Les fidèles se sont pressés dans l’église abbatiale et ont rempli la grande salle du monastère pour entendre le témoignage du Père Martin Barta, assistant ecclésiastique d’AED internationale, et de Roberto Simona, responsable de l’AED pour la Suisse romande et italophone, de retour d’un voyage en Syrie.
Saluant les fidèles au début de la messe, l’Abbé Urban Federer a relevé le thème de ce pèlerinage, inspiré de l’expression de l’Africain Tertullien (fin du IIe siècle/début du IIIe siècle). Pour cette figure emblématique de la communauté chrétienne de Carthage, «le sang des martyrs est la semence de nouveaux chrétiens». L’Abbé Federer a ainsi déploré que le sol de la Syrie et de l’Irak s’imprégnait à nouveau aujourd’hui du sang des chrétiens.
Né en 1979 à Nové Zámky, en Slovaquie, le Père Martin Barta, membre de l’Association cléricale «Œuvre de Jésus Grand Prêtre», est l’assistant ecclésiastique d’AED au plan international depuis 2011. Le prêtre slovaque a reconnu ne pas avoir l’expérience de Roberto Simona concernant le sort des chrétiens dans le monde islamique, en particulier au Moyen-Orient. Il a cependant rencontré en octobre dernier à Erbil les chrétiens chassés en juin 2014 de Mossoul et en août suivant de la Plaine de Ninive et désormais réfugiés au Kurdistan. Evoquant le combat de l’Antéchrist contre les chrétiens, il s’est demandé si le monde n’était pas déjà entré dans le temps de la «troisième guerre mondiale».
«Une centaine d’églises ont été détruites en Syrie, il s’agit bien sûr d’une destruction matérielle, mais avant tout d’une destruction spirituelle! Ne serait-ce pas un signe prophétique qu’au XXIe siècle, on rencontre une persécution comme aux débuts du christianisme, et ce, dans un région biblique, le pays du prophète Jonas… Alors qu’en Europe, les gens perdent confiance et abandonnent la foi, dans cette région la foi est une réalité dont on ne doute pas, c’est une expérience de vie, une confiance innée!»
Roberto Simona a souligné que la persécution des chrétiens dans cette région entre Tigre et Euphrate a commencé après la chute de Saddam Hussein. «Avant cette date, on pensait que la persécution des chrétiens n’existait plus, qu’elle était liée aux régimes totalitaires du XXe siècle. Quelle illusion!», a-t-il martelé.
Et spécialiste de l’islam de citer le pape François qui déclarait que pour trouver les martyrs, «il n’est pas nécessaire de se rendre dans les catacombes ou au Colisée. Les martyrs vivent maintenant, dans de nombreux pays… Les chrétiens sont persécutés à cause de la foi. Dans certains pays, ils ne peuvent pas porter la croix et sont punis dans le cas contraire. Au XXIe siècle, notre Eglise est une Eglise de martyrs».
Aujourd’hui, a souligné le Tessinois, à la différence du temps des catacombes ou des totalitarismes athées du XXe siècle, «les hommes qui tuent des chrétiens se vantent de leurs abominations et mettent leurs films sur Youtube!»
Nous assistons vraisemblablement à la fin du christianisme en Irak, et peut-être aussi en Syrie, a-t-il avancé: «On verra si une ville comme Alep, si importante symboliquement pour les chrétiens, subira le sort de Mossoul, vidée de ses chrétiens». Avant la première guerre américaine contre l’Irak, 1,5 million de chrétiens y vivaient, surtout dans les villes de Bagdad et de Mossoul. Leur nombre est ensuite tombé à 400’000, vivant notamment dans la Plaine de Ninive.
«Aujourd’hui, il n’y a plus de chrétiens à Mossoul, tombée aux mains de Daech, l’Etat islamique, tout au plus quelques prisonniers ou des gens qui ont été convertis de force à l’islam. Les quelque 150’000 chrétiens restant en Irak survivent en grande majorité comme réfugiés au Kurdistan, sans logement, hébergés dans des églises, sous tentes sur les terrains de l’Eglise, ou dans des immeubles à moitié achevés».
«Les 120’000 chrétiens irakiens réfugiés au Kurdistan, victimes d’une épuration religieuse, tout comme les chrétiens de Syrie, n’ont qu’un seul désir: quitter le pays et se rendre en Europe, en Amérique ou en Australie. L’Eglise espère encore pouvoir les retenir, au moins au Kurdistan irakien. Elle lutte pour qu’ils puissent se refaire une nouvelle vie dans cette région d’Irak, en attendant que leurs villes et leurs villages soient libérés de la terreur imposée par Daech».
Quant à l’avenir des relations de ces populations chrétiennes avec les musulmans, avec lesquels elles ont cohabité pendant des siècles, Roberto Simona relève que la plupart des familles qu’il a rencontrées sur le terrain sont unanimes: «ils ne veulent plus rien savoir de l’islam ou des musulmans… Le choc provoqué par la violence des jihadistes a été tout simplement trop fort! Nous devons respecter leur sentiment, qui est compréhensible».
Mais, souligne cet expert de l’islam, il serait injuste de s’en prendre à l’ensemble des musulmans: il y a des musulmans qui veulent réformer leur religion, de nombreux autres qui veulent la vivre de façon pacifique. Ce serait également injuste à l’égard des musulmans qui se sont comportés de façon héroïque face aux hordes de Daech. Certains ont risqué leur vie, comme Dalia Al Aqidi, une journaliste vedette de la télévision irakienne, qui porte une croix sur le plateau en signe de solidarité avec les chrétiens victimes des jihadistes. Elle a même osé dire: «Nous sommes tous des chrétiens!» Et de donner un autre exemple, celui d’un professeur sunnite de l’Université de Mossoul, assassiné pour avoir critiqué le comportement de Daech.
Le Tessinois a encore attiré l’attention sur le fait que la négation de la liberté religieuse est souvent prétexte pour atteindre d’autres buts, et cela peut être «une arme au service d’intérêts économiques ou politico-stratégiques». (apic/be)
Jacques Berset
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