Alors que le Conseil fédéral prévoit d’en accueillir 3’000 ces trois prochaines années, Hugo Fasel, directeur de l’œuvre d’entraide catholique, a proposé le 25 mars 2015 à Berne d’en accueillir 15’000. «Cela représenterait une moyenne de 5 personnes par commune, c’est tout à fait gérable et cela ne menacerait en aucun cas l’identité de la Suisse!»
Barbara Brank, coordinatrice des programmes d’aide humanitaire de Caritas Suisse pour les réfugiés syriens, est régulièrement présente sur le terrain, auprès des réfugiés syriens au Liban, en Jordanie ou en Irak. Elle a témoigné des terribles souffrances de cette population qui subit les affres d’une guerre atroce qui entre dans sa cinquième année, et dont la fin n’est pas encore en vue.
La coordinatrice a d’abord rappelé que 95% des réfugiés – dont la moitié sont des enfants – sont restés dans la région. «Très peu d’entre eux ont pu trouver refuge en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie. Et la situation humanitaire sur le terrain ne cesse de s’aggraver. En Syrie seulement, plus de 12 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire».
Dans les pays voisins, c’est l’équivalent de la moitié de la population suisse qui tente de survivre, dont 85% ne sont pas hébergés dans des camps de réfugiés officiels, mais ont trouvé refuge dans des logements de fortune, des bâtiments en construction, des garages, des écuries, des tentes provisoires. «Ces réfugiés, qui ont l’interdiction de travailler, ont épuisé leurs réserves, n’ont plus d’argent. Ils doivent économiser sur la nourriture, sur les soins, envoient leurs enfants travailler car ils sont moins vite détectés par la police… En Jordanie, un enfant syrien sur dix travaille pour permettre à la famille de manger. D’autres utilisent les mariages précoces ou la prostitution pour pouvoir survivre…», déplore Barbara Brank.
La réalité des chiffres est consternante: en Syrie, seulement l’année dernière, 11’000 enfants ont trouvé la mort en raison du conflit, 4’000 écoles ont été détruites ou sont gravement endommagées, et 1,6 million d’enfants ne vont plus à l’école! «Les conséquences à long terme sur le développement psychique et social de ces enfants sont désastreuses». Caritas – qui travaille avec des partenaires locaux et diverses ONG, notamment les Caritas de Jordanie, du Liban et d’Irak, et à l’intérieur de la Syrie, avec JRS (Jesuit Refugee Service) – a deux délégués suisses sur place, à Amman et à Jérusalem.
L’œuvre d’entraide suisse est particulièrement engagée dans l’aide à la survie, la protection et le soutien des enfants et des jeunes, et l’aide psychologique et sociale pour surmonter les traumatismes. Caritas est également très attentive au fait que le fardeau des réfugiés arrivés en si grand nombre crée des tensions avec la population locale, souvent pauvre et qui s’appauvrit davantage avec l’augmentation du coût des biens de première nécessité, de la nourriture et des loyers. «Le nombre de réfugiés modifie l’équilibre démographique et pèse sur les ressources, les hôpitaux sont surchargés, les écoles débordent, même si elles travaillent selon l’horaire des trois-huit…» Dans ses projets d’aide, Caritas prend en compte les besoins des communautés d’accueil, et vient aussi en aide aux familles autochtones dans le besoin.
«La plupart des réfugiés syriens qui sont arrivés en Suisse ont le plus souvent risqué leur vie durant la traversée de la Méditerranée… Au regard de l’ampleur de la tragédie – c’est la plus grande catastrophe humanitaire depuis la seconde guerre mondiale ! – la Suisse s’est engagée de manière plutôt pusillanime et hésitante. Nous rendons pratiquement impossible l’arrivée de Syriens en Suisse puisque nous avons voté le 9 juin 2013 un durcissement de la loi sur l’asile», déplore de son côté Marianne Hochuli, responsable à Caritas Suisse des études sur la politique migratoire. Et de rappeler que le nombre d’hébergements pour requérants d’asile, maintenu aujourd’hui à un bas niveau, est le résultat de décisions politiques, prises notamment quand le conseiller fédéral Christoph Blocher était aux affaires.
L’augmentation de 30 à 50 millions de francs pour l’aide humanitaire sur place, demandée début mars par le Conseil fédéral, ne suffit pas. «Ce montant est trop faible comparativement à l’ampleur de la catastrophe humanitaire. Il doit être augmenté à 100 millions de francs par année», martèle Hugo Fasel. Qui relève qu’à lui seul, le réseau international des Caritas a engagé pour l’aide humanitaire sur place 300 millions de francs ces trois dernières années. Depuis avril 2012, Caritas Suisse a déployé son aide à hauteur de 12 millions de francs. Les projets pour 2015 sont estimés entre 3 et 4 millions.
Encore choqué par la fronde contre le centre de requérants prévu à Chevrilles, dans son district, le Singinois a mis en garde contre la tentation d’instrumentaliser le problème des réfugiés à des fins de propagande électorale. «Nous appelons tous les partis à renoncer à cette course aux voix dans le mépris le plus complet des gens qui demandent l’asile. Il est indigne et irresponsable de bâtir une campagne électorale sur le dos des populations désespérées de cette région du monde. Si on se lance dans une course électorale, autant le faire en faveur d’une Suisse humanitaire», a-t-il lancé lors de la conférence de presse de Caritas à Berne.
Rappelant que les requérants d’asile n’ont pas de lobby et pas d’argent pour faire connaître leur situation tragique dans l’opinion publique, il souhaite que le Conseil fédéral lance une large campagne d’information sur la réalité tragique des réfugiés syriens «et qu’il oppose des faits objectifs à la propagande présentant les requérants d’asile comme des criminels et un danger pour notre pays!» (apic/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse