A San Salvador, les préparatifs vont bon train pour la béatification de Mgr Romero, le 23 mai prochain. La présence annoncée de plusieurs chefs d’Etat, la trêve promise par les maras (gangs) ou encore la mobilisation de l’Eglise à tous les niveaux laisse augurer une cérémonie historique. Pourtant, depuis le 15 avril, de nombreux fidèles sont mécontents. Motif? La divulgation à la télévision et sur les ondes radios de l’hymne spécialement conçu pour la béatification de l’ancien archevêque de San Salvador, assassiné le 24 mars 1980 par les escadrons de la mort d’extrême droite. Un hymne interprété par les artistes les plus en vue du pays mais dont les paroles sont l’objet d’une vive polémique. Extrait:
«Le Salvador chante d’une seule voix
Ni oubli, ni rancoeur,
Des pauvres il fut la voix,
Il fit cela avec amour,
C’est ce qu’il nous a transmis
A l’homme il a rendu le droit et la dignité
Aimant la vie jusqu’à la fin.
Romero, Martyr de l’Amour!»
C’est notamment cette dernière phrase qui choque les «Romeristas», des fidèles salvadoriens qui estiment que Mgr Romero n’est pas seulement «un martyr de l’Amour». «Cette réduction est profondément choquante, explique Luiz Roberto Lazo, éducateur social au sein de Pro-Busqueda, une ONG qui travaille sur le thème de la disparition d’enfants pendant la guerre civile (1980-1992). Car en limitant la dimension Mgr Romero à un «martyr de l’Amour», il y a un risque certain de voir la dimension politique de son engagement être ignorée». Un sentiment partagé par bon nombre d’observateurs, parmi lesquels un éditorialiste de «Contra Punto», l’un des principaux quotidiens du pays, qui n’a pas tardé à critiquer le travail des auteurs de l’hymne: «Il y a une place en enfer pour le ‘talent’ qui a écrit les paroles de cet hymne».
De fait, assassiné pour son engagement auprès des pauvres et parce qu’il luttait contre les injustices sociales, Mgr Oscar Romero n’a pas toujours fait l’unanimité au sein des autorités catholiques, y compris à Rome. Une défiance qui explique d’ailleurs en grande partie les freins à sa béatification (voir article: «Mgr Oscar Romero, la conversion radicale d’un évêque conservateur», du 13 avril 2015). Selon Mgr Jesus Delgado Acevedo, vicaire général de San Salvador, ex-secrétaire de l’archevêque et responsable de la Revue «Orientation», l’évènement fait toujours grincer des dents. «Certains pensaient et pensent encore aujourd’hui que c’était une erreur de béatifier Mgr Romero, a ainsi écrit Mgr Jesus Delgado Acevedo, dans sa revue. Comme cela avait été une erreur de le faire assassiner alors qu’il célébrait l’Eucharistie». D’autant que, 35 ans après son meurtre, le message de l’ancien archevêque est toujours aussi actuel.
«La pauvreté non seulement continue mais s’est aggravée, souligne ainsi Marcelo Barros de Souza, prêtre, théologien et membre de l’Association oecuménique des théologiens du Tiers Monde (ASETT). Tous les indicateurs sociaux réve»lent que la concentration de la richesse au Salvador -comme dans toute l’Amérique latine- est même plus injuste et scandaleuse qu’au temps ou» Mgr Romero prêchait: «le véritable péché est l’injustice sociale». De fait, en 2012, selon la Banque mondiale, plus d’un tiers des 6,4 millions de Salvadoriens (34,5%), vivaient encore sous le seuil de pauvreté. Et l’élection, en mars 2013, de l’ex-guérillero Salvador Sanchez Ceren à la tête du pays n’a toujours pas répondu aux espoirs de changement des plus modestes.
Conséquence directe de la situation économique, la violence est toujours aussi présente au Salvador, où le taux d’homicides demeure l’un des plus élevés au monde (41,2 pour 100’000 personnes). «Cette violence n’est plus due à la répression militaire, mais aux tensions qui existent entre les riches et les pauvres, précise Waldemar Urquiza, professeur de sociologie à l’Université technologique de San Salvador (UTEC). Mais au fond, le recours à la force comme mode de gestion politique reste le même». Et pour le théologien Juan Hernandez Pico, Mgr Romero peut servir encore aujourd’hui de référence. Dans une homélie prononcée en 1977, le prélat avait déclaré:»la violence n’est pas humaine. La violence n’est pas chrétienne. Rien de violent n’est durable», rappelle ce professeur à l’Université centro-américaine (UCA), de Managua, au Nicaragua.
D’où la crainte, en béatifiant Mgr Romero, que le message et la dimension politique du personnage ne soit vidée de sa substance. Si le risque existe, Jon Sobrino, théologien salvadorien né au pays basque et ami proche du prélat, veut rester confiant. «La mémoire de Mgr Romero est toujours aussi vive au sein du peuple salvadorien, car il est considéré comme un martyr de l’amour pour le peuple mais aussi, et surtout, de son amour pour la Justice. Aujourd’hui, il incarne pour toujours l’image du combattant infatigable de l’injustice sociale et culturelle».
Encadré 1
Un million de dollars pour la béatification de Mgr Romero
Afin que le maximum de Salvadoriens puissent participer à la cérémonie de béatification de Mgr Oscar Arnulfo Romero, la Conférence épiscopale du Salvador a officiellement demandé à l’Etat de déclarer jours fériés les 22 et 23 mai. Il est vrai que, outre une dizaine de présidents de pays voisins, cinq cardinaux, 15 archevêques, 60 évêques et quelques 1’200 prêtres, les autorités estiment qu’au moins 260’000 personnes seront présentes sur la Place San Salvador do Mundo, où aura lieu la cérémonie. Une cérémonie, qui sera couverte par plus de 400 journalistes et pour laquelle l’Etat va dépenser plus d’un million de dollars.
Encadré 2
15’000 kilomètres pour assister à la béatification!
La plupart des 60 évêques attendus pour la cérémonie viendront d’Amérique latine. Mais certains viendront de bien plus loin, à l’image de Mgr Donald Lippert, évêque du diocèse de Mendi, en Papouasie Nouvelle Guinée, au nord de l’Australie. Nommé par Benoit XVI en mai 2012, «Mgr Don», comme il aime être appelé, est né à Pittsburg, en Pennsylvanie.
Le prélat justifie ce voyage par l’admiration qu’il voue à Mgr Romero, dont il a découvert le travail auprès des pauvres et pour la justice alors qu’il étudiait la théologie à Washington et qu’il s’était joint aux mouvements pacifistes qui critiquaient l’implication des Etats-Unis dans la guerre civile au Salvador.
Pour arriver à San Salvador, Mgr Donald Lippert va devoir parcourir pas moins de… 15’000 kilomètres. Commençant son périple le 19 mai, l’évêque voyagera plus de 40 heures. Un parcours jalonné d’escales à Port Moresby, la capitale de la Papouasie Nouvelle Guinée, Brisbane, en Australie, puis Los Angeles et Atlanta. (apic/jcg/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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