Le docteur Nabil Antaki, un membre laïc de la communauté des Frères Maristes d’Alep, souligne que depuis le début du conflit syrien, les appels à ne pas abandonner le pays et les aides humanitaires fournies notamment par les institutions liées à l’Eglise «n’ont pas empêché la moitié des chrétiens d’Alep de s’en aller définitivement».
Les chrétiens de Syrie, insiste le médecin d’Alep, ont doublement peur: peur physiquement des fanatiques islamistes de Daech et aussi peur de perdre leur avenir et celui de leurs enfants à force de patienter et d’attendre la fin du conflit. «Si vous voulez que l’autre moitié des chrétiens reste, il faudrait arrêter la guerre. Nous vous implorons d’user de votre autorité morale, de votre prestige incontestable pour faire pression sur les différents gouvernements» qui arment et financent les groupes armés. Il demande également que ces gouvernements luttent effectivement contre Daech et qu’ils fassent cesser le passage des terroristes et des armements qui pénètrent en Syrie par la frontière turque.
A ses yeux, la fin du conflit est la seule possibilité pour que ne soit pas annihilée la présence millénaire des chrétiens en Syrie. Le docteur Antaki lance cet appel au pape dans le cadre d’un colloque avec la Coordination pour la Paix en Syrie, dont le texte a été envoyé à l’agence d’information vaticane Fides.
Nabil Antaki déplore que l’opinion publique occidentale a été et est toujours terriblement «désinformée» sur la situation réelle sur le terrain en Syrie. Il estime qu’une solution politique négociée au conflit ne peut avoir des possibilités réalistes de réussite que si les groupes rebelles non djihadistes reconnaissent comme interlocuteur «l’actuel gouvernement de la Syrie, parce qu’il n’est pas possible de négocier avec quelqu’un dont on exige, au préalable, le départ». A ses yeux, l’Armée syrienne libre (ASL) est quasiment inexistante face aux groupes jihadistes, qu’il qualifie de «barbares sanguinaires».
En ce qui concerne la situation de la ville martyre syrienne, Nabil Antaki relève qu’Alep est divisée en deux parties: l’est de la ville avec ses 300’000 habitants se trouve entre les mains des groupes armés; l’ouest compte 2 millions d’habitants et se trouve sous le contrôle de l’Etat syrien. «C’est là que nous vivons et œuvrons. Nous ne savons pas ce qui se passe dans l’autre partie de la ville», indique Nabil Antaki.
«Nous sommes bombardés quotidiennement par les rebelles et de nombreux hôpitaux de notre zone de la ville ont été détruits, incendiés ou endommagés par leur action. (…) Dans tous mes écrits, je dis que nous sommes bombardés par les groupes armés rebelles qui nous envoient des mortiers, des fusées et des bonbonnes de gaz remplies d’explosifs et de clous».
Le représentant de la communauté des Frères Maristes d’Alep regrette que la majorité des ONG et de la presse occidentales «ne rapportent que les souffrances de l’autre côté de la ville, du côté des rebelles, et jamais les souffrances de notre côté. Leurs rapports sont biaisés!»
«Ils ne s’appuient que sur une seule source d’information, l’Observatoire syrien des droits de l’homme OSHD, une ONG basée à Londres, qui cache, sous un nom crédible, une officine qui diffuse de la désinformation».
En outre, Nabil Antaki exprime des jugements critiques sur la proposition visant à faire d’Alep une «ville ouverte» – une hypothèse qu’il estime dépassée par les faits – et surtout à propos de la suggestion d’introduire une zone d’interdiction de survol et de disposer des forces d’interposition dans le nord de la Syrie.
Selon lui, il s’agirait de mesures qui «avantageraient les groupes armés et mettraient la ville et ses habitants en danger, à la merci de Daech (le prétendu ‘Etat islamique’, ndlr) et d’al-Nosra». «Nous n’avons plus besoin qu’Alep soit déclarée ville ouverte et que des couloirs humanitaires soient ouverts. Bien que la situation soit mauvaise, Alep n’est plus soumise à un blocus comme il y a un an et demi. Les personnes et les produits entrent et sortent par une route que le gouvernement a percée il y a 17 mois. Les vivres rentrent, personne ne meurt de faim même si 80% de la population reçoit une aide alimentaire…»
Depuis 2011 – souligne Nabil Antaki – les Syriens ont compris que ce qui se passait n’était pas une révolution ayant pour but d’apporter davantage de démocratie en Syrie, plus de respect des droits fondamentaux et moins de corruption. «Je dis que ce qui s’est passé et ce qui se passe actuellement en Syrie n’était pas ‘spontané’. (…) Les Syriens savaient, depuis le début, que le soi-disant ‘printemps arabe’ était le nouveau nom du ‘chaos constructif’ de Condoleezza Rice et du ‘nouveau Moyen Orient’ de l’administration Bush et que ce ‘printemps’ en Syrie aurait débouché soit sur le chaos et la destruction du pays soit sur un Etat islamique. Malheureusement, ces alternatives risquent de se vérifier toutes les deux». (apic/com/fides/be)
Jacques Berset
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