Comment l’architecture témoigne-t-elle de l’intégration des communautés juives en Suisse? C’est la question qui a motivé Ron Epstein, architecte et historien: «Plus qu’aux bâtiments en eux-mêmes, je me suis intéressé aux processus qui ont influencé leur construction. J’ai approché le style architectural comme pièce d’identité de la communauté juive.» Le sous-titre de l’ouvrage, ‘Construire entre émancipation, assimilation et acculturation’, laisse deviner l’importance accordée à l’histoire des communautés.
Cantonnés dès le 17e aux seuls villages de Lengnau et Endingen, les juifs de Suisse obtinrent en 1874 l’égalité juridique et sociale qui leur permit de s’installer dans de grandes villes suisses. Cette émancipation se manifesta par la construction de nouvelles synagogues, comme ce fut le cas à Zürich en 1884. «Auparavant, les juifs étaient uniquement considérés du point de vue économique; avec l’apparition de la synagogue, on leur reconnaît une nouvelle identité», a analysé l’auteur.
Autre exemple: dans la synagogue Beth Yaacov à Genève, la chaire, élément chrétien, témoigne de l’assimilation de la communauté avec sa terre d’accueil. Parfois le phénomène d’acculturation s’exprime non dans l’édifice lui-même, mais lors d’événements qu’il suscite. L’auteur a partagé son coup de cœur pour la synagogue de la Communauté Israélite Libérale de Genève, datant de 2010. Le bâtiment est en forme de «choffar», corne de bélier dans laquelle on souffle lors des fêtes traditionnelles. Durant l’inauguration de la synagogue, ce n’est pas le choffar que l’on sonna, mais le cor des Alpes, symbolisant une intégration réussie.
Ron Epstein a parcouru les archives de chaque communauté de Suisse, des greniers de synagogues aux archives cantonales, recueillant procès-verbaux, articles de journaux, plans et photographies. Il présente ainsi un ouvrage richement illustré divisé en deux parties: la première donne des informations générales sur le contexte de réalisation des synagogues dès la fin du XIXe siècle, ainsi des éléments symboliques et liturgiques. Dans une deuxième partie, le lecteur peut découvrir par ville les trente synagogues qui s’élèvent actuellement en Suisse. Un tableau comparatif réalisé par l’auteur permet en un coup d’œil de constater leur diversité et l’évolution architecturale.
Un travail de valorisation du patrimoine important, réalisé dans peu de pays. «En Allemagne, on a détruit de nombreuses synagogues. Les comités en Suisse essaient de rassembler et mettre au jour tout ce qui existe encore» a expliqué l’historien. C’est la FSCI (Fédération Suisse des Communautés Israélites) qui a demandé à l’architecte l’autorisation de publier sa thèse, considérée d’un intérêt général pour la Suisse. L’ouvrage francophone est un peu plus fourni que la version allemande. Il comprend un chapitre supplémentaire sur la synagogue genevoise datant de 2010 et des pages consacrées aux oratoires. Un livre qui intéressera les historiens d’art, mais aussi tout un chacun désireux de mieux connaître l’histoire des communautés et de la culture juive en Suisse.
Encadré
Ron Epstein-Mil est né en 1953 à Bâle et a grandi au sein d’une famille juive traditionnelle. En 1973, il a entrepris des études d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Depuis 1982, il travaille comme architecte indépendant. Sa thèse de doctorat, soutenue à l’Université de Bâle, (Die Synagogen der Schweiz, Bauten zwischen Emanzipation, Assimilation und Akkulturation), a été publiée en 2008 dans la collection «Contributions à l’histoire et à la culture des Juifs en Suisse», éditée par la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI).
(apic/pc/mp)
Maurice Page
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