Après un débat historique sur le génocide arménien la veille, quelque 150 personnes réunies à l’espace St-Jean, à Lausanne, ont tenté d’approcher la complexité de la situation actuelle des chrétiens au Proche-Orient. L’historien Jerdi Tejel, enseignant à l’Institut des Hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève a avoué son humilité dans la compréhension des événements actuels dans la région. Après un discours un peu euphorique sur le printemps arabe, on assiste aujourd’hui à une vision très pessimiste du ‘printemps islamique’. Avec les révoltes populaires des années 2010 et 2011, on a cru un peu hâtivement à l’arrivé de la démocratie et de la modernité dans les pays arabes. Cette analyse, souvent simpliste, a été battue en brèche par l’arrivée des mouvements islamistes radicaux.
L’historien propose néanmoins quelques clés de lecture. Il refuse une vision complotiste des événements: c’est la faute aux Américains, à l’Arabie saoudite ou au Qatar ! Il réfute aussi l’idée que la violence s’exerce contre les minorités chrétiennes en particulier. En Syrie ou en Irak, la majorité des victimes appartient au groupe majoritaire des musulmans sunnites. La violence tend à évoluer la ‘libanaise’ en allusion à la guerre civile de 1975 à 1990. «On ne sait plus qui est avec qui, et qui est contre qui».
Il voit cependant deux points positifs dans la situation actuelle. D’abord tous les Etats du Proche-Orient ne vivent pas dans la violence et en outre le Liban n’a pas sombré dans le conflit.
Rakel Dink, veuve de Hrant Dink, journaliste d’origine arménienne assassiné en 2007 par des nationalistes turcs à Istanbul, a témoigné de sa lutte pour la réconciliation. «Lors de mes conférences en Turquie, on m’interpelle parfois: ‘pourquoi viens-tu nous accuser ?’ Je réponds qu’il faut connaître la vérité pour se réconcilier avec son propre passé et avec les autres. Si vos ancêtres ont commis des erreurs, il ne faut pas les couvrir mais en discuter pour apprendre à distinguer le bien du mal. Nous devons nous écouter et non nous accuser mutuellement.» Rakel Dink témoigne aussi de la longue lutte pour la restitution par le gouvernement turc des biens confisqués aux communautés religieuses à partir des années 1930.
Carla Kijoyan, elle-même membre de l’Eglise arménienne apostolique et secrétaire exécutive au Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève, a évoqué la situation politique et sociale des chrétiens au Proche-Orient. Il est impossible de dresser un tableau d’ensemble tant les contextes sont variés selon les pays et les cultures. Mais elle relève que le christianisme a bien ses racines en Terre Sainte où les communautés sont attestées dès le IIe siècle.
Aujourd’hui, on y trouve des chrétiens appartenant aux trois grandes branches du catholicisme, de l’orthodoxie et du protestantisme. Cette multiplicité des confessions est une richesse au plan social et culturel, mais elle comporte le risque de division. Les Eglises ont toujours de la peine à parler d’une même voix. Les chrétiens du Proche-Orient n’aiment pas être qualifiés de minorité. Ils rappellent qu’ils sont les véritables indigènes de ces pays, établis là depuis l’Antiquité.
Pour la responsable du COE, le défi principal aujourd’hui est de concilier le pluralisme religieux et culturel dans un nationalisme commun avec la création d’une véritable citoyenneté basée sur la démocratie et l’égalité. Les chrétiens restent hélas associés aux Croisades, au colonialisme et à l’Occident. La réponse au ‘comment vivre ensemble?’ est très difficile. Mais une chose est sûre, elle ne peut être élaborée qu’en commun par l’ensemble de la société.
Enfin Ani Boudjikanian, vice-présidente de l’action chrétienne d’Orient à Beyrouth a apporté le témoignage de l’accueil des réfugiés irakiens et syriens au Liban. Ce pays a réussi à recevoir sur son sol largement plus d’un million de réfugiés alors qu’il comptait environ 4 millions d’habitants. L’équilibre est très fragile.
La journée s’est achevée à l’église Saint François par un concert donné par le quintet vocal Luys venu spécialement d’Erevan. Ces cinq voix de femmes au timbre exceptionnel ont interprété entre autre plusieurs oeuvres du compositeur Komitas. Le prêtre arménien a lui-même été une des victimes de l’épuration des Arméniens du 24 avril 1915 qui marque le début du génocide. Finalement réfugié en France en 1919, il meurt à l’hôpital psychiatrique de Villejuif en 1935 sans jamais avoir retrouvé la parole. (apic/mp)
Maurice Page
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