A l’occasion du centenaire du génocide, le patriarche Karékine II, catholicos de tous les Arméniens depuis 1999, rappelle les «massacres hamidiens» des années 1890 perpétrés sous le règne du sultan Abdülhamid II, baptisé le «Sultan rouge».
Le sultan Abdülhamid, dans le but de renforcer l’intégrité de l’empire ottoman musulman face au monde chrétien, s’en est pris principalement aux Arméniens, mais également aux chrétiens syriaques, considérés à l’époque comme une «cinquième colonne» (*).
Interrogé par le journaliste Fady Noun, du quotidien francophone libanais «L’Orient-Le Jour», le patriarche Karékine II, dont le siège patriarcal est à Etchmiadzine, près de la capitale arménienne Erevan, déplore le 24 avril 2015 que la politique négationniste de la Turquie se poursuive jusqu’à nos jours. Le chef de l’Eglise apostolique arménienne souligne que le génocide des Arméniens va des années 1890 (les «massacres hamidiens») jusqu’à 1923, atteignant son paroxysme en 1915, «dans le cadre de la politique officielle de l’Empire ottoman et du gouvernement Jeune-Turc».
Depuis l’instauration de la République d’Arménie, le peuple arménien n’est plus un peuple errant. Mais pendant des siècles, relève le patriarche Karékine, en l’absence d’un Etat indépendant, l’Eglise était la seule institution nationale arménienne qui pouvait assumer la mission de guide du peuple arménien.
«L’Eglise arménienne a été en effet la seule institution nationale qui, malgré les vicissitudes et les défis de l’histoire nationale, a continué d’exercer sans cesse sa mission dans la vie du peuple arménien, tout en caressant le rêve de l’instauration d’un Etat libre et indépendant. Maintenant que l’Arménie libre et indépendante est devenue réalité, il existe une collaboration fructueuse entre l’Eglise et l’Etat».
Ainsi, une aumônerie existe désormais dans l’armée de la République d’Arménie et l’histoire de l’Eglise arménienne est enseignée dans toutes les écoles publiques d’Arménie.
En outre, «grâce à un référendum organisé le 25 novembre 2005, l’Eglise arménienne a été officiellement reconnue comme Eglise nationale et sa mission exceptionnelle dans la vie spirituelle, culturelle et nationale a été officiellement enregistrée. Cette réforme constitutionnelle très appréciée a permis l’adoption d’une loi spéciale qui régularise les relations de l’Eglise et de l’Etat, reflétant l’activité de l’Eglise dans les différentes sphères publiques».
Le catholicosat d’Etchmiadzine a beaucoup contribué à la mobilisation marquant le centenaire du génocide. «Par la sanctification des victimes du génocide arménien le 23 avril 2015, nous reconnaissons leur martyre et les associons aux autres saints et martyrs de l’Eglise arménienne. C’est l’un des signes les plus importants de la mobilisation nationale».
Sur un plan général, poursuit Karékine II, l’Eglise arménienne est favorable à l’établissement de la vérité. «N’oublions pas les milliers d’églises et de monastères vandalisés, dont l’état reste toujours déplorable, de membres du clergé martyrisés, un énorme héritage culturel et spirituel violemment pillé et détruit. L’Eglise arménienne s’est donné pour tâche de partager le destin de son peuple. La victoire de la vérité et de la justice bénéficieront aussi bien aux Arméniens qu’à toute l’humanité».
L’Eglise apostolique arménienne, étant données les circonstances historiques qui ont souvent dispersé le peuple arménien, dispose, outre le catholicossat d’Etchmiadzine, en Arménie, qui bénéficie de la primauté d’honneur, du catholicossat de la Grande Maison de Cilicie. Il est basé à Antélias, près de Beyrouth, au Liban, et son titulaire est Aram Ier, depuis 1995.
«Nous rendons grâce à Dieu qu’avec l’indépendance de la République d’Arménie nos relations sont entrées dans une nouvelle phase. Nous avons créé, avec notre cher frère spirituel Aram Ier, les comités conjoints pour la sanctification des victimes du génocide, et pour les questions liturgiques et canoniques. Le résultat du travail de ces trois comités conjoints est aujourd’hui visible, et nous sommes pleins d’espoir de pouvoir ensemble relever tous les défis auxquels nous avons à faire face de par notre héritage commun».
En ce qui concerne les relations entre l’Eglise arménienne et l’Eglise catholique, «elles sont plus chaleureuses et fraternelles que par le passé, et se manifestent par des visites mutuelles et différents projets et événements éducatifs et humanitaires». Karékine II salue l’initiative du François de célébrer la messe dans la basilique Saint-Pierre au Vatican, en commémoration du centenaire du génocide arménien, une initiative «hautement appréciée».
«C’est notre conviction que la déclaration du pape François qualifiant le ‘Mec’etern’ (grand désastre) de ‘premier génocide’ du XXe siècle, contribuera grandement au processus de reconnaissance et de condamnation des génocides dans le monde».
«Dans nos relations bilatérales, les droits de l’homme occupent une place importante, ainsi que la situation actuelle au Proche-Orient. Enfin, nos relations se développent aussi sur le plan théologique, parallèlement au dialogue théologique entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales», poursuit-il.
Quant aux relations avec l’Eglise catholique arménienne – tout comme l’Eglise évangélique, minoritaire au sein du peuple arménien – le patriarche Karékine les qualifie également de «fraternelles»: «L’Eglise apostolique arménienne salue toujours toutes les initiatives de l’Eglise catholique arménienne qui contribuent au développement spirituel et à la mobilisation nationale de notre peuple et de notre pays». ORJ/JB
Jacques Berset
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