Si l’on fait fi des anachronismes, cette histoire pourrait être écrite de la main d’Athanase d’Alexandrie, du fond de l’Antiquité chrétienne. Il n’en est rien: on la retrouve dans l’avant dernier numéro du magazine «Greenpeace», consacré à la sobriété.
A l’heure où, en Suisse, deux pommes de terre sur trois finissent aux ordures, la sobriété revient à la mode. Ses adeptes sont de plus en plus nombreux à fuir un débordement matériel qu’ils considèrent comme «source d’immobilisme et d’indolence». Le désencombrement de ceux que l’on nomme désormais les «minimalistes» ressemble parfois à s’y méprendre à celui du plus ascétique des trappistes.
Le credo est simple: fuir le superflu pour retrouver l’essentiel. Et les chiffres de la consommation tendent à accréditer cette démarche. Quelques exemples éloquents: selon des estimations, un Européen moyen possède environ 10’000 objets – des plus nécessaires à la multitude des gadgets inutiles; 100 millions de tonnes de nourriture sont jetés chaque année dans le monde et ce gaspillage a un coût: un foyer de quatre personnes, en Suisse, dépense annuellement 2’000 francs pour s’octroyer les denrées alimentaires qu’il jettera à la poubelle.
Face à cette surconsommation, les dissidents les plus radicaux explorent de nouvelles voies de contestation. Le «déchétariste» – ou «freeganiste» –, ce «moine brouteur» contemporain, fait vœu de n’acheter aucune nourriture, en la glanant dans les poubelles de supermarchés. Moins extrême, mais tout aussi contraignant, le gréviste du plastique radie tout polymère de son usage quotidien. Il n’égale cependant pas le niveau de difficulté de son homologue, le gréviste de l’argent, qui choisit de se contenter du troc comme unique moyen d’échange.
Si la surenchère des minimalistes radicaux n’est pas sans rappeler les excès de certains moines du désert, il y a en Suisse aujourd’hui – principalement outre Sarine – de nombreuses communautés qui proposent des alternatives avec, parfois, une haute dose de créativité.
Parmi les plus intéressantes, les «Repair Cafés" ne cessent de faire des émules. Le concept: réunir les propriétaires d’objets endommagés en tout genre – du grille-pain à l’imprimante en passant par le petit mobilier – et des pros du bricolage pour donner une deuxième vie à tous ces objets.
Les plateformes de partage sont elles aussi de plus en plus ancrées dans le paysage helvétique, favorisées par l’essor des réseaux sociaux. Le principe: utiliser au lieu de posséder. Carsharing, booksharing, ou même foodsharing sont devenus monnaie courante pour de nombreuses personnes qui mettent à disposition leurs livres, leur humidificateurs voire leur service à fondue sur des sites comme sharely.ch.
Il faut également relever l’émergence de labels – à l’instar d'»Ünique» – pour écouler en magasin des carottes à trois pattes, des concombres tordus ou des aubergines tachées et permettre à ces aliments qui ne correspondent pas aux critères esthétiques usuels d’atteindre nos assiettes.
«Une vie orientée vers la sobriété devient une perspective attractive. Les personnes qui ont fait le pas en se libérant de la contrainte à la consommation respirent la force et la sérénité, c’est là la puissance de la sobriété», écrit Verena Mühlberger, co-directrice de Greenpeace suisse, dans l’éditorial du magazine éponyme.
Le ton, un chouïa déclamatoire, de l’éditorialiste verte n’occulte en rien la proximité d’un principe spirituel fondamental de la mystique chrétienne: maintenir le renoncement au superficiel dans toute sa rigueur pour s’attacher progressivement à l’essentiel. L’ascèse des minimalistes ne se réduit d’ailleurs pas au matériel. Sarah Frei a également choisi de diminuer son temps de travail pour faire moins de choses, mais en y étant davantage présente. «Le sentiment de manque du toxicomane maintient les gens prisonniers d’une logique infernale, explique-t-elle. Plus de consommation, plus d’argent, plus de stress.» En sortant de ce mode de vie, elle se dit aujourd’hui plus paisible.
Le refus libre d’un consumérisme irréfléchi est une réalité qui tend à se transformer, chez certains, en une cohérence de vie parfois contraignante. Certes, les motifs ne sont pas d’abord religieux, mais la quête des «minimalistes» n’est pas hermétique au désencombrement chrétien. C’est un lieu de dialogue et de partage pour l’Eglise, fondé sur les notions de justice sociale, de partage et, surtout, de quête de sens. A la veille de la publication de l’encyclique du pape consacré à l’écologie, c’est peut-être, plus encore, un signe des temps. (apic/pp)
Pierre Pistoletti
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