Des chrétiens ont manifesté lundi dans plusieurs villes du pays pour protester contre ces attaques terroristes et demander que le gouvernement protège les minorités religieuses prises pour cibles par les fondamentalistes islamiques.
Un officier de police musulman, Abdul Majeed, ainsi que le chauffeur Muhammad Ramzan, et Muhammad Sadiq et son fils Muhammad Irshad, propriétaires d’un commerce devant l’église protestante ont trouvé la mort dans l’attentat. Sadiq a été tué en empêchant le second terroriste d’entrer dans l’édifice de l’église du Christ, une église protestante.
Lundi matin, deux chrétiens, Khushi Masih et Barkat Masih, sont décédés à l’hôpital suite à leurs blessures. Parmi les 13 victimes chrétiennes se trouvent une femme et un enfant de 12 ans. Akash Masih, âgé de 15 ans, a empêché l’un des terroristes d’entrer dans l’église catholique de St-Jean, le bloquant avec son propre corps. Selon des témoins, les trois agents théoriquement de garde devant l’église catholique se trouvaient dans un restaurant voisin, où ils regardaient un match de cricket à la télévision.
Les deux attentats ont eu lieu à quelques minutes d’intervalle. Les terroristes, venus à moto, ont visé l’église catholique Saint-Jean et l’église du Christ, affiliée à l’Eglise du Pakistan (1), situées à 500 mètres l’une de l’autre à Youhanabad, quartier de la banlieue sud de Lahore où vivent environ 130’000 chrétiens.
Questionnés sur leur identité à l’entrée des lieux de culte par trois jeunes chrétiens, les terroristes ont commencé à faire usage de leurs armes de poing avant de faire détonner leurs ceintures d’explosif. Les témoins rapportent que sans le courage de plusieurs chrétiens, venus ceinturer les assaillants pour les empêcher de pénétrer dans les lieux de culte, le bilan aurait été considérablement plus lourd, écrit «Eglises d’Asie» (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).
Après les explosions, alors que les ambulances affluaient sur place, des habitants de Youhanabad se sont rassemblés sur la principale avenue du quartier pour protester. La foule a lancé des pierres sur des policiers, les accusant de ne rien faire pour les protéger. Deux personnes, que la foule aurait soupçonnées d’être des complices des attaquants, ont été prises à parti et lynchées à mort. Une station de bus a été saccagée, avant que le calme ne revienne. Dans d’autres grandes villes du pays, à Karachi, à Multan, à Quetta et à Peshawar, des chrétiens sont descendus dans la rue pour manifester leur colère – des manifestations qui ont repris ce lundi et que la police a dispersées en faisant usage de gaz lacrymogène.
Peu après l’attentat, le Jamaat ul-Ahrar, faction issue de la mouvance talibane du Tehreek-e-Taliban, a revendiqué l’action terroriste. «Nous avons frappé à Lahore, au cœur de la province du Pendjab. Que les dirigeants [du Pakistan] y voient une mise en garde», a déclaré Ehsanullah Ehsan, porte-parole du Jamaat ul-Ahrar. En novembre dernier, ce groupe avait déjà revendiqué un attentat-suicide particulièrement sanglant (60 morts et 200 blessés), commis à Wagah, l’unique poste frontière ouvert entre le Pakistan et l’Inde.
Le double attentat de Youhanabad est le plus meurtrier commis contre la communauté chrétienne du Pakistan (2 % des 180 millions de Pakistanais), depuis celui perpétré le 22 septembre 2013 contre l’église de Tous-les-Saints de Peshawar (plus de 80 morts et 150 blessés).
Arrivé sur les lieux dans l’après-midi du dimanche, l’archevêque catholique de Lahore, Mgr Sebastian Shaw, a salué la mémoire des jeunes qui ont empêché les terroristes d’aller plus loin que le portail des églises. «De jeunes martyrs», a-t-il dit, qui ont «donné leur vie pour sauver des centaines de personnes (…) Leur sang n’aura pas été versé en vain s’il contribue à apporter la paix à tous les citoyens du Pakistan».
Depuis Karachi, Mgr Joseph Coutts, président de la Conférence épiscopale pakistanaise, a supplié le gouvernement du Pendjab et le gouvernement fédéral de prendre les mesures adéquates pour assurer la protection des églises et des minorités religieuses du Pakistan. Il a demandé aux autorités de prendre des mesures efficaces pour garantir la liberté de religion dans le pays. Par ailleurs, Paul Bhatti, président de la All Pakistan Minorities Alliance (APMA), a lui aussi condamné l’action terroriste, rappelant que son frère, Shahbaz Bhatti, ministre catholique des minorités religieuses assassiné par les talibans en 2011, s’était battu pour le droit des minorités, des chrétiens notamment, à vivre en paix dans son pays.
Du côté des responsables politiques, les condamnations ont été nombreuses. Le Premier ministre Nawaz Sharif a présenté ses condoléances aux familles des victimes, les assurant du fait que «le gouvernement serait à leurs côtés». «La communauté chrétienne [du Pakistan] a rendu des services inestimables à la patrie, particulièrement dans le domaine social, et nous les tenons en très haute estime», a-t-il ajouté.
Lahore est la capitale du Pendjab, la plus peuplée et la plus prospère des provinces du Pakistan. Elle est aussi le fief politique de Nawaz Sharif. La ville est globalement considérée comme étant plus sûre que d’autres régions du Pakistan. Le fait que les talibans viennent y commettre un attentat est donc perçu comme un signal politique envoyé aux plus hauts dirigeants du pays. Depuis l’échec, l’an dernier, des pourparlers de paix entre les talibans pakistanais et Islamabad, et surtout depuis le dramatique attentat commis en décembre dernier contre une école militaire de Peshawar, l’armée et le pouvoir exécutif sont engagés dans une guerre de grande ampleur contre les groupes talibans.
Dans la région du Nord-Waziristan, à la frontière avec l’Afghanistan, les militaires tiennent désormais les centres urbains tandis que les montagnes alentour sont toujours contrôlées par les talibans – lesquels, peut-être affaiblis par les opérations en cours et les tirs de drones américains, cherchent, par des attentats tels que celui commis à Youhanabad, à fragiliser l’unité nationale. En ciblant les chrétiens, les talibans s’en prennent à une communauté qui est déjà l’objet de brimades et d’actes de persécution répétés et que les islamistes assimilent à un Occident honni par eux, relève l’agence d’information des MEP. (apic/eda/ra/be)
(1) L’Eglise du Pakistan (The Church of Pakistan) est née en 1970 d’un rassemblement des Eglises anglicane, méthodiste, luthérienne et presbytérienne du Pakistan. Elle rassemble environ 1,2 million de fidèles et représente la moitié du 1,6 % de Pakistanais chrétiens (l’autre moitié étant formée de catholiques romains).
Jacques Berset
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