Dans son allocution, Mgr Felix Gmür a relevé que les nations européennes sécurisent leurs frontières par le déploiement d’importantes forces policières et militaires, dépensent beaucoup de ressources en négociations politiques et en efforts diplomatiques pour mettre en œuvre des stratégies de dissuasion. «Et pourtant les migrants viennent, ils ne se laissent pas effrayer… Car celui qui fuit la guerre, la violence, l’oppression politique ou le manque de perspectives ne se laisse pas arrêter par des frontières fermées!» L’évêque de Bâle a rappelé l’importance de la dignité humaine, inscrite dans la Constitution fédérale, qui vaut pour tous, et qui ne connaît pas de frontières entre étrangers et autochtones.
Remerciant le lauréat pour son engagement, comme l’avait fait auparavant Mariangela Wallimann-Bornatico, présidente de Caritas Suisse, l’évêque de Bâle a insisté sur le fait que «la dignité inaliénable de l’être humain n’est pas liée à son permis de séjour, elle vaut pour tous: Suisses, Secondos, immigrants illégaux, réfugiés reconnus ou requérants d’asile». JB
Encadré
Le journaliste et blogueur italien Gabriele Del Grande est l’auteur de plusieurs documentaires sur l’exil vers l’Europe. Pour celui qui prête sa voix aux immigrants illégaux qui tentent de franchir les barrières de la «Forteresse Europe», cette politique de fermeture de l’Europe est un échec politique et moral. «Les responsables politiques prétendent résoudre le problème des migrants de la Méditerranée en fermant Lampedusa ou en détruisant les embarcations des passeurs. Mais le vrai problème est que les ambassades ne donnent pas de visas aux Syriens et encore moins aux Africains».
Les migrants qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie sont ceux dont la demande de visa a été refusée, affirme-t-il. «Or, comme ils n’ont aucune possibilité légale de venir en Europe, les passeurs ont le monopole. La solution serait de donner 200’000 visas européens de plus par an, pour que les migrants puissent voyager de manière libre, sûre et digne».
Gabriele Del Grande précise que le passage illégal depuis la Syrie coûte au minimum 25’000 euros. Ensuite, les migrants arrivent avec les poches vides. Si on leur donnait un visa, ils viendraient avec un capital de départ. Beaucoup d’entre eux ont de la famille en Europe qui pourrait les héberger.
Après avoir recueilli les récits d’arrivée des migrants en Italie en 2005, il décide de partir pour écouter les histoires de départ. En octobre 2006, il fait son premier voyage au Maroc, en Mauritanie, au Sénégal, au Mali, en Tunisie, en Egypte, en Turquie et en Grèce. Il relate les histoires des migrants dans deux livres: «Mamadou va a morire» et «Il Mare di Mezzo». Comme journaliste indépendant, il s’est rendu en plein conflit en Libye et en Syrie et a couvert le «Printemps arabe». Son dernier projet est le film documentaire «Io sto con la sposa», où il accompagne des clandestins syriens et palestiniens débarqués à Lampedusa lors de leur voyage jusqu’en Suède, camouflé en voyage de noces. JB
Encadré
Depuis 2003, le Prix Caritas récompense chaque année des personnalités pour leur engagement humanitaire et social. Les lauréats se distinguent par un engagement novateur sur le long terme et ont besoin du soutien de la société et de la classe politique. L’an dernier, le Prix Caritas a été décerné au Père jésuite syrien Nawras Sammour, d’Alep, et au directeur de Caritas Jordanie Wael Suleiman pour leur engagement depuis le début de la guerre pour les personnes déplacées en Syrie et en Jordanie voisine.
Rappelons que le 21 avril 2015, Caritas Suisse lançait un appel «pour un engagement humanitaire plus fort de la Suisse», demandant au Conseil fédéral et aux parlementaires fédéraux «d’enfin mettre sur pied une politique des réfugiés à la fois réaliste et humaine, non dictée par les égoïsmes nationaux et répondant dans toute l’Europe à la catastrophe qui se déroule en Méditerranée». Caritas Suisse demandait notamment que la Suisse remette en vigueur la possibilité, abandonnée en 2013, de déposer une demande d’asile à l›ambassade suisse d›un pays tiers. «Les expériences faites auparavant ont montré qu’il s’agissait là d’un instrument efficace pour aider les personnes persécutées». L’œuvre d’entraide demandait également que la Suisse augmente d’urgence son aide humanitaire à 100 millions de francs par an pour les déplacés de guerre syriens. (apic/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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