Miroslav Volf, professeur de théologie systématique à l’Université américaine de Yale, a stimulé les participants – pasteurs protestants, étudiants et professeurs de théologie catholiques et réformés, ainsi que des orthodoxes – avec des positions affirmées sur la foi et la globalisation, la réconciliation et la compréhension interreligieuses.
Saluant les participants – notamment les professeurs venus des Universités de Zurich, Berne, Bâle, Istanbul et Rome -, le doyen de Faculté de théologie de Fribourg Hans Ulrich Steymans a relevé que la globalisation touchait tous les secteurs de la vie et interférait également avec la foi des gens. Il a souligné l’importance de l’écologie pour les chrétiens, un aspect qui n’apparaissait pas dans le programme de ces Journées d’Etude, mais qui a été bien développé par le théologien réformé allemand Jürgen Moltmann, «mentor» de Miroslav Volf.
La traduction anglaise de ses ouvrages comme «Dieu dans la création. Traité écologique de la création», qui passe pour être le premier vrai ouvrage chrétien sur l’écologie, a largement influencé la «théologie écologique» dans l’espace anglo-saxon. «Il s’agit d’une eschatologie écologique, en contradiction avec un fondamentalisme apocalyptique particulièrement répandu aux Etats-Unis. Les catastrophes nucléaires, la destruction biologique ou génétique, le désastre écologique n’effrayent guère ces fondamentalistes. Comme notre monde, de toute façon, va finir dans un nouveau ciel et une nouvelle terre que Dieu créera, cela a peu de sens, à leurs yeux, de s’engager ici et maintenant pour cette création».
Et le dominicain de souligner que Moltmann prend le contre-pied de cette attitude passive, soulignant que la responsabilité écologique des chrétiens relève fondamentalement de la justice globale, car les nations pauvres, comme par exemple le Bengladesh, sont déjà touchées par les effets du changement climatique, l’inégale répartition de l’eau potable ou des terres cultivables.
Parlant d’une perspective chrétienne, «car il n’y a de toute façon pas de perspective neutre», le professeur Volf estime que la globalisation, du point de vue religieux, avec son haut niveau de connectivité et d’interaction, a des effets ambivalents. Si l’espace social au niveau mondial se rétrécit et tend à s’unifier – car les espaces indépendants qui existent encore disparaissent rapidement – et que les différentes familles humaines vivent de plus en plus sous le même toit, les tensions sont toutefois plus grandes. On assiste à une inégalité croissante dans la répartition des richesses, l’environnement est de plus en plus fragilisé, des espèces entières disparaissent.
Et Miroslav Volf de citer le pape Jean Paul II, qui, en 2003, plaidait déjà pour une «humanisation de la globalisation», qui a besoin d’être régulée par le «système politique international», afin qu’elle s’opère de façon «éthiquement responsable». Le pape avertissait que la globalisation qui marginalise de nombreuses populations peut provoquer des réactions radicales comme l’ultranationalisme, le fanatisme religieux ou le terrorisme. Le théologien croate, qui plaide pour une globalisation qui ne détruise pas la planète, regrette la tendance souvent dominante à ne penser qu’à court terme, et seulement en termes de profit.
«Comme d’autres religions, la foi chrétienne exige que la globalisation soit transformée, car se pose la réelle question du sens». Citant l’Ecclésiaste et les Evangiles, il se demande à quoi servirait-il à un homme de gagner l’univers s’il venait à perdre son âme.
Interrogé par l’Apic sur le plus grand danger que court la religion dans le monde contemporain, le théologien croate estime que c’est l’alignement sur les pouvoirs politiques. «Les religions ont, comme tout le monde, le droit et le devoir de prendre des positions politiques sur des questions de société, c’est un droit démocratique. Elles ne doivent cependant pas s’aligner, mais garder une distance critique».
Les risques sont grands dans certains pays: il en sait quelque chose, en tant que membre d’une communauté évangélique dans une région où les Eglises chrétiennes – orthodoxe et catholique – se sont par trop identifiées aux nationalismes qui ont ravagé les Balkans. Aujourd’hui, ce phénomène d’intolérance religieuse se manifeste chez les hindouistes en Inde, chez les bouddhistes au Myanmar ou au Sri Lanka, chez une partie des musulmans au Moyen-Orient. «Trop souvent les religions sont instrumentalisées par les pouvoirs politiques ou économiques. Quand les religions s’alignent sur ces pouvoirs, elles perdent leur possibilité d’être des instruments de réconciliation». Et Miroslav Volf de conclure, en citant saint Matthieu (Mat. 6:33): «Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît». JB
Encadré
Les processus de changements sociétaux et les phénomènes de globalisation concernent toutes les sphères de la vie et interagissent également avec les croyances des hommes. De là découlent des enjeux théologiques et sociétaux auxquels il s’agit de répondre par un dialogue commun. Directeur du Centre d’études pour la foi et la société à l’Institut d’études œcuméniques (ISO) de l’Université de Fribourg, Walter Martin Dürr est l’un des organisateurs de ces Journées placées sous le signe du renouveau théologique et sociétal.
Pasteur à mi-temps de la communauté évangélique JAHU à Bienne, il souhaite que ces Journées attirent de plus en plus de jeunes de divers horizons ecclésiaux – catholiques, protestants, orthodoxes, mais également les membres des Eglises évangéliques libres – et que la théologie soit rendue plus «sexy», afin que l’on voie qu’on a aussi affaire à la vie réelle, à la vie quotidienne des gens. «Les évangéliques viennent, ils perdent leur peur, on s’apprivoise!»
Outre le Centre d’études pour la foi et la société de l’ISO, les co-organisateurs de ces Journées sont: l’Institut pour l’étude des religions et le dialogue interreligieux (IRD); le Centre Suisse Islam et Société; la Faculté de théologie de l’Université de Zürich; le Programme de doctorat «De civitate hominis», Fribourg; la Landeskirchliche Gemeinschaft JAHU, Bienne et Thoune; Ensemble pour l’Europe (Suisse); la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS); le Réseau évangélique suisse et d’autres partenaires, notamment des partenaires évangéliques. JB
Encadré
Miroslav Volf, professeur de théologie systématique à l’Université de Yale, à New Haven (Etats-Unis), est le fondateur et directeur du «Center for Faith & Culture» de Yale. Les ouvrages qui ont fait sa réputation sont: «Allah: A Christian Response» (2011), «Free of Charge: Giving and Forgiving in a Culture Stripped of Grace» (2006), «After Our Likeness: The Church as the Image of the Trinity» (1998) et «Exclusion and Embrace: A Theological Exploration of Identity, Otherness and Reconciliation» (1996). Ce dernier livre a été récompensé en 2002 par le Prix Grawemeyer.
Né en 1956 dans la ville yougoslave d’Osijek, aujourd’hui en Croatie, Miroslav Volf a étudié la théologie à Zagreb et au Séminaire Théologique Fuller, en Californie. Il a obtenu à l’Université Eberhard Karl à Tübingen son doctorat et son habilitation auprès du célèbre théologien réformé allemand Jürgen Moltmann, le «théologien de l’Espérance». Comme membre de l’Eglise épiscopale des Etats-Unis et de l’Eglise évangélique de Croatie, Miroslav Volf est engagé dans divers dialogues œcuméniques et interreligieux. Au niveau de la recherche, il s’intéresse actuellement aux formes de croyances dans les contextes de globalisation, à la réconciliation entre les hommes et à une anthropologie théologique du bien-être de l’homme. (apic/be)
Jacques Berset
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