Au fil de l’encyclique ‘Laudato si’, le pape François n’apparaît pas vraiment comme l’écolo militant ou le Vert que souhaiteraient certains…
Certainement pas. Il ne passe pas en revue les problèmes liés à la nature, ses écosystèmes et ses ressources de façon cloisonnée. Il prend en compte la dimension sociale et politique ; il aborde les questions d’inégalité, de pauvreté et de qualité de la vie. Ensuite, il passe aux causes humaines: la soumission au pouvoir dérivant d’un progrès technologique qui n’a pas été accompagné d’un développement en responsabilité, en valeurs. La soumission de la politique – qui doit être au service du bien commun – à la finance, à la maximisation du profit pour quelques-uns. Le pape, en définitive, dénonce un «anthropocentrisme dévié» à l’époque du «paradigme technocratique», du relativisme et de l’individualisme, ce qui pousse à exploiter son prochain comme un objet, à brusquer la nature sans aucun égard. Il faut étudier les causes afin de contribuer réellement à une amélioration durable et équitable de la situation. Or, cette profondeur manque aux documents ›d’écolos militants’, comme vous dites, qui ont parfois l’allure d’un ›discours vert’ produit abstraitement à partir d’une qualité de vie privilégiée, comme dit le pape. Il dit sa préoccupation lorsque les mouvements écologistes défendent l’intégrité de l’environnement et exigent des limites à la recherche scientifique sans appliquer ces mêmes principes à la vie humaine. Ces dérives sont fréquentes, elles vont jusqu’à promouvoir des politiques de santé reproductive en accusant l’augmentation de la population et non le consumérisme; une incohérence qui a été dénoncée également hier par le climatologue John Schellnhuber. Encore deux différences: d’abord, ce texte s’ancre dans une dimension théologique, empreinte de la notion de péché, de conversion et de rédemption, ce qui n’est pas le cas du manifeste écologiste habituel. Ensuite, les défis urbains: rarement les écologistes prennent en compte la complexité de la ville, ici le pape le fait de façon magistrale.
Où se situe la frontière entre les propositions que contient l’encyclique et ce que l’on pourrait définir comme la limite du rôle de l’Eglise?
Il est vrai que l’encyclique est un document riche en propositions, en exhortations. Le pape devient souvent très concret au fil des paragraphes, et ce sur des sujets très différents: prendre soin de l’intérieur de sa maison et tisser de bonnes relations avec ses voisins; s’occuper de préserver l’environnement naturel et urbain; inclure une étude soignée de l’impact des activités d’une entreprise sur la biodiversité lorsque l’on en analyse l’impact environnemental général. A plusieurs endroits, en outre, le pape invite à adopter des procédures davantage inclusives dans la vie de la communauté internationale, la vie politique interne d’un Etat ou la gestion d’un projet. Et ce ne sont que quelques exemples. Par ailleurs, dans la cadre de questions scientifiques et techniques pointues, l’Eglise n’a pas de raison de proposer une parole définitive ; elle n’a pas non plus vocation à se substituer aux gouvernants et aux institutions étatiques, dont l’importance et les responsabilités sont à maintes reprises réaffirmées dans cette encyclique comme dans d’autres documents de la Doctrine sociale de l’Eglise. Voilà la limite.
Ce texte magistériel était particulièrement attendu…
Probablement jamais aucun document n’a suscité autant d’expectatives dans la classe politique et le monde associatif, autant de bonnes volontés prenant l’initiative d’envoyer leurs contributions, autant de ›lobbyistes’ envoyés par des gouvernements ou par des entreprises pour faire part de leurs craintes et de leurs souhaits, autant de demandes de date approximative de publication ou de copie avancée sous embargo, autant de commentaires voire de conférences avant même la publication du texte! Plusieurs gouvernements, certains acteurs institutionnels gravitant autour de l’Expo de Milan, de grandes entreprises agroalimentaires et des structures onusiennes ont attendu cette encyclique, en ont accompagné le processus de rédaction par leurs encouragements et leurs vœux. Maintenant que le texte est publié, la question que devrait se poser chaque lecteur est: Comment puis-je vivre cela? Comment puis-je devenir ›mégaphone’ de l’encyclique?
Comment ce texte majeur doit-il être reçu?
Un document qui a suscité une telle attente court certainement un risque: qu’il puisse être reçu avec une ›préméditation partisane’. Je pense au comportement de certaines personnes qui, avant de parcourir ‘Laudato si’, avaient décidé ce qu’elles pensaient de l’encyclique et comment l’utiliser: chercher quelques mots-clés dans le navigateur ou le logiciel de traitement de texte, repérer les deux ou trois idées que l’on s’attendait à récupérer ou bien constater l’absence de certains concepts, et voilà, fini. Cela revient donc d’une certaine façon à instrumentaliser le pape, par exemple pour telle ou telle position partisane concernant le climat, la gouvernance, la finance ou la diplomatie internationale. Ce n’est certainement pas là le genre de lecture et de répercussion que le pape attend. «J’invite chacun à accueillir avec un cœur ouvert ce document», disait-il à la fin de l’audience générale, à la veille de sa publication. C’est un texte richissime qui demande une lecture exhaustive. Le cheminement de ‘Laudato si’ doit être parcouru en entier afin de répondre l’appel du pape François à opter «pour le bien et se régénérer».
Alors, pour résumer, le changement c’est maintenant?
Je ne sais pas! Ce qui est certain c’est que le pape vient de livrer, avec ce splendide texte, beaucoup d’éléments de ›motivation’ et de ›sens’ profonds et indispensables afin de changer radicalement de paradigme. Et ce progressivement, certes, mais dès maintenant. A bon entendeur !…(apic/imedia/ami/rz)
Raphaël Zbinden
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