Menée par les œuvres d’entraide catholique «Action de Carême», protestante «Pain pour le prochain», et catholique chrétienne «Etre partenaires», la campagne œcuménique a cette année pour slogan «Moins pour nous, assez pour tous». Les organisateurs ont eu la main heureuse en invitant ce militant de 35 ans, diplômé de sociologie et d’anthropologie auprès de l’Université d’Etat de Port-au-Prince.
Natif de Carice, une localité de quelque 12’000 habitants située dans le département du Nord- Est d’Haïti, non loin de la frontière avec la République Dominicaine, Poliner Augustin est membre fondateur du SKDK, le Centre pour la culture et le développement de Carice. Père de deux enfants, il est aujourd’hui le coordinateur du SKDK, une organisation qui regroupe en majorité des paysans, mais également des étudiants, des artisans et des commerçants. Cette organisation de développement représente en quelque sorte beaucoup de poil à gratter pour les autorités locales, notamment la police, et certains politiciens locaux.
Son organisation coordonne la lutte menée par des jeunes, des paysannes et des paysans de Carice pour le respect de leurs droits d’expression et d’association. Les journalistes de sa radio communautaire «Tèt Ansanm de Carice» enquêtent sur les cas de violences physiques exercées par les maîtres sur les élèves dans les écoles, et les violations des droits humains, en particulier les violences contre les femmes et les enfants. Grâce à ces actions de dénonciation, les cas de viols ont drastiquement diminué, car les victimes osent désormais porter plainte. «Avant, tant la police que les juges ne bougeaient pas… Maintenant, ils ont peur qu’on relate leur inaction dans le public».
«On n’a pas peur!», lâche-t-il lorsqu’il évoque l’incendie criminel, le 21 avril 2011, des locaux du SKDK par des nervis d’un candidat frustré lors de la proclamation des résultats du second tour des élections législatives. Le centre abritait notamment les locaux de la radio communautaire et de la bibliothèque Jacques Roumain, qui contenait 800 ouvrages.
«Des hommes masqués, arrivés à 9h00 le matin, ont mis le feu à une dizaine de maisons, détruit notre générateur, notre émetteur de radio, les studios d’enregistrement et de production, ainsi que notre bibliothèque. Mais trois mois plus tard, grâce à la solidarité internationale et à la mobilisation de plus de 3’000 personnes, tout a été reconstruit, et même plus beau qu’avant!»
Dans sa lutte contre le réchauffement climatique, qui a des conséquences désastreuses sur l’agriculture locale – sécheresses de plus en plus longues, inondations, cyclones de plus en plus violents, absence de pluies – Poliner Augustin et son organisation, partenaire local d’Action de Carême, a réussi à faire interdire la production de charbon de bois. Cette activité, qui provoque le déboisement du pays, favorise l’érosion accélérée de la surface cultivable du sol. Si la couverture végétale était de 80% lors de la découverte de l’île d’Hispaniola par Christophe Colomb en 1492, Haïti n’en avait plus que 50% en 1900 et 2% en 2011.
Face aux graves conséquences des changements climatiques pour la production agricole, à la disparition d’espèces animales et végétales, le SKDK forme les paysans à des méthodes d’agriculture biologiques adaptées à ce contexte difficile afin d’augmenter les récoltes et d’améliorer l’alimentation. La production du café, principale source de revenu du paysan haïtien, a été fortement touchée.
Le tarissement des rivières et des sources menace l’approvisionnement en eau. La disparition de certaines espèces indigènes forestières et médicinales de la flore haïtienne comme le mapou, le sucrin, la coulante, le gommier, le laurier, basilic, l’anis, sont un fort signal d’alarme. De même la disparition ou la migration de certaines espèces animales. On assiste également dans ce cadre à une augmentation considérable des prix des produits de première nécessité.
Par le biais de spots à la radio – très efficaces pour une population qui connaît un fort taux d’illettrisme – de pièces de théâtre populaire et de la danse, le SKDK fait la promotion de la reforestation et sensibilise la communauté à la protection du climat. L’organisation s’est alliée à un partenaire de choix: le maire de la commune, qui a pu faire passer un arrêté interdisant la production du charbon de bois et protégeant les berges de la rivière.
Dans cette région montagneuse et pas facile d’accès, il n’y a qu’un médecin, qui s’est installé grâce au travail du SKDK. L’organisation fait également la promotion de la médecine traditionnelle, qui supplée le manque de médecins et d’infirmières dans la région.
Il renforce les structures traditionnelles des «matrons», des «matrones» et des «toucheuses», qui accompagnent les femmes enceintes. «Ils n’ont pas de qualifications académiques, mais ces médecins ‘naturels’ ont des connaissances pratiques. Ils sont très utiles pour la communauté, et nous leur apportons une formation avec l’appui du Département de la santé».
Rappelant l’importance de la Conférence des Nations Unies sur le climat en décembre prochain à Paris, Action de Carême (AdC) souligne que la destruction de pans entiers de la forêt tropicale, l’emploi d’engrais chimiques et l’élevage intensif contribuent au réchauffement climatique. Si l’on inclut l’ensemble de ses coûts indirects, la production industrielle de nourriture est responsable de près de 30% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre, relève AdC. (apic/be)
Jacques Berset
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